Delphine chante de sa voix envoûtante All My Loving, des Beatles, accompagnée à la guitare par Pavel. Au son des jeunes musiciens d’à peine 20 ans, un homme demande à une femme de danser, pendant que le vétéran des spectateurs tape des mains en chantant avec entrain. Entre eux, une femme âgée dort, assise sur une chaise bleue, les deux mains accotées sur sa canne. Après chaque morceau, elle se réveille et joint ses applaudissements à ceux de cet auditoire hétérogène.

Tous les mercredis soir, un duo d’élèves en musique du cégep de Saint-Laurent déplace ses instruments au département de psychiatrie de l’hôpital du Sacré-Cœur de Montréal (HSCM), au pavillon Albert-Prévost. Durant une heure, ils offrent une prestation aux patients hospitalisés pour des problèmes de santé mentale. Claudette n’en manque pas une.

« Ça met un baume sur nos douleurs », insiste la patiente, une passionnée de country dont l’instrument favori est l’accordéon. « Après tu vas te coucher, tu mets ta tête sur l’oreiller et tu répètes la musique dans ta tête. »

L’unité est anormalement calme durant le modeste concert, témoigne le personnel. Les patients ne sont plus absorbés par leurs problèmes ou les voix qui les assaillent sans cesse, mais plutôt par les vibrations émanant de la guitare de Pavel ou des cordes vocales de Delphine. Certains tapent timidement du pied, d’autres joignent leur voix à celle de la jeune interprète.

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Tous les mercredis soir, un duo d’élèves en musique du cégep de Saint-Laurent joue pour les patients au département de psychiatrie de l’hôpital du Sacré-Cœur de Montréal (HSCM), au pavillon Albert-Prévost.

Un projet du cœur

Le projet a été mis sur pied il y a un peu plus d’un an par l’entremise de la Fondation HSCM, selon la volonté d’un donateur mélomane, qui estimait que la musique devait occuper une place importante dans le quotidien des patients de cette unité de soins.

« Au début, on y allait un peu à tâtons. Il fallait convaincre beaucoup d’équipes et changer des habitudes. On a rapidement constaté que les usagers attendaient ce moment-là dans leur semaine et que par la suite, il y avait une baisse d’anxiété, une réceptivité plus fine. On a conquis l’ensemble des équipes », raconte René-Victor Verres, responsable de l’unité des soins. Le projet a commencé les dimanches avec les musiciens de la SAMS, un réseau qui offre des concerts en milieu de santé au Québec, puis se sont ajoutés les élèves en musique du cégep de Saint-Laurent les mercredis. Pour M. Verres, les bénéfices sont indéniables.

« On a des patients qui vont prendre leur douche et s’habiller pour ce moment, et c’est la seule fois de la semaine qu’ils le font, donne-t-il en exemple. Ceux qui sont en dépression, ça les sort de leur solitude. Pour d’autres, ça fait sortir des émotions qui ne viennent pas autrement. »

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Le patient Mohammed et René-Victor Verres, 
responsable de l’unité des soins

Souvent, les infirmiers observent leurs patients pendant les concerts. Des fois, un seul petit sourire peut dire énormément. Ça peut être l’étape du rétablissement qui commence. Et pour tout bon clinicien qui sait observer, c’est une mine d’or.

René-Victor Verres, responsable de l’unité des soins en santé mentale, hôpital du Sacré-Cœur de Montréal

« C’est la plus belle activité de la semaine. C’est comme si durant une heure, je sortais d’ici », confirme Mohammed, un jeune patient de l’unité des troubles psychotiques. « Après, je me sens plus calme, plus serein et plus sociable aussi. La routine est moins pesante. »

Quand il est incapable de sortir de son lit, Mohammed laisse sa porte ouverte et écoute la musique qui résonne entre les murs des corridors jusqu’à lui.

Un travail scolaire pas comme les autres

Douze élèves en musique participent à ce projet scolaire, pour lequel ils reçoivent également une bourse de la Fondation — bien que la majorité le ferait sans la bourse, assure la coordonnatrice du programme de musique au cégep de Saint-Laurent, Jo-Anne Fraser.

« Ça les ramène à l’essence d’être écoutés pour ce qu’ils font et non seulement pour la performance », dit-elle. Les élèves, regroupés en duos, jouent chacun trois fois par session.

« Quand je suis avec eux, on dirait que j’oublie tout. Il se crée des connexions émotives et c’est comme si on s’entraide tous ensemble », remarque Delphine Dulude, 19 ans, qui a elle-même démystifié ses problèmes d’anxiété lorsqu’elle a reçu la formation essentielle à l’exercice.

Au début de l’année, des élèves en soins infirmiers du même établissement donnent une formation sur la santé mentale à leurs camarades musiciens afin de les familiariser avec cet environnement.

« Des fois, ce sont des projets comme ça qui les font cheminer », observe pour sa part Marie-Hélène Tanguay enseignante en soins infirmiers au cégep de Saint-Laurent et assistante-infirmière-chef aux soins intensifs du pavillon Albert-Prévost. « Ça permet aux étudiants d’avoir une autre vision de l’engagement en santé mentale. »

Tous les mercredis, un élève en soins infirmiers accompagne aussi les musiciens qui performent devant un auditoire aussi conquis qu’imprévisible.

« On est habitués aux distractions pendant qu’on joue », dit le guitariste Pavel Borovikov, en référence aux performances qu’ils donnent dans des bars. « Mais contrairement aux bars, ici c’est super chaleureux. C’est comme si on jouait autour d’un feu de camp pour des amis », dit tout sourire le jeune homme de 21 ans, qui, s’il le pouvait, transporterait sa guitare chaque semaine au pavillon Albert-Prévost.