Son « fil conducteur », Pierre-Paul Aveline l’a perdu le 13 mars, ce jour où Québec a décrété la fermeture des écoles en réponse à la pandémie de la COVID-19. L’anxiété a pris le dessus.

« On ne savait rien sur ce virus-là, se souvient le Trifluvien, dont la plus grande crainte était de le contracter. Est-ce qu’on peut l’attraper en croisant quelqu’un dans la rue ? Il y avait beaucoup de questions sans réponse. Et ça, c’est anxiogène. »

Les trois mois qui ont suivi ont été pénibles. Le moindre symptôme d’allergie saisonnière le stressait. Le manque de contrôle aussi. « Les mains froides, le goût de dormir, le cœur qui débat. Ça paralyse la vie quotidienne. Et c’est un cercle vicieux : on veut trouver la bonne nouvelle, alors on va voir les nouvelles. Mais ce n’est pas mieux, cinq minutes après ! », lance-t-il en riant.

Geneviève, pour sa part, n’a fait aucune de ses commissions entre mars et juin. Elle se convainc aujourd’hui d’en faire, mais ça reste pénible pour elle. Parce que les gens de son entourage ne sont pas tous au courant de son trouble anxieux, elle a préféré être citée sous un prénom fictif.

Hier, j’étais chez le dentiste. Dans la salle d’attente, il y avait beaucoup de jeunes enfants et d’adultes. Je me lève, j’essaie de trouver un coin où il n’y a personne… Je tombe toujours en hypervigilance.

Geneviève

Son amoureuse, elle ne la voit que toutes les deux semaines. C’est elle qui vient, jamais le contraire. « J’ai trop peur d’être en contact avec ses enfants », résume Geneviève, qui souffre beaucoup de la situation.

L’automne dernier, elle a appris au cours d’une visioconférence que les employés de son équipe pourraient tranquillement retourner travailler au bureau, en présentiel. Geneviève a fait une attaque de panique. Elle se sent incapable de prendre le métro ou l’autobus. Trop peur de contracter le virus.

« Clairement, si je pogne ça, je me retrouve sur un respirateur à l’hôpital, croit Geneviève, qui souffre d’une maladie chronique. Cette crainte est toujours, toujours là. »

Son médecin l’a mise en arrêt de travail quelques semaines tant les crises de panique perturbaient son quotidien.

La peur est utile, mais…

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Joaquin Poundja, psychologue à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas

Joaquin Poundja est psychologue à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, à Montréal. Il est aux premières loges pour entendre les différentes sources d’anxiété découlant de la pandémie.

« On voit des gens qui ont extrêmement peur du virus, oui, dit-il. Et mon intuition de clinicien, c’est qu’il doit y en avoir encore plus qui restent enfermés à la maison sans demander de l’aide. Il ne faudrait pas que ces gens hésitent à demander de l’aide. »

Lorsqu’elle est modérée, la peur de contracter le virus est utile, adaptative, souligne le psychologue, mais une peur trop élevée peut mener à des états de grande anxiété.

On a vu des gens qui se sentent trop à risque pour aller marcher dehors. Et c’est un peu une boucle : l’évitement de sortir maintient l’anxiété par rapport au virus.

Joaquin Poundja

À l’organisme Relief (anciennement Revivre), on a rapidement vu apparaître la peur de la contamination dans les ateliers et les groupes de soutien, relate l’intervenante et paire aidante Annie Beaudin. La pandémie a exacerbé des symptômes déjà présents chez certains, tandis que d’autres ont vécu de l’anxiété pour la première fois, dit-elle.

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Annie Beaudin, intervenante paire aidante à l’organisme Relief

« Beaucoup de pensées obsédantes, de scénarios catastrophes, de phobies. Mais aussi la peur de la mort, la peur de contaminer les autres. Et beaucoup de souffrances liées à l’isolement. » Encore aujourd’hui, dit-elle, la peur de la contamination est un sujet très important : « Nos gens nous disent qu’ils se sentent isolés, pris dans une spirale. »

Pour Marie-Eve Lapierre, 24 ans, faire l’épicerie constitue une énorme source de stress. Ce qu’elle craint avant tout ? Transmettre la COVID-19 à ses proches. « Si je sors faire des commissions, que j’attrape la COVID-19, que je la donne à ma mère de 55 ans et qu’elle en meurt, je m’en voudrais. Ça va loin, l’anxiété ! », convient la photographe professionnelle du Lac-Saint-Jean, qui sort marcher et fait de la photo en plein air pour calmer le flot de ses pensées.

Pensée catastrophique

Derrière la peur excessive de la contamination, le psychologue Joaquin Poundja observe différents phénomènes, dont celui de la pensée catastrophique. « Si on met un microscope sur une possibilité — attraper le virus et développer des conséquences graves, voire en mourir —, aux yeux de la personne qui souffre de pensée catastrophique, la possibilité devient très probable, explique-t-il. Il y a donc confusion entre possibilité et haute probabilité. »

Il y a aussi l’intolérance à l’incertitude (« le fait que le risque zéro n’existe pas, c’est souffrant pour des gens qui sont très anxieux ») et le doute obsessionnel. Peut-être qu’il y a des virus sur le poteau, peut-être qu’il y a des virus dans l’air… « La personne va plus aller du côté de l’imagination que de la réalité des modes de transmission du virus », résume Joaquin Poundja.

Pour les gens très anxieux, il peut être rassurant d’aller chercher une information fiable et validée à propos des modes de transmission du virus. Quand l’évitement est majeur, il faut travailler à le réduire, souligne Joaquin Poundja : faire une marche, aller faire l’épicerie de façon sécuritaire, etc. Cette démarche nécessite souvent un accompagnement professionnel, dit-il.

Geneviève travaille sur ses comportements, doucement, avec l’aide de sa psychologue. Elle a aussi participé à des groupes de soutien en ligne de l’organisme Relief. « Un jour, il va falloir que je me désensibilise, que je le prenne, le métro », convient-elle.

Pierre-Paul Aveline se sent beaucoup plus serein aujourd’hui. Il s’est découvert une grande confiance envers les autorités sanitaires et gouvernementales (« M. Arruda m’éclaire beaucoup »). Sa femme et lui n’ont jamais autant marché. Et il gère mieux sa consommation de nouvelles.

« Au fil du temps, j’ai appris à m’adapter et à utiliser les services en santé mentale », dit Pierre-Paul Aveline qui — comme tous les autres intervenants de cet article — insiste sur l’importance d’en parler et de demander de l’aide. « Parce que la vie, elle est bien mieux, après. »

> Consultez le site de l’organisme Relief