Avis aux hommes qui croyaient pouvoir fêter le Nouvel An en paix, sans prendre de résolution: les entreprises de perte de poids s'attaquent au marché masculin, longtemps inexploité. Weight Watchers a lancé la campagne Lose Like a Man, tandis que Jenny Craig propose Jen 4 Men. Dans le contexte où, au Québec, les hommes sont plus nombreux que les femmes à faire de l'embonpoint, s'agit-il d'un progrès ou d'un nouveau piège?

L'image frappe: Charles Barkley, ancien joueur étoile de basketball, apparaît vêtu d'une robe de soirée dans une récente publicité de Weight Watchers. «Il y a des gars qui pensent que Weight Watchers est juste pour les femmes, déclare le colosse. Mais Weight Watchers m'a aidé à perdre 42 livres (19 kg). Et je peux encore manger de la bouffe d'homme, comme du steak et de la pizza.»

Révolution dans l'univers des régimes: Weight Watchers a lancé aux États-Unis un programme réservé aux hommes, nommé Lose Like a Man (Perdez comme un homme). Charles Barkley - qui avait gagné 45 kg après sa retraite sportive - en est le porte-parole.

«C'est du jamais vu, une campagne de perte de poids qui s'adresse aux hommes, observe Bernard Lavallée, nutritionniste chez Extenso, centre de référence en nutrition de l'Université de Montréal. Traditionnellement, les hommes ne s'intéressent pas aux régimes, à la perte de poids ou à leur apparence corporelle. Mais on voit un changement de culture: ça devient plus accepté que les hommes hétérosexuels prennent soin d'eux.»

Le marché des régimes masculins s'annonce juteux. Au Québec, 60% des hommes font de l'embonpoint ou sont obèses, contre 41% des femmes, selon l'Enquête québécoise sur la santé de la population de 2008. Autre trait distinctif: chez les hommes, l'embonpoint augmente avec le revenu du ménage, tandis que l'argent a l'effet inverse sur leurs compagnes.

«Les hommes ont toujours pu suivre Weight Watchers pour perdre du poids, souligne Chantal Bayard, chargée de dossiers à l'Association pour la santé publique du Québec. Ce qui est nouveau, c'est qu'on cible particulièrement cette clientèle, qui était jusqu'à présent à l'abri de ce genre de promotion.»

Les hommes insatisfaits de leur corps ont tendance à s'entraîner au gymnase, voire à consommer des suppléments protéinés dans l'espoir que leurs muscles gonflent vite. Mais manger santé, c'est-à-dire plus de légumes et moins de viande? «C'est souvent considéré comme trop féminin», indique M. Lavallée. Au point où le quart des hommes ayant reçu un récent diagnostic de cancer de la prostate préfèrent vivre moins longtemps plutôt que de réduire leur consommation de boeuf ou de porc, selon une étude suédoise.

Weight Watchers l'a compris. «Nous savons que les hommes détestent l'idée de suivre un régime et abordent la perte de poids différemment», a dit Cheryl Callan, vice-présidente principale du marketing chez Weight Watchers, dans un communiqué. Lose Like a Man est offert uniquement en ligne - pas besoin d'aller discuter en groupe, comme dans le programme classique. L'accent est mis sur l'importance de faire de meilleurs choix alimentaires, même dans les bars et les restos, mais sans avoir à renoncer à la bière entre amis.

«Weight Watchers joue beaucoup sur la notion de masculinité, en disant que les vrais hommes peuvent perdre du poids», analyse M. Lavallée.

D'autres ont aussi flairé le filon: Jenny Craig - filiale de Nestlé qui vend des repas amaigrissants - propose Jen 4 Men en Australie, en France et en Grande-Bretagne. Le site internet de controversés substituts de repas conçus pour «transformer votre silhouette» est aussi illustré par beaucoup de photos d'hommes.

«Le marché des régimes pour hommes va exploser», prédit Mme Bayard.

L'insatisfaction corporelle

Est-ce une bonne nouvelle? «On sait qu'il y a une épidémie d'obésité aux États-Unis, au Canada et au Québec, précise M. Lavallée. Je crois que les gens devraient faire attention, parce que ça pose des risques à la santé de la population. Mais Weight Watchers vise malheureusement peu la santé, plutôt l'apparence.»

Dans une publicité, un dénommé Eddie raconte qu'il sort ses poubelles torse nu, sous l'oeil de ses voisines, depuis qu'il a maigri grâce à Weight Watchers. L'entreprise va jusqu'à souligner que chaque fois qu'un homme perd 35 livres (16 kg), son pénis paraît un pouce plus long!

«On joue sur l'insatisfaction corporelle, on dit que la société n'admet pas que vous soyez gros, indique M. Lavallée. J'aime moins ça.»

