Déterminés à rendre la danse accessible à tous et à promouvoir la thérapie par le mouvement, les Grands Ballets offrent depuis septembre dernier, dans leurs nouveaux studios, des cours adaptés aux besoins des personnes vivant avec un trouble du spectre de l'autisme, le syndrome de Down ou la maladie de Parkinson. Et ce n'est que le début.

Un talent pour imiter

Regine Banon est ravie de dire que son fils Ethan, atteint du syndrome de Down, ou trisomie 21, suit des cours de danse aux Grands Ballets canadiens. Mais elle est encore plus heureuse d'avoir découvert des cours adaptés spécialement pour des jeunes vivant avec la même condition que son ado de 15 ans.

«Les enfants trisomiques sont des copieurs, dit la maman. Je ne veux pas parler en mal des autres déficiences, mais je ne voulais pas exposer Ethan à des comportements différents. C'est un enfant doux, calme, aimant, social et je voulais qu'il demeure dans un environnement positif qui lui ressemble.»

Sa professeure Tracey Schwartz utilise d'ailleurs ce réflexe d'imitation à l'avantage des jeunes danseurs. «Je propose souvent des exercices d'effet miroir: je me tiens devant les étudiants, en leur demandant de reproduire mes mouvements. Ils m'imitent et apprennent de nouvelles choses en simultané.»



Apprendre des autres


Elle explique aussi que la présence d'adolescents et de très jeunes enfants dans la même classe est un avantage. «Chaque étudiant a quelque chose à apprendre aux autres, souligne-t-elle. Comme les plus vieux écoutent très bien les consignes, si je leur demande de s'asseoir, ils viennent tout de suite et les petits vont les imiter. D'un autre côté, quand on fait un exercice créatif, les petits ont si peu d'inhibitions qu'ils font ce que leur corps a envie et les plus vieux vont s'en inspirer.»

La maman d'Ethan a d'ailleurs remarqué un plus grand laisser-aller chez son garçon. «Avant, il dansait à la maison en se cachant, relate Mme Banon. Maintenant, si on entre dans sa chambre quand il danse, il nous laisse le regarder. Il s'exprime un peu plus librement, même s'il demeure timide.» Quand on demande au garçon s'il aime ses cours, il répond «oui» avec conviction.

Pas surprenant, quand on sait à quel point les cours sont pensés pour mettre en lumière ses forces. 

«Les enfants, les ados et les adultes avec le syndrome de Down sont très expressifs, très affectueux et ils ont beaucoup d'amour à donner aux autres. On se concentre là-dessus quand on danse», explique Tracey Schwartz.



Renforcer les muscles


Avec une longue pratique de la danse (ballet, tap, jazz, hip-hop, contemporain), son expérience d'enseignement auprès d'enfants avec des besoins particuliers et ses études à la maîtrise en ergothérapie, Mme Schwartz possède également les connaissances physiologiques pour guider le développement des jeunes. «Les personnes avec le syndrome de Down ont généralement des hanches très flexibles, ce qui mène à une instabilité et à des problèmes d'équilibre. Je travaille donc les muscles de leurs hanches pour qu'ils soient stables en dansant et dans leur vie quotidienne.»

Elle s'assure également de renforcer les muscles de leurs pieds et leurs abdominaux. En plus de créer un espace d'inclusion. «Je veux leur offrir un lieu où ils peuvent s'exprimer comme ils le désirent et où ils apprennent à être plus confiants.»

S'adapter aux danseurs

Le Centre national de danse-thérapie ne prétend pas guérir les gens qui vivent avec des troubles de santé physique ou mentale. Néanmoins, ses professeurs font tout pour s'adapter aux besoins de leurs élèves et favoriser leur développement. Entrevue avec son directeur, Christian Sénéchal.



À quels besoins répondent les cours adaptés?


