On ne peut pas dire « ça va bien aller », selon la Dre Julie St-Pierre, pédiatre et fondatrice des cliniques 180, spécialisées en obésité chez les jeunes. Faute de bonnes habitudes de vie, le système de santé des Québécois se dirige vers la banqueroute. Avec Redonner la santé à toute la famille, le livre qu’elle publie le 3 mars chez Édito, la médecin veut éduquer – et motiver – petits et grands à prendre soin d’eux. Entrevue en six points.

Infarctus à éviter

Alors que Julie St-Pierre avait 15 ans, son père et sa mère ont fait un infarctus, à six mois d’intervalle. « J’ai des oncles qui sont décédés avant 50 ans », ajoute la pédiatre. Ces chocs répétés ont motivé l’adolescente hyperactive du Saguenay–Lac-Saint-Jean qu’elle était à chercher comment éviter ces drames.

La Dre St-Pierre a des diplômes postdoctoraux en physiologie, en endocrinologie et en pédiatrie. Elle a commencé la médecine « à 28 ans, enceinte de huit mois de mon premier fils », décrit la pédiatre. « Je me suis rendu compte que la solution était plus auprès des gens que dans les laboratoires. » Elle est aujourd’hui professeure associée en pédiatrie à McGill, présidente-fondatrice du Réseau d’action en santé cardiovasculaire et pédiatre à la Clinique 180 de Montréal — tout en restant simple et empathique.

Diversité corporelle

Impossible de parler d’obésité sans être taxé de grossophobie, en 2021. Faut-il avoir le corps des mannequins ? « Non ! répond la Dre St-Pierre. Je ne cherche pas à avoir ces corps-là. Je suis fière de mes petits bourrelets. L’obésité est une notion distincte de la diversité corporelle. »

L’obésité — pas le surpoids modéré — est une maladie inflammatoire, qui augmente les risques de mortalité. « La preuve, c’est que lorsqu’elle rencontre la COVID, ça fait une explosion vraiment dramatique », souligne la Dre St-Pierre. « Au-delà du poids, on devrait toutefois [se focaliser] sur la santé globale », précise la spécialiste.

Se faire plaisir une ou deux fois par semaine

Les médecins devraient aborder les saines habitudes de vie avec tous leurs patients, peu importe leur poids.

Il faut parler de saine alimentation, d’activité physique, de sommeil, de gestion des écrans.

La Dre Julie St-Pierre

À table, c’est simple : l’idéal est de manger à la méditerranéenne, tout en se faisant plaisir (avec des exceptions, comme un biscuit ou des chips) une ou deux fois par semaine. « Il faut être honnête avec nous-même : on vit dans l’exception, plusieurs fois par jour ou par semaine, observe la Dre St-Pierre. En période de pandémie, c’est la catastrophe. Je vais être la première à l’avouer : j’ai eu besoin de réconfort dans l’alimentation, pendant la période de confinement très stricte du printemps. »

Jeunes aux foies gras

Le résultat, c’est que l’espérance de vie des enfants baisse pour la première fois depuis longtemps, selon l’OCDE. Il faut consommer un maximum de 25 g de sucres libres par jour — soit 6 cuillerées à thé —, d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Or, les Canadiens en ingéraient 110 g par jour — soit 26 cuillerées à thé — en 2004.

S’il n’est pas utilisé comme énergie, ce sucre est transformé en gras par le foie. « On engraisse désormais le foie de nos enfants comme celui des canards », écrit la Dre St-Pierre dans Redonner la santé à toute la famille. « On dit la vérité aux parents, plaide-t-elle. À partir de ça, ils peuvent faire des choix plus éclairés s’ils le souhaitent. » Son livre donne des pistes pour mieux lire les étiquettes à l’épicerie, en plus de fournir quelques recettes santé.

Dire non

Encore faut-il être capable de dire non, ce que les parents n’arrivent plus à faire, observe la Dre St-Pierre. En consultation, elle dit suggérer « presque quotidiennement » de priver les enfants de temps d’écran. De l’âge de 5 à 11 ans, un enfant doit faire au moins 60 minutes d’activité physique par jour, regarder un écran maximum 1 heure par jour et dormir de 9 à 11 heures par jour. Chez les adolescents de 12 à 17 ans, c’est une heure d’activité physique, deux heures d’écran et de 8 à 10 heures de sommeil par 24 heures. Tout un défi, surtout en temps de pandémie.

Un père a récemment confié à la Dre St-Pierre qu’il ne pouvait pas priver son ado de sa PlayStation, parce qu’il s’agit de son mode de socialisation — le jeune y passe de nombreuses heures chaque jour. « J’ai dit : “Monsieur, votre fils est comme un drogué à la cocaïne, illustre la pédiatre. Allez-vous lui en donner un peu chaque jour ou l’enlever le temps que ça lui passe ?” »

Bouger ne suffit pas

C’est un mythe de penser qu’il suffit de bouger plus. Avec les écrans omniprésents, le manque de sport dans les écoles, l’absence d’activités parascolaires et le peu de temps libre des parents, tous les enfants ne peuvent pas dépenser les excès de nourriture ultratransformée en faisant du sport.

« Malheureusement, un enfant en surpoids qui a une mobilité réduite ou un trouble d’équilibre secondaire, il court moins vite que les autres, observe la Dre St-Pierre. Forcément, son muscle ne va pas brûler l’énergie emmagasinée de la même façon que les autres. C’est dramatique, mais c’est un cercle vicieux. Notre seule façon de nous en sortir comme société, c’est d’éduquer le plus de gens possible à faire de meilleurs choix. »

IMAGE FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

Redonner la santé à toute la famille : L’approche 180 contre l’obésité, texte de la Dre Julie St-Pierre, préfaces de Patrick Lagacé et du DRéjean Thomas, éditions Édito