Sur les réseaux sociaux, Tara Langston a diffusé une vidéo d’elle aux… soins intensifs. « Si vous pensez prendre des chances, faites juste me regarder un instant », a dit la Britannique de 39 ans, alors qu’elle avait des tubes dans le nez. Elle luttait contre la COVID-19, dont elle est aujourd’hui guérie.

Raconter sa maladie n’est pas nouveau — Montaigne l’a fait dès le XVIsiècle, note Cathy Bazinet, professionnelle en communication de la santé. Aujourd’hui, les plateformes du web social — Facebook, Instagram et compagnie — offrent toutefois « des tribunes inédites, à la portée des patients », observe-t-elle. Pour mieux comprendre les récits de patients en ligne — et leur valeur ajoutée pour les malades et pour la communauté —, elle leur a consacré un mémoire de maîtrise en communication, présenté à l’UQAM en 2019.

En temps réel

Quand Montaigne écrivait sur ses calculs rénaux, il prenait évidemment le temps d’y réfléchir. Désormais, « les médias sociaux permettent d’articuler en temps réel l’expérience de la maladie et d’avoir une rétroaction, observe Cathy Bazinet. Ça, c’est vraiment nouveau. »

IMAGE TIRÉE D’INSTAGRAM

Le jeune chanteur Lenni-Kim a annoncé sur Instagram être atteint du coronavirus.

Dès que le jeune chanteur Lenni-Kim a annoncé sur Instagram être atteint du coronavirus, les réactions du public ont fusé. « Bon courage à toi Leni [sic] et prend très très soin de toi », a par exemple écrit Aurélie170. L’écrit est souvent complété par des vidéos, « qui donnent à voir l’expérience de la maladie à travers le corps », indique Cathy Bazinet.

Qu’est-ce que ces autopathographies — le nom donné au récit rétrospectif fait par quelqu’un de sa propre maladie — apportent aux malades, déjà bien éprouvés ? D’abord, ça leur permet de mieux gérer les émotions pénibles liées à l’annonce du diagnostic. 

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Cathy Bazinet, professionnelle en communication de la santé

Répéter la même chose à tout le monde, ça devient très fatigant au niveau émotif. En publiant son récit sur une plateforme et en disant aux gens d’aller s’y informer sur l’évolution de la maladie ou de la convalescence, il y a un gain de temps et d’énergie.

Cathy Bazinet

Échanger de l’information

Rendre public ce que l’on vit permet aussi « d’échanger de l’information » avec d’autres gens atteints du même mal, indique la chercheuse. On le sait, le personnel soignant est souvent pressé par le temps. « Il faut trouver soi-même des stratégies pour mieux gérer la maladie, mais aussi toutes les autres sphères de la vie », note Cathy Bazinet.

Les récits de patients sur le web sont aussi une mine de renseignements pour les professionnels de la santé. « C’est particulièrement pertinent dans ce qu’on vit actuellement, estime la chercheuse. Il y a des gens qui ont la COVID-19 sans être hospitalisés. Ils sont à la maison. Qu’est-ce que ça signifie en termes de symptômes, de prise en charge de la maladie pour le patient et pour ses proches ? Des récits commencent à émerger. Ils peuvent être tout à fait utiles et complémentaires aux connaissances que l’on a sur le coronavirus. »

Déclaré positif à la COVID-19, le metteur en scène Dominic Champagne a par exemple écrit sur Facebook : « Notre expérience nous confirme que sans avoir voyagé, sans toux réelle, sans fièvre et sans difficulté respiratoire, on peut être porteur du virus. »

Donner un sens

« Il y a une volonté de documenter son expérience pour la rendre utile aux autres, indique Cathy Bazinet. Ça revient fréquemment. » Toussant dans son lit d’hôpital, Tara Langston, atteinte de la COVID-19, a prié son auditoire d’arrêter de fumer pour garder sa capacité pulmonaire. « En termes de message de santé publique, c’est très puissant », souligne Cathy Bazinet.

IMAGE TIRÉE DE FACEBOOK

Tara Langston a diffusé une vidéo d’elle aux soins intensifs, alors qu’elle luttait contre la COVID-19.

L’expérience peut être significative. Cathy Bazinet s’est beaucoup intéressée à Lili Sohn, une jeune femme qui a publié une bande dessinée (sur le blogue Tchao Günther, dans Facebook et dans les albums La guerre des tétons) sur son cancer du sein. « À la fois moyen d’empowerment, expression artistique, démarche thérapeutique et projet pédagogique, l’autopathographie en ligne lui a procuré des moyens de se familiariser avec son corps malade, de développer un vocabulaire pour articuler sa réflexion et objectiver son expérience », lit-on dans le mémoire.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Lili Sohn a publié une bande dessinée (sur le blogue Tchao Günther, dans Facebook et en albums La Guerre des tétons) sur son cancer du sein.

Journal de confinement

Depuis le 16 mars, Lili Sohn tient un « journal de confinement » en bande dessinée, sur Instagram et Facebook. « Ça parle du quotidien et ça permet de dédramatiser, de ventiler et de se sentir moins seule, dit la bédéiste. Je ne suis pas en train de poser les réflexions philosophiques de notre avenir. »

Malgré cette légèreté, « c’est thérapeutique à mon sens, souligne Lili Sohn. Et puis si le confinement continue, ça sera peut-être l’occasion d’exprimer les possibles changements qui vont s’opérer dans ma réflexion ».

IMAGE TIRÉE DU JOURNAL DE CONFINEMENT DE LILI SOHN SUR FACEBOOK

Depuis le 16 mars, Lili Sohn tient un « journal de confinement » en bande dessinée, sur Instagram et Facebook.

> Lisez le mémoire de Cathy Bazinet : https://archipel.uqam.ca/13227/

> Consultez la page Facebook de Lili Sohn : https://www.facebook.com/lili.sohn