Si l’idée d’infecter volontairement (et festivement) votre enfant, question de l’immuniser naturellement, vous a effleuré l’esprit, vous n’êtes pas seuls. Mais vous avez surtout tout faux. Attention, danger, clament les experts. Cinq raisons de refuser une telle invitation, encore moins de songer à la lancer.

1) Rappel au sujet des partys de varicelle

Vous vous rappelez ? C’était autour des années 90. Certains parents, en vue d’immuniser leurs enfants, organisaient des fêtes autour d’un ami malade, question de contaminer les copains qui n’avaient pas encore été atteints. On appelait ça des partys de « marmicelle » ou de « picote volante », se souvient Marc Lebel, pédiatre infectiologue au CHU Sainte-Justine. « Et c’était une très mauvaise décision. » Pourquoi ? Parce qu’on avait beau dire aux enfants de ne pas se gratter, à 300 à 500 lésions chacun en moyenne, ils grattaient quand même. « Et beaucoup se surinfectaient au streptocoque. » Le taux d’hospitalisation pouvait atteindre 1 enfant sur 400, annuellement. Depuis l’apparition du vaccin, ajoute le président de l’Association des pédiatres du Québec, on serait passé de centaines d’hospitalisations et d’autres visites annuelles aux urgences pour cause de la fameuse « picote » à 5 % par année. Pas plus. En un mot : « Oui, un vaccin, ça marche », tranche-t-il. L’auto-immunisation ? Moyen…

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2) Un non universel

En attendant l’apparition d’un vaccin pour la COVID-19, qui prendra entre 12 et 18 mois dans le meilleur des cas (« et pour un nouveau vaccin, c’est très, très rapide, poursuit le pédiatre, n’importe quel vaccin, entre les études et la mise en marché, prend habituellement entre 5 et 10 ans »), certains se sont mis à songer à s’immuniser naturellement, comme dans le (pas si bon) vieux temps. Le magazine américain ultraconservateur The Federalist a même revendiqué le droit d’une telle « infection volontaire ». Et plusieurs médias ont rapporté que Lucian Wintrich, ex-correspondant du site d’extrême droite Gateway Pundit, avait lui-même organisé un « Corona putluck » en ce sens. Sa publicité était sans ambiguïté (et non dénuée de provocation), montrant un enfant « picoté » aux côtés d’une fourchette, piquée dans le désormais fameux virus. La presse américaine n’a pas tardé à dénoncer ce genre d’activité, faussement festive : le New York Times titrait récemment « SVP, ne vous infectez pas volontairement », ou le magazine Times, « Non, vous ne devriez pas organiser de corona party ». Avec cette citation-choc à méditer : « Ce virus est probablement 100 fois plus mortel que la varicelle. »

Consultez un article du New York Post (en anglais) sur le « corona potluck »

3) La question de la contagion

Va pour les adultes. Mais les enfants ? On sait déjà qu’ils risquent moins de développer des complications. Et qu’ils ne sont peut-être même pas tant contagieux pour leurs parents. Dans un article publié dimanche dernier, simultanément dans La Presse et le National Post, deux épidémiologistes de l’Université McGill confirment l’idée selon laquelle les enfants ne seraient finalement pas d’importants véhicules de transmission de la maladie. S’appuyant sur les faits (les enfants de moins de 10 ans représentent 1 % des cas confirmés), les auteurs soutiennent que « la transmission […] par les enfants est rare ou absente ». À preuve, une étude, publiée ce mois-ci dans la revue Clinical Infectious Diseases sur le cas d’un enfant français de 9 ans, infecté dans un chalet de ski, lequel aurait fréquenté par la suite trois établissements scolaires, été en contact avec 172 personnes, sans en contaminer une seule. De là à encourager les partys de COVID chez les jeunes, il y a un (immense) pas que les chercheurs refusent de faire. « Ce qu’on sait, se borne à dire Joanna Merckx, épidémiologiste à l’Université McGill et directrice des affaires médicales à bioMérieux Canada, c’est que ce sont les adultes qui sont les moteurs de l’épidémie. Il n’y a pas de données qui démontrent que cela viendrait des enfants. » Pour le reste, dit-elle, « c’est une infection qu’on ne connaît que depuis quatre mois, nous n’avons pas assez de données pour tirer de conclusions ».

Consultez l’étude du Clinical Infectious Diseases (en anglais)

4) Un virus sournois et encore méconnu

Tous les experts consultés s’entendent là-dessus : du point de vue de la science, le virus est encore beaucoup trop méconnu pour qu’on puisse affirmer quoi que ce soit en matière d’immunisation en général, et d’immunisation des enfants en particulier. « Il y a beaucoup trop d’inconnues », reprend le pédiatre infectiologue Marc Lebel. « Nous n’avons pas de données pour dire qu’un party de COVID serait sécuritaire. Nous n’avons pas assez de données pour dire ça », insiste-t-il. Tout au plus sait-on que « pour la plupart », les cas chez les enfants sont « bénins », avec « très peu d’hospitalisations et très peu de complications ». Pour le reste, peu de certitudes, notamment quant à la fameuse question de l’immunité. Combien de temps dure-t-elle ? Mystère. Un enfant exposé aujourd’hui sera-t-il touché en septembre ? « La réponse : on ne le sait pas. » Sera-t-il moindrement touché ? De nouveau, « on ne le sait pas ». Avec la varicelle, en revanche, on sait que deux doses de vaccin confèrent une immunité prolongée. Dans ce cas-ci, le mystère est entier. D’où la question : « à quoi ça sert de les exposer ? »

5L’école n’est pas un party

Parlant d’exposition, justement, renvoyer les enfants à l’école, comme Québec l’a annoncé cette semaine, n’est-ce pas une façon de les contaminer par la bande ? Non, nous répond-on à l’unisson. D’abord, si l’Association des pédiatres du Québec a réclamé un retour des jeunes en classe, ce n’est pas pour une question d’immunisation collective (incertaine et controversée de surcroît), mais surtout pour protéger les enfants les plus vulnérables (les plus touchés par ce congé forcé, on le sait). Ensuite, rouvrir les écoles, ça ne rime pas du tout avec une proximité forcée comme dans le cas d’un party, au contraire. On l’a dit, les classes seront réduites, les récréations décalées, et tout sera mis en place pour maintenir un semblant de distanciation. « C’est un défi considérable, concède Gaston de Serres, médecin épidémiologiste à l’Institut national de santé publique du Québec. L’idée est de rendre la vie misérable au microbe, et pas trop aux humains. Il faut garder en tête ce principe. L’imagination risque d’être bien utile. Mais non, les partys ne font vraiment pas partie de la recette. » Qu’on se le dise, ajoute-t-il, « c’est une maladie qui est nouvelle, pour laquelle on en apprend presque tous les jours davantage. […] Jouer avec une nouvelle maladie, ce n’est vraisemblablement pas une bonne idée. On ne connaît pas les conséquences. […] Moi, à ce moment-ci, un party de COVID, ce n’est pas du tout une pratique que je favoriserais. Et c’est sûr que d’un point de vue de santé publique, ce n’est pas quelque chose qu’on encourage. »