On veut d'abord leur donner la chance à eux aussi de suivre des cours de danse. Les élèves peuvent améliorer leur mobilité, leur motricité fine, leur stabilité, leur forme physique et leurs aptitudes en socialisation. Et au fil des classes, nos professionnels identifient de petites choses qu'ils peuvent faire évoluer avec chacun.



Allez-vous élargir votre offre de cours?


Bientôt, il y aura des cours de tango pour personnes avec une déficience visuelle et du tango pour des gens qui portent une prothèse. On envisage aussi des cours pour des personnes âgées avec des troubles cognitifs comme l'alzheimer ou la démence. Et des cours de danse adaptée pour des individus qui ont des problématiques musculaires ou articulaires. On veut répondre à la demande de la clientèle et aux propositions des professionnels.



Quelle est l'expertise de vos professeurs?


On jumelle des spécialistes en danse avec un ou une danse-thérapeute. Certains d'entre eux sont également ergothérapeutes. Le professionnel de la santé n'est pas là pour superviser le prof de danse. Ils s'assoient ensemble pour bâtir leur cours. Ils sont également accompagnés de bénévoles en classe.



Vous dites également aider les proches. Comment?


Durant les cours, les parents ou les aidants naturels ont l'occasion de prendre une pause ou de rester dans nos espaces pour échanger entre eux et parler de ce qu'ils vivent à la maison. On aimerait éventuellement offrir un cours aux parents, pendant que leurs enfants suivent leur propre classe.



Les cours aux studios des Grands Ballets


Les cours de danse adaptée aux studios des Grands Ballets sont offerts depuis septembre dernier, mais des projets ponctuels en danse thérapie ont été menés dès l'ouverture du Centre national de danse-thérapie en 2013. Pour l'instant, les cours de ballet-autisme et ballet-syndrome de Down sont offerts uniquement aux enfants et aux adolescents, mais l'organisation étudie la possibilité d'offrir des cours pour adultes également.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Ethan et la professeure Tracey Schwartz

Ballet et autisme main dans la main

Sur le mur d'entrée, on retrouve le programme du cours: «Mot de bienvenue, échauffement, barres, déplacements, rythme, création, au revoir.» Une attention qui sécurise les élèves vivant avec un trouble du spectre de l'autisme.

Consciente des besoins de sécurité de ses nouveaux danseurs, la professeure Émilie Barrette a invité leurs parents en classe à la première rencontre. Elle a expliqué la structure de la classe et demandé aux élèves et aux intervenants de se présenter. «Tous les enfants sont sortis avec le sourire à la fin du cours, se souvient-elle. Une petite fille a demandé à sa mère si elle était fière d'elle et elle est revenue la semaine suivante avec un maillot rose et un tutu, comme une autre petite. Ils ont beaucoup de plaisir!»

Presque toujours. Lors de notre visite, un garçon a eu besoin de 10 minutes pour franchir le seuil de la porte de la classe et il n'a pas pris part aux exercices. «Si un enfant ne veut pas participer, il peut aller dans le coin détente, regarder la classe et réintégrer le groupe quand il se sent prêt, dit la professeure. Je poursuis mon cours, pendant qu'une danse-thérapeute s'occupe de ceux qui ont de la difficulté à se familiariser avec leur nouvel environnement.»

Toutes ces attentions rassurent Karla de Regulas Rodriguez, maman du petit Maximiliano. «C'est très difficile de trouver des cours adaptés pour les enfants autistes, souligne-t-elle. On a essayé le soccer, la natation et la gymnastique, mais Max a de la difficulté à suivre les instructions.» Elle a donc découvert avec joie les nouveaux cours de ballet du Centre national de danse-thérapie. «Max aime danser et il a un côté artistique très fort, alors je trouvais que c'était une bonne idée de l'inscrire au cours-pilote. Comme il a aimé ça, on a décidé de continuer.»



