Dans le film Sade de Benoît Jacquot, l’infréquentable marquis (incarné par l’excellent Daniel Auteuil), observant l’agonie d’un beau jeune homme entre les murs de la prison de Saint-Lazare, laisse tomber : « Et dire qu’il aura si peu foutu. »

Un homme offusqué dans la petite foule qui veille le mourant l’interpelle.

« Vous ne respectez donc rien ?

— Je respecte la vie.

— Mais c’est la mort qui règne ici.

— Non, regardez autour de vous. La vie est partout, jusque dans la vermine d’une prison. »

Autour, des enfants courent parmi les rats et un cadavre de chien crevé grouillant de vers. Nous sommes en 1794, en pleine Terreur pendant la Révolution française, le marquis de Sade persiste dans ses vices et sa philosophie du boudoir, même enfermé plus tard au couvent de Picpus pendant que les victimes de la guillotine sont enterrées dans des fosses communes sous sa fenêtre. 

IMAGE TIRÉE DE LA BANDE-ANNONCE DU FILM

Daniel Auteuil dans Sade, de Benoît Jacquot

Ce film, qui n’est pas qu’une banale biographie filmée, est plus un essai qui utilise comme angle un court épisode de la vie de l’écrivain honni, qui aura passé 27 ans en confinement dans diverses prisons et asiles à écrire frénétiquement ses pensées impures. Le réalisateur s’attarde plutôt à cet appel audacieux du marquis quand nous sommes cernés par la peur et la mort : « Le passé m’encourage, le présent m’électrise, je crains peu l’avenir. »

Tout ça pour dire que la petite nouvelle qui m’a fait le plus sourire depuis le début de cette épidémie, je l’ai lue dans Le Journal de Montréal : « Ébats sexuels en plein air coûteux pour quatre aînés de Sherbrooke ». En résumé, quatre septuagénaires sont allés batifoler dans un sous-bois et ont reçu chacun un constat d’infraction de 1546 $ pour ne pas avoir respecté les règles de distanciation sociale. Quand l’animateur MC Gilles a partagé cette manchette sur sa page Facebook, les commentaires étaient beaucoup plus drôles qu’offusqués. « Ils se co-vidaient », « ils pensaient que la règle était de six pouces plutôt que de six pieds », « je cotise s’il y a un fonds pour les dédommager »…

Gros contraste avec le point de presse de 13 h de mercredi, où l’on a répété les mots « discipline », « obéissance » et même « docilité », en ce qui concerne les règles de santé publique à respecter, afin de relancer l’économie « sans relancer la pandémie ». 

J’ai beau faire attention, porter un masque, sortir peu dans les endroits publics, je sens partout combien ça trépigne. J’ai l’impression que le test de l’immunité collective, si cette immunité existe, parce qu’on ne le sait pas encore, a commencé depuis un petit bout de temps, sous le radar des statistiques. 

Dans ce besoin incontrôlable de se voir, de se toucher, d’exulter, davantage que dans celui d’aller magasiner. Les gens jouent avec le danger certainement plus qu’on ne le pense, que ce soit dans les familles, entre voisins et, bien sûr, entre les amants, peu importe l’âge. Les hormones sont encore plus rebelles que les esprits quand le printemps pointe le bout du nez.

L’amour aux temps de la COVID-19
  • Un couple de personnes âgées marche dans les rues de Madrid, en Espagne.

    PHOTO GABRIEL BOUYS, AGENCE FRANCE-PRESSE

    Un couple de personnes âgées marche dans les rues de Madrid, en Espagne.

  • Les mesures de distanciation physique n’empêchent pas ces deux amoureux d’arpenter les environs du lac Woodlawn, au Texas.

    PHOTO ERIC GAY, ASSOCIATED PRESS

    Les mesures de distanciation physique n’empêchent pas ces deux amoureux d’arpenter les environs du lac Woodlawn, au Texas.

  • De jeunes Tchèques s’enlacent le long de la Vltava, à Prague.

    PHOTO PETR DAVID JOSEK, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

    De jeunes Tchèques s’enlacent le long de la Vltava, à Prague.

  • Un couple profite d’une journée chaude de printemps à Hornstull, en Suède.

    PHOTO JONATHAN NACKSTRAND, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

    Un couple profite d’une journée chaude de printemps à Hornstull, en Suède.

  • Égoportrait sur une jetée surnommée « Instagram Pier », à Hong Kong

    PHOTO ANTHONY WALLACE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

    Égoportrait sur une jetée surnommée « Instagram Pier », à Hong Kong

  • Balade à Bruges, en Belgique

    PHOTO FRANÇOIS LENOIR, ARCHIVES REUTERS

    Balade à Bruges, en Belgique

  • Ce n’est pas un virus qui allait gâcher le mariage de Gabrielle Schmees et de Diego Grassano à Houston, au Texas.

    PHOTO MARIE DE JESUS, ASSOCIATED PRESS

    Ce n’est pas un virus qui allait gâcher le mariage de Gabrielle Schmees et de Diego Grassano à Houston, au Texas.

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Dans L’Obs, on rapporte un texte de l’écrivain Nicolas Mathieu, Prix Goncourt 2018 pour Leurs enfants après eux, on ne peut plus français sur les ravages de la COVID-19 chez les infidèles. « La vie s’est refermée sur les amants clandestins comme un piège ». « Pour eux, écrit-il, le confinement a sonné le glas des cinq à sept, des chambres d’hôtel l’après-midi, des rencontres à la hâte dans un parking, culotte froissée dans une poche, poitrine mordue dans le noir. Les voici assignés à domicile conjugal. »

Je n’y avais pas pensé à ceux-là, qui ne peuvent plus cocufier époux et épouses pendant le Grand Confinement. Mais je ne comprends pas pourquoi ils ont accepté volontiers la prison conjugale avant. Quand même, ça doit être brutal, que je dis à mon chum.

« Ça doit être pour ça que je ne file pas.

— Va donc chier ! »

Je ne pense pas que les ados en rut soient dociles. Ils vont rater le bal de finissants, mais certainement pas leur première relation sexuelle, pas plus que ces quatre septuagénaires ont voulu rater peut-être leur dernière occasion de jouir. Le danger exacerbe les sens, et pour plusieurs, c’est un aphrodisiaque. Tous les virus se gavent de notre appétit de vivre, celui de la COVID-19 comme les autres. 

Dans La peur en Occident, mon livre de chevet depuis quelques semaines, Jean Delumeau cite un chroniqueur de la peste à Marseille en 1720, à propos de la « rage » des mariages quand l’épidémie déclinait. « La fureur de se marier était si grande qu’un des mariés qui n’avait pas eu la maladie du temps épousait fort bien sans difficulté l’autre de qui, à peine, le bubon était fermé : aussi voyait-on bien des mariages empestés. »

La vie va continuer bien plus fort que l’économie va rouler, n’en déplaise aux autorités.