Atteinte d’une forme précoce de la maladie d’Alzheimer, cruel héritage génétique familial, Sandra Demontigny dévoile dans un livre sa vie émaillée d’épreuves, son combat pour l’aide à mourir anticipée et sa rage de vivre ses précieuses dernières années.

Notre chroniqueur Patrick Lagacé avait décrit, l’an dernier, la terrible situation dans laquelle se trouve Mme Demontigny qui, à 39 ans, a appris qu’elle souffrait de la même maladie qui avait rongé son père. Ayant assisté, impuissante, au dépérissement précoce de ce dernier, elle s’est juré qu’elle n’imposerait pas le même supplice à ses proches, et ne s’infligerait pas la même indignité. Ainsi, elle milite pour l’accès anticipé à l’aide médicale à mourir qui, à l’heure actuelle, n’est accordée qu’aux personnes lucides au moment de l’acte. Le chroniqueur l’avait incitée à narrer son histoire dans un livre. Quelques mois plus tard, Sandra Demontigny, sage-femme de profession, accouche de son « quatrième enfant » : L’urgence de vivre, qui pèse 272 pages, se porte à merveille, et crie à pleins poumons la force de la résilience.

Dans ces récits poignants, cette mère de trois enfants se définit comme « un citron », à l’image de ces produits bardés de défauts de fabrication. Car la maladie d’Alzheimer précoce diagnostiquée à 39 ans, c’est un peu la cerise sur le sundae, le coup de tonnerre qui vient s’ajouter aux tempêtes de sa vie : fibromyalgie dès 15 ans, accouchements éprouvants, ablation de l’utérus à la suite du troisième, choc post-traumatique, pertes de proches, dépressions, et on en passe. Un citron, certes, pressé par la vie. Mais aussi pressé de vivre. Tout au long des chapitres, elle décrit comment elle est parvenue à positiver, à lutter malgré ces bâtons constamment placés dans les roues, à gérer le séisme familial provoqué par le diagnostic et continuer son combat pour l’aide anticipée à mourir.

Je ne voulais rien cacher, nommer les émotions et les évènements difficiles avec les bons mots, même si ce n’était pas de beaux mots, s’ils pouvaient choquer ou faire de la peine.

Sandra Demontigny, auteure de L’urgence de vivre

« Je l’ai écrit pour que mes enfants aient l’histoire de leurs grands-parents, de leur mère. Je voulais qu’elle soit vraie, sentie. Ce fut un défi de demeurer authentique avec la vraie émotion », explique Mme Demontigny.

Même si elle a dû replonger dans des épreuves passées et actuelles douloureuses, elle a toutefois tiré de ce travail d’écriture un grand soulagement. « Ça a augmenté mon sentiment de paix intérieure, je suis plus dans l’acceptation. Je ne dis pas que je suis contente, mais moins dans la colère, la frustration. Il n’y a pas grand-chose que j’aurais pu changer, j’essaye juste d’en tirer le positif », confie Sandra Demontigny.

Épreuves et franchise

Du positif, même quand, au cours de la rédaction, la maladie signale qu’elle commence subtilement à poser ses valises : en composant et transmettant trois nouveaux chapitres à l’éditeur, celui-ci signale qu’ils avaient déjà été rédigés. « J’avais réécrit trois textes pratiquement identiques en pensant ne jamais les avoir écrits ! », lance celle qui, au lieu de s’en désoler, préfère en rire.

PHOTO FOURNIE PAR SANDRA DEMONTIGNY

Sandra Demontigny, entourée de ses trois enfants : Matisse, Sacha et Daphné

Mme Demontigny avait une chance sur deux d’avoir hérité de la maladie de son père. Pile ou face. Ce fut un diagnostic en pleine face. Et parmi le déluge d’épreuves subies, il a fallu annoncer cette fatalité à ses enfants. Une « vraie torture », surtout pour le plus jeune.

Je n’étais pas prête à vivre leur peine. Maintenant, ça fait partie de notre quotidien, on en parle, de la maladie, de l’aide médicale à mourir anticipée, c’est clair pour tout le monde que cela va se passer. Mes enfants ont eu un coup de maturité assez impressionnant. On prend soin de nous réciproquement.

Sandra Demontigny

À ceux qui ont ou auront de mauvaises nouvelles à annoncer à leurs proches, Sandra Demontigny conseille d’« écouter leur voix intérieure » et de miser sur la franchise.

Combat et confinement

Le confinement, perçu par beaucoup de familles comme une perte de qualité de vie, a-t-il terni le quotidien de Sandra Demontigny et son urgence de vivre ? « Au contraire, je trouve qu’on m’a donné plein de moments précieux avec mes enfants et mon conjoint », répond celle qui s’est pourtant établi une copieuse « Bucket List », publiée dans le livre. Seule ombre au tableau : la déception liée à l’annulation du lancement officiel de l’ouvrage et du Salon du livre de Québec.

Une fois le feu de la COVID-19 éteint, la femme compte plus que jamais mener son combat pour l’aide anticipée à mourir, encouragée par les nombreux appuis et témoignages qu’elle a reçus. Des détracteurs à sa cause ? Oui, il y en a. « Mais ce n’est jamais très virulent, certains me disent : “Je ne suis pas pour ça, mais si c’est ce que tu veux pour toi, c’est correct.” Le libre-choix reste très important pour moi. » Hormis l’urgence de vivre, il y a aussi celle de faire bouger les choses – notamment la loi – engourdies par la pandémie. « Moi, il ne me reste pas 10 ans. Il faut qu’il se passe quelque chose avant ça. Surtout que je ne serai pas la seule à en bénéficier. »

IMAGE FOURNIE PAR LES ÉDITIONS LA PRESSE

L’urgence de vivre – Ma vie avec l'Alzheimer précoce, de Sandra Demontigny, aux Éditions La Presse