Après la déshydratation, l'hyperhydratation : des chercheurs montréalais ont découvert pourquoi le corps pousse à boire trop d'eau, ou à ne pas en éliminer suffisamment. Ce déséquilibre d'électrolytes peut être mortel et touche une victime de commotion sur quatre.

LE CONTEXTE

On a beaucoup entendu parler de fêtards qui prennent de l'ecstasy et se retrouvent à l'hôpital parce qu'ils ont bu trop d'eau. Mais l'« hyponatrémie », le déséquilibre d'électrolytes lié à une hydratation excessive, menace beaucoup d'autres personnes, des athlètes aux cardiaques en passant par les patients ayant subi un traumatisme crânien. « Les déséquilibres de minéraux sont parmi les 10 premières causes d'admission à l'hôpital », explique Charles Bourque, de l'Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM), auteur principal d'une étude sur le sujet qui vient d'être publiée dans la revue Cell Reports.

« Ce n'est pas seulement l'hydratation excessive qui est en cause. L'ecstasy, par exemple, dit au corps d'augmenter la production de l'hormone antidiurétique vasopressine, qui favorise la rétention d'eau. Dans des cas d'infarctus, les traumatismes crâniens et certaines formes de cancer, il y a aussi de l'hyponatrémie. Parfois c'est un changement de la fonction du rein qui donne l'impression au patient qu'il a soif. »

Un quart des traumatismes crâniens sont accompagnés d'hyponatrémie. Si un patient est admis à l'hôpital avec une hyponatrémie, il a une chance sur cinq de mourir. Avec une hyponatrémie sévère, le risque de mourir augmente à 30 %. Les sportifs en état d'hyponatrémie à la fin d'un marathon, par contre, n'ont pas un risque de mortalité aussi élevé parce qu'ils sont par ailleurs en bonne santé. Certains médias anglophones ont évoqué, dans leur article sur l'étude de M. Bourque, une mode d'hydratation extrême chez certaines célébrités. « On a écrit que Tom Brady [le quart-arrière des Patriots de la Nouvelle-Angleterre] boit une quantité d'eau équivalente à son poids, dit M. Bourque. Mais en fait, il boit 10 % de son poids, soit deux à trois fois les recommandations. Comme il sue beaucoup lors de ses entraînements, c'est peut-être adéquat. »

LA GENÈSE

Le laboratoire de M. Bourque est spécialisé dans l'étude de la déshydratation. « On est les spécialistes du mécanisme qui permet au cerveau de détecter la déshydratation. Parfois ce système marche mal et le patient n'a pas soif même s'il est déshydraté. Nous étions les mieux placés pour étudier la détection de l'hyponatrémie par le cerveau. Nous avons une souris génétiquement modifiée à qui il manque l'une des composantes du système permettant au cerveau de détecter la déshydratation. »

CE QUE RÉVÈLE L'ÉTUDE

La souris incapable de détecter la déshydratation mise au point par le neurophysiologiste de McGill relevait adéquatement quand elle était en hyponatrémie.

Photo fournie par le CUSM

Le Dr Charles Bourque, du centre de recherche du Centre universitaire de santé McGill

« Ça signifie que ce sont deux systèmes séparés », dit M. Bourque. Les cellules gliales du cerveau sont responsables de la détection de l'hyperhydratation et envoient des signaux pour que soit sécrétée un acide aminé appelé taurine, qui empêche les neurones mesurant le niveau d'hydratation de bien fonctionner. » Le système cellules gliales-taurine est aussi impliqué dans la détection de la déshydratation, mais dans une plus faible mesure.

ET MAINTENANT ?

La prochaine étape sera d'étudier comment se comporte ce système de détection de l'hyponatrémie chez les patients ayant subi une commotion cérébrale, en collaboration avec la neurochirurgienne Judith Marcoux, du CUSM. « On veut voir quels patients sont plus à risque et comment on peut traiter l'hyponatrémie », dit M. Bourque. Il se peut que ce ne soit pas dû à un sentiment exacerbé de soif menant à une hydratation excessive, mais plutôt à une surexpression d'hormones antidiurétiques comme la vasopressine, qui favorise la rétention d'eau. « Dans le cancer du poumon à petites cellules, certaines cellules dans les poumons fabriquent de la vasopressine », dit le neurophysiologiste pour donner un exemple.

EN CHIFFRES

22 % des femmes ayant participé au marathon de Boston en 2002 étaient en hyponatrémie après la course

8 % des hommes ayant participé au marathon de Boston en 2002 étaient en hyponatrémie après la course

0,6 % des participants au marathon de Boston en 2002 étaient en hyponatrémie extrême après la course

SOURCE : New England Journal of Medicine

Image fournie par le CUSM

Neurones détectant l'hydratation (en rouge) et les cellules gliales (en vert) dans un cerveau de souris. L'étude démontre que ce sont les cellules gliales qui sont les premières à détecter l'état d'hyperhydratation et qui envoient l'information pour stopper le fonctionnement des neurones qui détectent cet état.