Les Québécois ont longtemps raffolé du vin doux et du porto. Plus maintenant. Le taux de sucre résiduel dans le vin est devenu l’une des principales préoccupations des consommateurs. Mais peut-être pas pour de bonnes raisons…

Samedi matin à Québec, les clients débarquent à la SAQ pour faire les achats de la fin de semaine. La conseillère Marie Lapointe, à la succursale Naviles, connaît déjà la question que plusieurs d’entre eux vont lui poser : « Ils vont me demander un vin à 11 % d’alcool, avec moins de 1,5 g de sucre par litre, dit-elle. C’est presque impossible à trouver ! »

La conseillère n’est pas la seule à constater une obsession pour les vins secs depuis 2015, date à laquelle la SAQ a commencé à afficher cette information sur ses tablettes. Le taux de sucre résiduel est depuis devenu un critère dans le choix d’une bouteille, au même titre que le goût et le prix.

Même si la SAQ dit « qu’il n’y a pas de changement quant au sucre pour les appels d’offres », plusieurs agents d’importation privée remarquent que le monopole recherche maintenant des vins avec un « bon indice de buvabilité et secs », donc avec moins de sucre résiduel.

Le vignoble Malivoire, dans la péninsule du Niagara, en Ontario, a même adapté son rosé Lady Bug à la demande de la SAQ.

PHOTO FOURNIE PAR LA SAQ

Le vignoble Malivoire, dans la péninsule du Niagara, en Ontario, a adapté son rosé Lady Bug à la demande de la SAQ.

« On a réduit la teneur en sucre résiduel du rosé [seulement 2 g par litre] pour le Québec, écrit Eric Nixon, directeur chez Malivoire. On a créé cette version personnalisée au goût des consommateurs québécois qui aiment les vins plus secs. »

Est-ce que les Québécois aiment vraiment les vins plus secs ? Difficile de savoir. Il est vrai que le vin californien Ménage à trois, qui contient 13 g de sucre par litre, et le rosé Gallo (38 g de sucre) ne trônent plus au sommet du palmarès des ventes, mais ils ne sont pas bien loin. Et des rouges assez doux figurent encore parmi les plus appréciés (voir tableaux). Le soudain intérêt pour le sucre résiduel ne serait donc sans doute pas simplement une question de goût.

PHOTO FOURNIE PAR LA SAQ

Le vin Ménage à trois contient 13,0 g de sucre par litre.

Un apport minime

Cette obsession pour le sucre dans le vin surprend la nutritionniste Catherine Lefebvre. L’auteure du livre Sucre, vérités et conséquences ne faisait pas mention de la quantité de sucre dans les boissons alcooliques dans la première édition de son ouvrage paru en 2016.

« Je ne voyais pas l’intérêt, explique-t-elle en entrevue. Quatre grammes de sucre résiduel dans un litre de vin, ça correspond à moins d’une cuillère à thé de sucre dans toute la bouteille de 750 ml. C’est quatre fois moins de sucre que dans un simple verre [125 ml] de jus d’orange. »

Elle a ajouté un paragraphe sur le sujet dans la toute nouvelle édition de son livre, publié il y a quelques semaines, à la suite de nombreuses demandes de lecteurs. Son opinion est toutefois restée la même.

« Parmi tout ce que les gens consomment, le sucre contenu dans un vin sec est minime. Si ça vous inquiète, c’est peut-être parce que vous buvez trop d’alcool. »

Outre le sucre, des calories sont apportées par l’alcool dans les boissons alcoolisées. C’est pourquoi les consommateurs soucieux de perdre du poids limitent souvent leur consommation d’alcool. La nutritionniste rappelle qu’un verre de vin sec contient en moyenne 100 calories, soit l’équivalent d’une once et demie de spiritueux sec comme le gin. Une bière à 5 % en contient un peu plus, soit 140 calories.

Pas de vin sans sucre

Conseiller en vinification depuis 20 ans au Québec et vigneron, Jean-Paul Martin explique que le sucre résiduel est commun dans la production d’alcool.

« Dans n’importe quelle fermentation alcoolique, il reste toujours du sucre, dit-il. Jusqu’à 4 g dans un vin rouge et dans le blanc, un peu moins. Il ne faut pas devenir intégriste du sucre. »

Le sucre résiduel provient de deux sources. Il peut être un résidu de la fermentation ou il peut être ajouté par le vigneron. Dans le premier cas, le plus fréquent, les levures ont arrêté leur travail avant d’avoir transformé la totalité du sucre contenu dans le moût en alcool. Pourquoi ? Soit parce que le moût était trop sucré, soit parce que le vigneron a arrêté la fermentation. Dans le deuxième cas, le vinificateur a ajouté du saccharose ou du concentré de moût de raisin dans sa cuve afin d’équilibrer son vin, ce qu’on appelle édulcorer. À noter : cette pratique n’est pas autorisée dans toutes les appellations et elle est très contrôlée.

Avec la hausse de la température dans les principales régions viticoles, les producteurs constatent que les moûts sont plus sucrés qu’avant. Les vins produits sont ainsi plus alcoolisés ou contiennent davantage de sucre résiduel.

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Palmarès des ventes 2013*

Sucre résiduel (par litre)

• Ménage à trois : 13,0 g

• Brouilly Georges Duboeuf : 2,9 g

• Kim Crawford : 3,8 g

• Liano : 11,0 g

• Merlot Grand Sud : 8,9 g

Palmarès des ventes 2018-2019*

Sucre résiduel (par litre)

• Kim Crawford : 3,8 g

• Liano Umberto Cesari Sangiovese : 9,6 g

• Bù Slenpido : 2,7 g

• Smokey Bay : 7,8 g

• Fumées blanches, sauvignon : 4,6 g

* Tous types de vins, en termes de valeur des ventes

Source : SAQ