Le confinement a cet effet qu’il donne envie de grignoter toute la journée. Certains s’inquiètent de leur santé ou de leur poids. Comment se défaire de cette mauvaise habitude ? 

Les sirènes prennent parfois l’apparence d’une boîte de biscuits triple chocolat ou d’un sac de chips au vinaigre… Alors que le stress ou l’ennui se font sentir et que le garde-manger est à portée de main, résister à leur chant devient une épreuve digne de la traversée d’Ulysse. Grignotage, quand tu nous tiens !

« Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de l’alimentation. On ne se nourrit pas juste pour se sustenter, mais pour s’apaiser, selon la nutritionniste Geneviève O’Gleman. Si on est de nature anxieuse, le fait de cuisiner et de manger nous ramène dans l’instant présent. On coupe, on cuit, on mastique… ça nous fait une pause de cerveau qui roule à 100 miles à l’heure ces temps-ci. »

Nourriture et émotions sont donc intimement liées : on célèbre les beaux moments de la vie autour d’un repas, de la même façon qu’on se réconforte ou qu’on s’engourdit avec nos aliments préférés. Pour certains, ce lien est toutefois plus puissant que pour d’autres.

« La période qu’on vit active nos vulnérabilités respectives. Ça peut faire en sorte qu’on ait recours à l’alimentation comme stratégie de gestion d’émotions, indique la psychologue Stéphanie Léonard. On peut penser à quel point nos habitudes alimentaires diffèrent la semaine de celles du week-end. La routine est structurante. »

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Notre cerveau est ainsi fait que lorsqu’on le prive d’une chose, cette dernière devient objet de convoitise.

L’effet rebond de la restriction

Pour ceux qui sont sensibles au contrôle de leur poids ou de leur corps, le fait d’être confiné à la maison représente un défi, souvent doublé de la culpabilité d’avoir des considérations superficielles alors que des gens meurent sur la planète, observe la spécialiste de l’image corporelle et des troubles de l’alimentation.

Certains basculent dans des comportements opposés, ce que la spécialiste appelle le syndrome du « tout ou rien ». Notre cerveau est ainsi fait que lorsqu’on le prive d’une chose, cette dernière devient objet de convoitise. « C’est comme une planche de styromousse qu’on enfonce dans l’eau, illustre la psychologue. Dès qu’on la relâche, elle rebondit. »

La restriction entraîne l’excès. L’excès fait naître la culpabilité qui engendre de nouveau la restriction, explique-t-elle. On tombe ainsi dans un cercle vicieux rythmé par des périodes de contrôle ou, au contraire, de culpabilité.

C’est normal de se faire plaisir en mangeant. Il faut simplement doser. C’est toujours une question de ce que ça nous apporte versus ce que ça nous coûte. Ce n’est pas vrai que le sac de chips est bon jusqu’à la fin !

Stéphanie Léonard, psychologue

Le juste milieu

Grignoter n’est pas mauvais en soi, indique Nadine Moukheiber, porte-parole provinciale des Diététistes du Canada. On a besoin de faire le pont entre les repas. Pour éviter de sauter sur la première « récompense », une solution est de préparer d’avance des collations rassasiantes qui contiennent au moins un aliment protéiné (fromage, œuf, yogourt, noix…). « Les manger à des heures fixes, quitte à se mettre des alarmes, ça crée une constance qui permet au métabolisme de récupérer et de fonctionner correctement. Ça prévient les rages de faim. »

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« Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de l’alimentation. On ne se nourrit pas juste pour se sustenter, mais pour s’apaiser », selon la nutritionniste Geneviève O’Gleman.

Si l’envie de manger persiste, on peut se poser la question : « ai-je une vraie faim ou une fausse faim ? », conseille Geneviève O’Gleman. La première est un signal localisé au niveau de l’estomac. C’est le gargouillis, le creux qui justifie le fait de manger. La fausse faim est un sentiment diffus motivé par une émotion : est-ce de l’ennui, de l’anxiété ? « C’est dans ce cas qu’on va prendre une marche, qu’on lit un livre, qu’on appelle une bonne amie ou qu’on fait un jeu avec les enfants. Un bain chaud, ça relaxe plus que du chocolat. »

L’appel d’une gâterie sucrée persiste ? Ça va aussi ! Ceux qui se permettent un peu de plaisir dans leur alimentation ont moins tendance à craquer pour des aliments moins sains parce que ces derniers ne sont pas interdits. Un ratio raisonnable s’approche du 80/20, selon les experts : 80 % d’aliments intéressants sur le plan nutritionnel et 20 % d’aliments plaisir.

« Si on mange un bout de chocolat, on le mange en ne faisant rien d’autre : on le laisse fondre dans sa bouche, on le savoure. Notre envie sera alors vraiment comblée. C’est toute l’idée de manger en pleine conscience », affirme la nutritionniste.

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Ceux qui se permettent un peu de plaisir dans leur alimentation ont moins tendance à craquer pour des aliments moins sains parce que ces derniers ne sont pas interdits.

Un peu d’indulgence

« En ce moment, il faut choisir ses batailles et faire preuve de souplesse, croit Stéphanie Léonard. Les gyms sont fermés, on tourne en rond, c’est très difficile pour beaucoup de gens sur le plan de l’image personnelle. Je vois ça comme une occasion de réévaluer nos priorités et notre rapport au corps. Est-ce si important de conserver ce poids ou cette masse musculaire ? »

Se réveiller et manger à des heures régulières, prendre un peu d’air, se reposer, se faire plaisir… « Il faut être indulgent et bienveillant envers soi-même. Ce qu’on vit présentement, c’est très intense et c’est de l’inconnu. Il y a lieu de revoir notre routine dans ce nouveau cadre, en s’arrimant sur les habitudes qui fonctionnaient avant. »

La priorité est de maintenir une santé mentale plutôt que physique, estime aussi Nadine Moukheiber. « On est tous dans le même bateau. On vit du stress et de l’incertitude, mais tout ce qu’on peut contrôler, c’est ce qui se passe à l’intérieur de [chez] nous. Il faut essayer de regarder ça avec une attitude positive sans s’en mettre plus sur les épaules. »  Si le pèse-personne ne renvoie pas le « bon » chiffre, la solution est simple : « rangez-le », tranche Geneviève O’Gleman. On a pris du poids, et puis après ? Car, ne l’oublions pas, il y a aura bien un « après ».