« Hier, vous avez fait un peu de ménage ? »

« Oui, j’ai nettoyé avec mon Swiffer à l’étage et au sous-sol, mais ça m’a fatiguée. Il me reste la vadrouille au sous-sol et l’époussetage à la grandeur. Mais aujourd’hui, je n’ai pas pu faire grand-chose : je regarde les nouvelles de mon pays, avec le volcan… »

Mercredi après-midi, Ishbel Providence raconte sa semaine à Nazli Inay au téléphone. Elle parle de sa visite de suivi à l’hôpital un peu plus tôt dans la journée, de ce qu’elle a mangé cette journée-là (elle n’a pas beaucoup d’appétit), des graines de tomates qu’elle a plantées, puis des nouvelles en provenance de Saint-Vincent. Un volcan fait rage dans cette île de la mer des Caraïbes, d’où Ishbel Providence est originaire. Elle est inquiète pour ses proches.

« Les îles voisines refusent d’accueillir les gens de Saint-Vincent qui n’ont pas été vaccinés contre la COVID-19 ou qui n’ont pas passé de test de COVID, explique Ishbel Providence à Nazli Inay. Je peux comprendre, mais il pourrait y avoir une façon de mettre les gens en quarantaine… »

Nazli Inay et Ishbel Providence se parlent au téléphone tous les mercredis ou presque depuis le mois de janvier. Nazli Inay, 22 ans, est bénévole pour le programme d’intervention en télésanté pour les aînés de l’Hôpital général juif. Ishbel Providence, 72 ans, en est bénéficiaire. Créé dans la foulée de la première vague de la COVID-19, ce programme permet à des aînés de 60 ans et plus d’être jumelés à des bénévoles, qui les appellent une fois par semaine. Pour jaser de tout et de rien. Et pour veiller à ce que tout se passe bien de leur côté.

Nazli Inay et Ishbel Providence ont accepté de faire partager leur échange de cette semaine à La Presse.

« Et pour le vaccin, vous allez avoir votre deuxième rendez-vous en juin, c’est bien ça ? », demande Nazli Inay, qui est diplômée en psychologie et en économie. Ishbel Providence acquiesce et confie dans la foulée ses craintes par rapport aux effets secondaires de cette deuxième dose. « Mais je sais que je dois la prendre », dit-elle.

« Je suis tellement chanceuse de vivre dans mon pays d’adoption, ajoute-t-elle, après avoir répété ses inquiétudes pour les gens des Caraïbes. Je suis reconnaissante. »

Un programme qui s’étend

Quand la pandémie de COVID-19 a éclaté, Soham Rej, gérontopsychiatre à l’Hôpital général juif, était évidemment inquiet pour les personnes âgées. Leur santé physique était menacée (une dizaine de ses 200 patients sont morts de la COVID-19 dans les deux premières semaines), mais leur santé mentale aussi.

« Quand on n’a pas assez de connexions, pas d’activités à faire à l’extérieur de la maison, on se sent isolé, stressé, souligne le DRej. Il y a beaucoup plus de risques d’anxiété et de dépression. Sur le plan cognitif, la mémoire est moins stimulée. Et sur le plan physique, on est moins actif. »

Le programme de jumelage a été mis sur pied dès le mois d’avril pour soutenir les aînés, d’abord sur le territoire du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, puis dans toute l’île de Montréal. À ce jour, quelque 250 bénévoles ont été formés, et 540 personnes âgées reçoivent des appels chaque semaine. Le programme commence maintenant à s’étendre dans les couronnes.

La première fonction des appels, c’est d’établir un lien, comme avec un ami. Il y a des gens qu’on appelle qui n’ont pas d’amis, pas de famille proche. D’autres en ont, mais ils ne peuvent parler avec eux de stress, de dépression ou de choses plus négatives. Nos bénévoles sont formés pour les soutenir.

Soham Rej, gérontopsychiatre à l’Hôpital général juif

Les bénévoles s’assurent aussi que les besoins de base des bénéficiaires sont comblés (épicerie, médicaments, etc.) et peuvent les diriger vers des ressources, au besoin.

L’impact est positif, tant pour les bénéficiaires que pour les bénévoles, indique le DRej. Une équipe mène actuellement une étude pour quantifier l’impact du programme sur les symptômes d’anxiété et de dépression.

Ishbel Providence, qui vit seule, souligne que les échanges avec Nazli Inay lui font du bien.

Je n’ai pas beaucoup de gens à qui parler. Et je ne me suis pas fait beaucoup d’amis à cause du travail que j’avais.

Ishbel Providence, retraitée et infirmière de formation qui, au Québec, a créé une agence pour s’occuper des nouveau-nés, à domicile

La crise de la COVID-19 la fait se sentir seule, parfois, et apeurée, d’autres fois.

« Ça fait du bien d’avoir quelqu’un à qui parler, de manière directe, avec honnêteté, dit Ishbel Providence. Elle me remonte le moral. Quand elle m’appelle, je pense que je parle trop, parce que je suis tellement contente ! »

« Vous ne parlez pas trop ! », rétorque Nazli Inay, qui voit aussi dans son implication une façon de rompre son propre isolement. « C’est toujours intéressant et agréable d’écouter des gens plus âgés que soi, qui ont plus d’expérience que soi. J’apprends beaucoup avec vous. Ce sont des leçons de vie que vous me donnez. »

Pour devenir bénéficiaire ou bénévole, on peut composer au 1-888-698-8331 ou visiter le site internet.

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