Exprimer ses émotions


Si Émilie Barrette veut surtout que les jeunes aient du plaisir, elle énumère tout de même plusieurs effets bénéfiques pour le corps et l'esprit. «La danse est un bon moyen pour exprimer certaines choses qu'on n'arrive pas à mettre en mots, dit-elle. On guide les élèves à exprimer différentes émotions avec leur visage, ce qui peut être bénéfique au quotidien pour identifier ce qu'ils vivent, au lieu de tout garder en dedans.»

Depuis le début des cours, la maman de Maximiliano voit une différence chez son garçon. «Quand il rentre à la maison, il est plus calme, plus serein et il accepte mieux nos consignes. Il est fier de lui et il nous montre parfois ce qu'il a appris.» Des effets physiques sont également observables. 

«En général, sa mobilité est faible, mais après un cours, on voit que ses mouvements sont plus coordonnés et qu'il est plus sûr de lui quand il marche.»

Des résultats positifs obtenus grâce à la personnalisation des cours. Si les professeurs savent que la musique classique douce a moins de risques d'agresser la sensibilité de certains participants, ils ont aussi adapté l'échauffement. «C'est davantage une période d'éveil corporel et sensoriel qu'un travail articulaire, illustre Mme Barrette. On les aide à sentir leur corps et à retrouver les frontières entre l'extérieur et soi-même. Les enfants se touchent eux-mêmes pour savoir où ils sont et se rappeler que leur corps existe.»

Les professionnels doivent également considérer la gestion du rapport à l'autre. «Si une élève a l'habitude de toucher beaucoup les autres, alors que certains réagissent vraiment mal au toucher, il faut adopter une consigne de garder ses mains et ses pieds pour soi. Et quand on doit intervenir auprès d'un élève qui ne veut pas être touché, on utilise des consignes verbales pour corriger quelque chose. On apprend sur le tas.»

Les enfants aussi. Durant le cours auquel nous avons assisté, ils ont fait un premier exercice deux par deux. «Je leur ai demandé de faire des pas chassés mains à mains et ça s'est super bien passé! se réjouit Émilie. D'ici la fin de la session, on va peut-être leur demander de faire une création à deux.»

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

La professeure Émilie Barrette (à gauche) veut surtout que les jeunes aient du plaisir dans son cours. Elle note tout de même plusieurs effets bénéfiques pour le corps et l'esprit.

Maladie de Parkinson: miser sur l'ampleur des mouvements

Alors qu'elle entame sa huitième saison au sein des Grands Ballets canadiens (GBCM), la danseuse Valentine Legat ajoute une nouvelle corde à son arc: une formation pour devenir enseignante du cours «Parkinson en mouvements». Première soliste aux GBCM, elle voit un lien entre sa formation et son métier d'interprète. 

«Quand je danse, je veux donner la possibilité au public de se changer les idées et de repartir avec un peu plus de vitalité, dit Mme Legat. Je vois les cours de danse aux gens atteints du parkinson comme une façon de leur donner du bien-être.»

Pour remplir sa mission, elle doit questionner ses élèves sur leurs douleurs. «Comme la maladie les rend plus rigides et restreints dans leurs mouvements, on mise beaucoup sur l'ampleur des mouvements, explique-t-elle. On fait aussi des exercices favorisant la mobilité des doigts et d'autres pour les aider avec leur équilibre et recréer une certaine coordination.»



Effets positifs


Les cours ont également des effets positifs sur les capacités cognitives des participants. «Il y a quelque chose dans leur cerveau qui est déconnecté pour faire certains gestes. Parfois, ils pensent à certains mouvements, mais leur corps fait autre chose. On essaie de trouver des manières de penser différemment pour produire le geste désiré.»

Et surtout, jamais la future professeure n'impose d'objectifs irréalistes. «Nos cours n'ont pas de niveaux préétablis. On adapte tous les mouvements aux gens. Bien sûr qu'il faut fournir un effort, mais il n'y a rien d'imposé. S'il y a des difficultés, on s'adapte.»

PHOTO TIRÉE DU SITE DES GRANDS BALLETS

Le cours «Parkinson en mouvements» a notamment des effets positifs sur les capacités cognitives des participants.