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PRISE DE CONSCIENCE

Au début du mois de décembre, à l'émission Tout le monde en parle, les Denis Drolet ont affirmé avoir perdu du poids pour éviter une mort précoce. Ce qu'ont changé ces humoristes, qui ne jouent pourtant pas la carte du sex-appeal? «La nutrition, surtout», a répondu Vincent Léonard, membre du duo.

«Il y a une prise de conscience qui se fait chez les hommes», estime Denis Rhéaume. Ce résidant de Québec sait de quoi il parle: à Noël, l'an dernier, il pesait 32 kg de plus qu'aujourd'hui. «Mon médecin de famille m'a dit que je n'avais pas de problèmes de santé, mais qu'il serait bon, dans la cinquantaine, de commencer à penser à moi», se souvient-il.

Auparavant, M. Rhéaume avait «fait un paquet de diètes, sans résultat à long terme», dit-il. Le 9 janvier, il s'est inscrit au programme Weight Watchers, qui l'a référé à La Presse.

Il n'est pas le seul représentant de la gent masculine à avoir osé le faire. «Il y a une croissance du nombre d'hommes qui prennent part aux réunions au Canada», indique Annie Marsolais, vice-présidente de l'Agence Weber Shandwick, porte-parole de Weight Watchers.

«Avant, c'était probablement madame qui était plus soucieuse de sa ligne, observe M. Rhéaume. Après avoir perdu 32 kg, je peux dire que je l'ai fait pour la santé, mais mon estime et ma confiance en moi en ont aussi bénéficié. Même si on est des hommes, on peut être fiers de nous et de notre allure. Ce n'est pas défendu!»

«Vous avez tous l'air de cuisses de dinde»

La clé du succès, selon lui: éviter les frustrations. «Quand j'ai envie d'aller manger une pizza au restaurant avec ma conjointe le samedi soir, j'y vais, dit-il. Quand j'ai envie d'un verre de vin ou d'une bière, je me le permets.» Mais en contrepartie, M. Rhéaume consomme plus de fruits, de légumes et de poisson qu'avant.

«Si je mange plus que la limite permise, je bouge plus le lendemain au gym, poursuit-il. Ça fait partie de mon nouveau moi. Dans la vie, on est constamment devant des choix. L'important, c'est de faire les meilleurs choix possible.»

Seulement positive, l'expérience de Weight Watchers? Invité à l'émission humoristique Saturday Night Live, Charles Barkley a dit que le programme amaigrissant dont il est porte-parole est formidable. «Le seul problème, c'est que je suis affamé, a indiqué l'ex-joueur de basketball. Pardonnez-moi si je mange l'un d'entre vous: vous avez tous l'air de cuisses de dinde à mes yeux.»

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LE MOINS PIRE DES RÉGIMES

En plus d'être dangereux pour la santé, les régimes allègent souvent plus durablement le portefeuille que la taille. Que faut-il alors penser de Weight Watchers, vaste empire de l'amaigrissement, qui organise 45 000 réunions par semaine dans le monde?

«De tous les régimes commerciaux, c'est un des moins mauvais, affirme Bernard Lavallée, nutritionniste chez Extenso, centre de référence en nutrition de l'Université de Montréal. Il permet de consommer une grande variété d'aliments, dont des fruits et des légumes à volonté, ce qui équivaut à une alimentation équilibrée.»

Risques de reprise de poids

Comment ça marche? L'entreprise attribue un nombre variable de points à tous les aliments. Les participants reçoivent ensuite une allocation quotidienne de points, qu'ils «dépensent» en mangeant les aliments de leur choix. «Le seul problème, c'est que dès le moment où les gens arrêtent de compter leurs points, il y a des risques de reprise de poids», indique M. Lavallée.

En se fiant au nombre de points que Weight Watchers permet, «on oublie de se concentrer sur ses signaux de faim et de satiété», souligne Chantal Bayard, de l'Association pour la santé publique du Québec.

Cet organisme sans but lucratif ne recommande aucun régime amaigrissant. «Il faut changer plusieurs habitudes si on veut perdre du poids, souligne Mme Bayard. Il faut revoir son alimentation, mais aussi faire plus d'activité physique, diminuer son temps d'écran et dormir suffisamment.»

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LES HOMMES QUÉBÉCOIS PLUS RONDS QUE LES FEMMES

H 44% F 26% font de l'embonpoint

H 16% F 15% sont obèses

Chez les 45 à 64 ans, 70% des hommes font de l'embonpoint ou sont obèses.

53% des hommes contre 30% des femmes croient que leur poids est normal, même s'ils font de l'embonpoint.

15% des hommes et 22% des femmes ont tenté de perdre du poids au cours des six mois précédant l'enquête.

20% des hommes contre 25% des femmes ayant tenté de perdre du poids ou de le maintenir ont essayé un régime ou un programme amaigrissant de type commercial.

Source: Enquête québécoise sur la santé de la population 2008