Le Sénat de l’Alabama a voté, mardi, la loi antiavortement la plus répressive des États-Unis. Depuis ce vote, des femmes du monde entier, dont de nombreuses stars américaines, font part de leur expérience en utilisant le mot-clic #youknowme pour faire tomber les tabous.

Une imprudence. Un condom qui se déchire. Une pilule du lendemain qui ne fonctionne pas. La nature a eu le dessus pour Catherine Moreau, qui avait 26 ans lorsqu’elle est tombée enceinte d’un copain qu’elle fréquentait depuis peu. Cette nouvelle relation, jumelée à un emploi qu’elle n’aimait plus et des études inachevées… il n’était pas question qu’elle garde ce bébé. Elle a téléphoné à la Clinique Morgentaler et elle s’est fait avorter.

« Je l’ai caché à ma famille assez longtemps, de peur qu’elle soit déçue, explique-t-elle. Quand je l’ai dit presque un an plus tard, une de mes proches m’a répondu qu’elle était triste que je ne lui en aie pas parlé, qu’elle avait elle-même eu un avortement à 17 ans et qu’elle m’aurait accompagnée là-dedans. »

Un mot-clic libérateur

Cette peur du jugement, c’est ce que veut contrer l’actrice américaine Busy Philipps, qui, après avoir parlé de sa propre expérience d’avortement à 15 ans durant son émission télévisée, a ouvert la discussion sur son compte Twitter en réaction aux projets de loi adoptés en Alabama, mais aussi en Géorgie ces derniers jours (voir encadré ci-bas).

« Une femme sur quatre a eu recours à une interruption volontaire de grossesse. Beaucoup de gens pensent qu’ils ne connaissent personne qui en a eu une, mais vous me connaissez [you know me]. Faisons donc ceci : si vous êtes aussi cette personne sur quatre, faites-en part et commençons à mettre fin à la honte. Utilisez #youknowme et partageons la vérité », a-t-elle gazouillé, mercredi. Des milliers de témoignages sont publiés depuis.

Dans un tweet, Cœur de pirate a fait allusion à des hommes de sa connaissance qui font pression pour que la fille envisage de se faire avorter, mais qui restent muets dans le débat actuel.

PHOTO BOB ANDRES, ASSOCIATED PRESS 

Une manifestation pro-choix s’est tenue jeudi à Atlanta, en Géorgie.

« Souvent, la femme elle-même se sent coupable. Mais ce n’est pas juste la responsabilité de la femme. Un bébé, ça se fait à deux », rappelle Paskale Hamel, coordonnatrice de S.O.S. Grossesse Estrie.

Cumulant plus de 20 ans d’intervention auprès de femmes qui doivent gérer une grossesse imprévue, elle est bien placée pour constater que personne n’est à l’abri — à moins de choisir l’abstinence comme contraceptif.

« Il y a plein de méthodes de contraception, mais aucune n’est efficace à 100 %. […] De 12 à 50 ans, si une femme a une ovulation par mois, c’est plus de 450 possibilités de tomber enceinte », soulève-t-elle.

« Un avortement, ça peut arriver. C’est même une femme sur trois, au Québec. »

Selon les données du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, le nombre d’avortements chez les femmes de 15 à 34 ans est à la baisse depuis les années 2000, alors qu’une légère hausse s’observe chez les 35 à 44 ans.

« Ce ne sont pas juste des jeunes filles, précise Mme Hamel. Ça peut arriver dans la trentaine, la quarantaine. On pense qu’on est en ménopause, on est en pleine séparation, on est encore aux études, etc. On aide des femmes de tous les âges, avec toutes sortes de réalités et de tous les milieux, à faire un choix. »

PHOTO FOURNIE PAR CATHERINE MOREAU

Catherine Moreau

La puissance d’un mot-clic

Les histoires publiées avec le mot-clic #youknowme, principalement sur Twitter et sur Instagram, le démontrent. Paskale Hamel croit en la portée positive que ces témoignages peuvent avoir. Dans les derniers jours, des milliers de femmes l’ont utilisé pour raconter leur expérience.

« Si ça aide les femmes à se déculpabiliser, à leur faire réaliser que ça peut arriver à n’importe qui, tant une femme d’affaires qu’une étudiante, ça peut être très positif, souligne-t-elle. Et si ça peut aider à défaire des mythes et à porter moins de jugements envers les femmes, comme ça a été le cas avec #moiaussi, ce sont des mouvements qui peuvent être très intéressants. »

Catherine Moreau est en paix avec son avortement, vécu il y a plus de six ans. Révoltée par ce qui se passe au sud de la frontière, elle a embarqué dans le mouvement #youknowme et espère qu’il contribuera à mettre fin aux tabous liés au corps des femmes.

« Je suis infiniment reconnaissante d’avoir eu le droit de faire ce choix en ce qui concerne mon corps et mon futur, sans oublier d’avoir eu accès à un service gratuit et de qualité. #YouKnowMe », a-t-elle publié hier sur ses réseaux sociaux, après mûre réflexion.

« Je l’ai publié. Je l’ai supprimé… Je me disais que toute ma famille était sur Facebook, mes tantes, mes cousins… Et puis je me suis dit : “Si la blonde de mon petit-cousin en secondaire V tombe enceinte, j’aimerais ça qu’il puisse savoir qu’il peut m’en parler. Que c’est correct.” C’est important d’en parler. Je n’ai pas honte », soutient la jeune professionnelle, qui espère fonder une famille quand les circonstances seront favorables.

Des lois restrictives

Le Sénat de l’Alabama a adopté, mardi, un projet de loi qui interdit la quasi-totalité des interruptions volontaires de grossesse, même en cas d’inceste ou de viol, et qui prévoit de sévères peines de prison pour les médecins pratiquant des avortements. La semaine dernière, l’État de Géorgie votait une loi interdisant les interruptions volontaires de grossesses dès les premiers battements de cœur du fœtus, mais avec des restrictions moins importantes qu’en Alabama. Les deux États ont ainsi emboîté le pas au Mississippi, au Kentucky et à l’Ohio dans leur lutte antiavortement. Au Canada, les femmes ont le libre choix de se faire avorter depuis 1988.