Quand elles ont des enfants à un âge avancé, les femmes sont responsables de leur difficulté à concevoir et (surtout) des risques qu’elles font courir au bébé à naître. C’est du moins ce qui se dégage du discours dominant qui entoure la maternité tardive, estime Francesca Scala, professeure de science politique à l’Université Concordia. Elle vient de publier un article sur le sujet dans la revue Health, Risk and Society. Entrevue.

Q. Le professeur Michael Orsini, de l’Université d’Ottawa, et vous-même avez analysé plus d’une vingtaine de documents publiés entre 1993 et 2020. Selon le discours dominant, est-ce considéré comme un problème, pour une femme, d’avoir un enfant à la fin de la trentaine ou au début de la quarantaine ?

R. C’est problématique, oui. Nous avons analysé des documents politiques, des rapports gouvernementaux ainsi que des déclarations et directives professionnelles faisant référence à l’âge maternel avancé, à la procréation retardée, aux mères plus âgées, à l’infertilité et à la fertilité. Ces textes font état des risques biomédicaux plus élevés associés à la grossesse et à l’accouchement, et de cette idée qu’à partir de 35 ans, les femmes seraient sur le bord d’une espèce de précipice d’infertilité. Mais derrière le discours sur les risques se cachent aussi des idées reçues, enracinées dans l’âgisme et le capacitisme, qui présentent les mères plus âgées comme problématiques, et ce, pour différentes raisons.

Lesquelles ?

D’abord, les femmes plus âgées courent des risques plus élevés lors de la grossesse ou de l’accouchement, ce qui pourrait impliquer des coûts plus élevés en matière de soins de santé. C’est une raison valide. Mais on a aussi vu des discussions à propos du bien-être de la progéniture. Dans certains documents politiques, on sentait une inquiétude réelle, une anxiété même, à l’idée que la mère puisse être perçue comme la grand-mère de son enfant. Il y a donc cette idée que les mères plus âgées mettent leur enfant à risque, non seulement d’un point de vue médical, mais aussi parce qu’elles ne correspondent pas au stéréotype de la bonne et jeune mère activement engagée et entièrement dévouée à ses enfants. Enfin, on se préoccupe aussi du risque, pour ces femmes, de donner naissance à des enfants handicapés. Elles sont tenues responsables de veiller à ce que leurs enfants ne représentent pas un fardeau pour la société.

Les statistiques ne trompent pas : le taux d’anomalies chromosomiques et de complications lors de la grossesse et de l’accouchement augmente beaucoup avec l’âge. Les documents officiels devraient-ils en faire abstraction ?

Certainement pas. Nous ne voulons pas minimiser ces risques. Ils doivent être communiqués aux couples qui planifient avoir des enfants. Mais cette idée que l’âge de 35 ans est un nombre magique au-delà duquel toutes les femmes vont courir plus de risque est à mon sens problématique.

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ CONCORDIA

Francesca Scalla

Les femmes plus jeunes peuvent aussi souffrir de conditions de santé sous-jacentes qui les mettent à risque. Il faut donc être un peu plus prudent et éviter les généralisations.

Francesca Scalla

Dans le discours dominant, vous sentez que les femmes plus âgées sont tenues responsables de leur infertilité, d’abord, mais aussi de courir un risque plus élevé de porter un enfant ayant une anomalie génétique. Quelles sont les conséquences de ce discours pour les femmes ?

Cela décharge beaucoup de responsabilités sur les femmes d’un point de vue individuel, comme si leurs décisions et leurs comportements étaient basés uniquement sur leurs préférences. Or, on sait bien que ce n’est pas le cas. Nos préférences et nos décisions en matière de santé, de relation et de carrière sont façonnées par des forces sociales, économiques et politiques plus larges, qui sont ignorées dans le discours dominant. On dit aux femmes qu’avant d’avoir des enfants, elles doivent avoir une relation stable, des ressources financières et une carrière, mais ça prend du temps. Lorsque toutes les conditions externes sont réunies, elles sont souvent dans lA trentaine et elles peuvent avoir des difficultés à concevoir. Quel est le rôle de la société, du gouvernement, du partenaire ?

En insistant sur les inconvénients de la maternité plus âgée, y a-t-il des choses qu’on ne dit pas assez à ce sujet, des angles morts ?

Il y a toute une diversité d’expériences, et on ne peut faire de grandes déclarations, mais on peut constater une réalité : il y a de plus en plus de femmes qui ont des enfants à un âge plus avancé. Des études montrent qu’il y a des bénéfices, en suggérant notamment que les mères plus âgées sont plus patientes et que leurs enfants ont de meilleurs résultats scolaires. On pourrait aussi mettre en lumière ces aspects positifs sans pour autant nier les risques médicaux et les risques en matière de santé. Et je pense qu’on devrait surtout se préoccuper d’offrir du soutien aux femmes, de veiller à ce qu’elles aient accès à des services de garde accessibles et qu’elles ne soient pas pénalisées dans leur carrière ni financièrement pour avoir eu des enfants plus tôt.

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