Le scénario se répète tous les soirs. En revenant de l’école, la fille d’Adeline Angélique Gbegan doit laver ses deux masques à la main pour pouvoir les reporter le lendemain. Vivant avec un chèque d’aide sociale, sa mère n’a pas les moyens de lui en acheter d’autres. « Ça paraît petit, mais acheter des masques, c’est coûteux », confie cette dernière.

En ces débuts de deuxième vague, une coalition d’organismes communautaires demande au gouvernement du Québec de fournir gratuitement quatre masques réutilisables par mois aux plus démunis. Une pétition en ce sens a été déposée à l’Assemblée nationale. Elle est parrainée par Harold Lebel, porte-parole du Parti québécois en matière de solidarité sociale et de lutte contre la pauvreté.

Le masque est devenu une fourniture essentielle et bien des gens en situation de pauvreté ne peuvent se permettre de s’en acheter : « Un bon masque réutilisable, on ne s’en sort pas en bas de 10 $ et à ce prix-là, je ne suis pas sûr qu’il soit si performant », explique Sylvia Bissonnette, du Comité des personnes assistées sociales de Pointe-Saint-Charles (CPAS).

« Il leur faut des masques, il faut qu’ils puissent rentrer à l’épicerie pour pouvoir se nourrir », insiste-t-elle. Une personne qu’elle accompagne porte le même masque à usage unique depuis deux semaines, bien au-delà de son utilité avérée.

Distribution communautaire

En attendant de l’aide du gouvernement, des organismes communautaires de Montréal ont entrepris de distribuer, gratuitement, des couvre-visages aux plus démunis. Brique par Brique, un organisme qui œuvre dans Parc-Extension, a profité d’un évènement de réseautage dans un centre communautaire du quartier pour en distribuer quelques centaines la semaine dernière.

Adeline Angélique Gbegan en a pris une demi-douzaine.

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Adeline Angelique Gbegan

Avoir des masques gratuits, ça aide beaucoup.

Adeline Angelique Gbegan

Arrivée du Bénin il y a un an et demi, elle a passé son premier confinement presque sans sortir, de peur de tomber malade. « Je ne connaissais personne ici, à part ma fille », ajoute-t-elle.

Elle gardera deux masques pour elle et sa fille. Les autres iront à des femmes avec qui elle fait maintenant du bénévolat et qui ne peuvent pas se permettre d’en acheter.

La situation est semblable pour Angelica Vasquez, qui envisage de donner les couvre-visages qu’elle a reçus à ses trois enfants, à leurs amis et à sa nièce. Elle se dit inquiète de la deuxième vague qui s’annonce, d’autant que l’école où vont ses enfants vient de déclarer un cas de COVID-19.

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Angelica Vasquez

On attend les bonnes nouvelles !

Angelica Vasquez

Après la distribution de jeudi dernier, Brique par Brique aura remis environ 2000 couvre-visages dans la communauté de Parc-Extension, selon son directeur, Faiz Abhuani. Ils ont concentré leurs efforts dans les lieux publics où se trouvent des gens qui sont « peu connectés aux institutions », explique-t-il. La totalité de leurs masques provient de dons ponctuels de différents acteurs privés.

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Faiz Abhuani (à droite), directeur de l'organisme Brique par Brique, est accompagné de Tatiana Burtin, agente de mobilisation.

Au CPAS, dans le quartier de Pointe-Saint-Charles, on compte sur la générosité de la grand-mère d’une des employées pour fournir des masques aux plus démunis. En utilisant des retailles de tissu, elle a fabriqué environ 200 couvre-visages lavables que l’organisme a ensuite pu distribuer dans le quartier.

Distribution gouvernementale

La Ville de Montréal dit avoir distribué 1,5 million de masques chirurgicaux à usage unique cet été. Un tiers a été remis aux organismes communautaires pour être donné aux personnes vulnérables. Un autre tiers a été remis aux arrondissements, en fonction de leur population. Le dernier tiers a été distribué cet été dans les secteurs chauds de la première vague.

À la Croix-Rouge canadienne et à Centraide, les masques et les équipements de protection distribués ont uniquement servi aux employés et bénévoles d’organismes communautaires pour qu’ils puissent continuer à offrir leurs services en sécurité. Leurs programmes sont financés par une subvention du gouvernement fédéral. Aucune distribution de couvre-visages n’a été faite à la population directement.

En dehors des transports en commun, aucune autre opération de distribution de couvre-visages à la population n’a été annoncée par les différents ordres de gouvernement.

Un état de fait que dénonce Sylvia Bissonnette, du CPAS : « Les personnes en situation de pauvreté n’ont pas toujours l’argent pour se rendre au métro pour aller prendre un masque. » Elle déplore l’absence de distribution en dehors des grands centres urbains. « S’il n’y a pas de transports en commun, tu vas où pour te chercher des masques ? », se questionne-t-elle.

Ailleurs

Ailleurs dans le monde, des gouvernements ont procédé à des distributions massives de masques pour prévenir la contagion. En juillet, la France a procédé à l’envoi par la poste de 40 millions de masques destinés aux plus démunis. Le gouvernement estime qu’ils les protégeront pour deux mois.

En Grèce, les autorités ont organisé la distribution d’environ 5 millions de masques, à temps pour la rentrée scolaire de septembre. La nouvelle y a par contre créé la polémique parce que les masques étaient beaucoup trop grands pour être portés par des enfants.

Encore loin du 1,5 million de masques promis dans les transports en commun

Rappelons que le 10 juillet dernier, au moment de l’annonce du port du masque obligatoire dans les transports en commun, ces sociétés avaient annoncé vouloir distribuer 1,5 million de couvre-visages d’ici la rentrée scolaire. C’est donc un peu moins des deux tiers des masques prévus qui ont été remis.

La STM est de loin la société qui en a donné le plus, avec 825 000 couvre-visages. Le RTL (Longueuil) en a distribué plus de 60 000, la STL (Laval) en a donné 41 500 et exo (banlieues éloignées) un peu plus de 18 000. La STM prévoit d’en remettre 150 000 de plus dans le cadre d’une opération de deux semaines qui a débuté le samedi 26 septembre. La société estime maintenant pouvoir atteindre son objectif d’ici décembre, selon Amélie Régis, conseillère corporative en affaires publiques à la STM.

Selon les informations transmises à La Presse par les différentes agences de transport de la région de Montréal, environ 945 000 masques réutilisables ont été remis aux usagers jusqu’à maintenant. Toutes les sociétés de transport interrogées disposent de masques à distribuer gratuitement aux clients qui en font la demande. Ils sont distribués par leurs superviseurs sur le terrain ou offerts dans les billetteries.