La compagnie Ample Man Danse a dévoilé hier les quatre vidéos qu’elle a tournées au CHUM avec la collaboration d’une douzaine de patients souffrant de douleurs chroniques. Un projet de création réalisé avec la Fabrique culturelle.

« Ce projet-là me donne envie de continuer, nous dit d’emblée Isabelle Leblanc, qui souffre de polyarthrite rhumatoïde depuis l’adolescence. Pendant six semaines, j’ai pu me laisser un peu aller… »

C’est que le quotidien d’Isabelle Leblanc, qui est suivie à la Clinique de la douleur du CHUM, est planifié de façon assez rigoureuse.

« Tout est calculé, mesuré, pensé, nous dit-elle. Les rendez-vous médicaux, la réadaptation, les séances de glace pour calmer l’inflammation, tout ça prend beaucoup de place, toute notre vie tourne autour de ça. Ce projet a brisé un peu l’isolement qui vient avec la maladie. »

En suivant les six ateliers de danse d’Ample Man Danse, elle a vécu une sorte de soulagement.

J’ai pu mettre mon agenda de côté. Mais j’ai aussi ressenti une grande joie de pouvoir m’exprimer. On a été tellement bien accueillis, et puis on nous
a guidés tout en nous laissant libres de bouger comme on pouvait.
Comme une fleur au vent.

Isabelle Leblanc, participante aux ateliers

La tâche est moins facile qu’il n’y paraît. Parce que pour cette femme de 48 ans (comme pour les autres participants), chaque mouvement est exigeant. Chaque déplacement, chaque parole nécessite un effort. « Si j’ai mal aux pieds, c’est comme s’ils se détachaient de mon corps, il y a un morcellement. La danse m’a permis de trouver une sorte d’unité. Une fenêtre pour sortir de mon corps. »

Il y a six ans, Isabelle Leblanc a dû abandonner son poste de professeure de philosophie au collège de Maisonneuve. « Ç’a été un gros deuil pour moi, parce que j’adorais mon travail, j’aimais travailler avec des jeunes. Aujourd’hui je suis capable d’en parler sans pleurer, mais ça m’a pris des années à l’accepter. »

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Simon Ampleman et Émilie Demers

Chorégraphe… et ergothérapeute

Le projet de médiation culturelle d’Ample Man Danse a été mené par la danseuse et chorégraphe Émilie Demers, qui est également ergothérapeute au CHUM (à temps partiel). Avec Simon Ampleman, cofondateur de la compagnie, ils ont créé des chorégraphies en s’inspirant des ateliers offerts aux patients du CHUM. Pour l’enregistrement des vidéos, seuls les cinq danseurs professionnels de la compagnie apparaissent (excepté pour la vidéo Cette personne).

« Ça fait plusieurs années que je réfléchissais à une manière de combiner les deux [danse et ergothérapie], nous dit Émilie Demers, qui a travaillé au Centre de la main du CHUM. Les ateliers ont permis aux patients de retrouver du plaisir dans le mouvement et de les aider à se reconnecter à leurs corps, à ce qu’ils peuvent encore faire. »

La bande-annonce du projet En ces lieux ils danseront

Dans la vidéo Cette marche, qui a été présentée au CHUM hier, on peut voir les danseurs simuler une chute dans un escalier avant de se relever et de remonter les marches une à une, dans une chorégraphie soigneusement préparée inspirée des confidences faites par les patients.

« Pour la plupart des participants, l’escalier représente un défi quotidien, nous dit Simon Ampleman. L’effort de monter, la peur de tomber, la satisfaction de réussir, c’était un symbole fort. La chute des danseurs, qui s’accrochent comme ils peuvent et qui sont soutenus par les autres, qui les aident à monter, l’angoisse et le lâcher-prise, c’est tout cela qu’on a voulu exprimer. »

Les trois autres capsules ont été tournées dans la cafétéria, autre lieu de défi pour les personnes aux prises avec des douleurs chroniques, dans la salle des robots, qui transportent médicaments et fournitures dans l’hôpital, et qui représentent « le quotidien et la routine des patients ». La dernière chorégraphie a été tournée dans un bloc opératoire, consécration du « lâcher-prise » du patient.

Ample Man Danse, qui mène des projets de danse in situ depuis 2014, espère maintenant poursuivre sa collaboration avec le CHUM. Le projet En ces lieux ils danseront, qui mêle santé, danse et architecture, a d’ailleurs été présenté le week-end dernier au congrès de l’International Association for Dance Medicine & Science, qui multiplie les projets de danse en milieu hospitalier.

>> Visionnez les vidéos du projet