Il y a deux ans, Caroline Ménard a repéré la porte d’entrée qui permet au stress de rendre le cerveau malade. Lundi, la biologiste de l’Université Laval a ajouté une pièce fondamentale à cette découverte : une molécule qui explique pourquoi certains résistent mieux au stress que d’autres, et pourquoi les antidépresseurs fonctionnent parfois mal.

Dépistage

Le stress provoque une réponse immunitaire. Mais il est aussi associé à un risque plus élevé de dépression. Or, le cerveau est protégé des toxines environnementales par une « barrière hématoencéphalique » l’isolant des vaisseaux sanguins. À la fin de 2017, Caroline Ménard, qui travaillait alors à l’école de médecine Mount Sinai à New York, a démontré dans la revue Nature Neuroscience l’existence de « portes » dans cette barrière hématoencéphalique par lesquelles les molécules du système immunitaire peuvent entrer dans le cerveau, et vice-versa. Deux ans plus tard, elle montre dans la revue PNAS que chez la souris et l’humain, une molécule appelée « claudine-5 », qui constitue un genre de mortier pour la barrière hématoencéphalique, joue un rôle important dans l’ouverture de cette porte par le stress. L’expression de la claudine-5 est différente d’une personne à une autre, ce qui explique pourquoi certains résistent mieux au stress que d’autres. Le type de stress qui mène à la dépression peut être le surmenage au travail. Le stress durant l’enfance (pauvreté, séparation des parents, violence) augmente aussi le risque de dépression à l’âge adulte. Le stress provoque de l’inflammation par l’intermédiaire du système immunitaire.

PHOTO FOURNIE PAR CAROLINE MÉNARD

Caroline Ménard, biologiste de l’Université Laval

Antidépresseurs

La claudine-5 pourrait aussi jouer un rôle dans le traitement de la dépression par les antidépresseurs, explique Mme Ménard, qui travaille à l’Université Laval depuis le début de 2018. « Entre le tiers et la moitié des gens ne répondent pas aux antidépresseurs, dit la neurobiologiste. Ça pourrait être lié à ces portes dans la barrière hématoencéphalique. » Des molécules circulant dans le sang sont associées à la claudine-5. Selon Mme Ménard, on pourrait les mesurer, ainsi que d’autres molécules inflammatoires, pour vérifier plus rapidement l’effet des antidépresseurs. « Si on voit ces molécules dans le sang, on peut rassurer les patients qui ne voient pas rapidement une amélioration des symptômes. Certains nouveaux antidépresseurs ont par ailleurs un effet sur le système immunitaire, ce qui pourrait avoir un effet anti-inflammatoire qui interférerait dans le processus menant du stress à la dépression. » Outre ses travaux sur les souris, la neurobiologiste de Québec a étudié ces portes de la barrière hématoencéphalique sur une banque de cerveaux humains prélevés sur des cadavres se trouvant à l’Institut Douglas, à Montréal. C’est avec cette banque du Douglas qu’elle a pu voir que les portes d’entrée du stress dans le cerveau jouent un rôle dans l’efficacité des antidépresseurs.

Hommes et femmes

Les symptômes de la dépression sont différents selon le sexe de la personne touchée. « Quand on compare la dépression chez les hommes et les femmes, on dirait que ce sont deux maladies différentes, dit Mme Ménard. C’est vrai sur le plan moléculaire, mais aussi sur le plan des symptômes : entre autres, les femmes vont avoir tendance à s’isoler, les hommes à prendre des risques et à être irritables ou agressifs. » Cette différence existe aussi chez la souris : les souris mâles déprimées qu’on isole sont moins mal en point que les souris femelles qu’on isole. Peut-on faire une transposition en donnant l’image des hommes déprimés qui combattent leur mal en allant s’intoxiquer à la taverne avec d’autres piliers de bar, ce qui est néfaste pour leur santé, mais à tout le moins limite leur isolement ? « Oui, rit Mme Ménard. Alors que la femme, elle, resterait chez elle seule à déprimer. » La prochaine étape est de mieux comprendre comment ces portes d’entrée du stress dans le cerveau varient chez les hommes et les femmes.

Cœur et démence

Les portes de la barrière hématoencéphalique qu’étudie Mme Ménard pourraient aussi jouer un rôle dans le déclin cognitif, associé à l’inflammation par certaines études. Enfin, ses travaux pourraient permettre de comprendre pourquoi la dépression augmente le risque de cardiopathie, particulièrement d’accident vasculaire cérébral (AVC), et pourquoi les AVC et les autres cardiopathies augmentent le risque de dépression. L’inflammation joue un rôle important dans les cardiopathies.

Quelques chiffres

1,9 fois : augmentation du risque de dépression chez les enfants dont les parents se séparent avant qu’ils aient l’âge de 7 ans

3,5 fois : augmentation du risque de dépression chez les enfants dont les parents se séparent et dont la mère se remet en couple avant qu’ils aient l’âge de 7 ans

3,4 fois : augmentation du risque de dépression chez les enfants nés d’une mère de famille monoparentale

Source : American Journal of Psychiatry