Avec son livre Worn Stories, best-seller du New York Times, puis la publication subséquente de Worn in New York, Emily Spivack offre une plongée intime dans les relations que nous entretenons avec certains vêtements, levant le voile sur un univers fascinant. Alors que Netflix vient de lancer l’adaptation de Worn Stories sous forme de minisérie, nous avons joint l’artiste multidisciplinaire chez elle, à Brooklyn, pour en discuter.

Question : Vous avez grandi au Delaware, mais êtes établie à New York depuis plusieurs années, où vous poursuivez votre travail d’artiste. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous et sur votre démarche artistique ?

Réponse : Dans mon travail, je m’intéresse beaucoup à la culture contemporaine, aux objets du quotidien, que j’aime observer avec des perspectives nouvelles. La création d’archives est aussi au cœur de ma démarche et, oui, une grande partie de mon travail touche aux vêtements !

Q. Les vêtements ont-ils toujours occupé une place importante dans votre vie ?

R. J’ai toujours aimé utiliser les vêtements pour m’exprimer et me créer des tenues extravagantes. Pour moi, c’était une façon de jouer avec mon identité. Le rôle que jouent les vêtements dans nos vies m’a toujours intéressée ; quand j’étais au collège, j’ai mis sur pied une association pour aider les femmes souffrant de cancer qui devaient composer avec un corps qui changeait, en utilisant les vêtements comme un outil de mieux-être. Par exemple, si, après une mastectomie, une femme avait de la difficulté à lever les bras, on l’aidait à trouver des vêtements qui faciliteraient cette transition.

IMAGE TIRÉE DU SITE WEB DE WORN STORIES

Worn Stories a été publié en 2014

Q. Votre livre Worn Stories, publié en 2014, a remporté un vif succès. Vous y présentez une soixantaine de témoignages de personnalités, artistes ou gens que vous avez rencontrés par rapport à un vêtement qui a une importance particulière à leurs yeux. Comment cette idée a-t-elle pris forme ?

R. Tout a commencé en 2007. J’ai toujours aimé fouiner sur eBay. Un jour, je suis tombée sur une annonce où une femme vendait une tenue de lapin Playboy des années 1960 ; tous les éléments y étaient, et il y avait même la carte d’identité de la femme, un simple portrait en noir et blanc. Quelque chose m’a frappée à ce moment, je me suis demandé : « Qui est cette femme ? Quelle est son histoire ? Qui devenait-elle quand elle enfilait son costume ? » J’ai commencé à chercher sur eBay pour trouver d’autres histoires. Et j’ai vu que les gens ne pouvaient pas s’empêcher de raconter leur relation à la pièce qu’ils vendaient lorsqu’ils étaient questionnés à ce sujet. Pour moi, c’était absolument fascinant de voir ces histoires émerger, comme des fleurs qui poussent à travers le bitume. J’ai commencé à rassembler toutes ces histoires et j’en ai fait un projet artistique appelé Sentimental Value, où j’exposais en galerie ces vêtements accompagnés de leurs histoires.

PHOTO FOURNIE PAR EMILY SPIVACK

Emily Spivack est l’idéatrice de la série Worn Stories sur Netflix, adaptée de son livre du même nom.

Q. Et ce projet en a fait naître un autre, Worn Stories ?

R. Après Sentimental Value, je me suis mise à examiner le contenu de mon propre placard. J’ai vu toutes ces archives, ces traces de souvenirs, d’expériences, qui me rappelaient ma grand-mère, un voyage, une période de ma vie. J’ai commencé à écrire mes propres histoires, mais j’ai vite réalisé que c’était celles des autres qui m’intéressaient. En questionnant des amis, ce qui m’a fascinée, c’est que ces gens que je connaissais souvent très bien me faisaient part d’histoires dont je n’avais jamais entendu parler ! Ce que j’ai constaté, c’est que nos vêtements étaient un outil puissant, mais négligé, pour raconter des histoires. C’est ainsi qu’est né le site web Worn Stories en 2010, qui est ensuite devenu un livre.

Q. Les vêtements sont généralement associés à la mode, parfois considérés comme superficiels, jetables, éphémères. Quel est l’intérêt pour vous d’archiver ces histoires ?

R. Ce n’est pas la mode qui m’intéresse, mais vraiment les vêtements, ce qu’on décide de porter – ou non ! – chaque jour. La seule chose qui sépare nos corps des expériences que nous avons, ce sont les vêtements. Ces histoires sont en quelque sorte absorbées par nos vêtements. La raison pour laquelle je me concentre sur les vêtements, et pas les bijoux, par exemple, c’est que ces derniers ne sont pas nécessairement faits pour durer ; ils s’usent, se déchirent, se perdent. Les histoires qui sont liées aux vêtements peuvent donc elles aussi se perdre. Il m’a semblé important de les documenter avant qu’elles disparaissent, une façon de mettre l’accent sur nos expériences humaines partagées, à travers le vêtement.

IMAGE TIRÉE DU SITE DE WORN STORIES

Worn in New York, par Emily Spivack

Q. Comment ce projet de série documentaire avec Netflix est-il arrivé ?

R. J’ai eu envie de donner vie à ces histoires. La réalisatrice Jenji Kohen, qui a créé les séries Orange Is the New Black et Weeds, a participé à mon deuxième livre, Worn in New York. C’est une bonne amie à moi, et je lui ai fait part de mon idée d’en faire une émission de télévision. Elle a immédiatement embarqué !

Q. La série documentaire rassemble des témoignages de personnes issues de tous les milieux et de toutes les cultures, qui présentent un vêtement ou un accessoire qui leur est cher, et racontent comment il a influencé leur vie, leur perception d’elles-mêmes et des autres : un astronaute, le saxophoniste de Tina Turner, un homme libre après 40 ans en prison… Pour raconter leurs histoires, vous utilisez leurs témoignages, des documents d’archives parfois, mais aussi beaucoup d’animation. Pourquoi ?

R. En intégrant différents styles d’animation, nous voulions insuffler un peu de fantastique à la série, afin d’amener les gens avec nous dans ce voyage. C’était aussi important pour moi d’utiliser des techniques peut-être moins traditionnelles dans l’univers du documentaire, afin de donner réellement vie à ces histoires.

Worn Stories (Dis-moi ce que tu portes) est actuellement offert sur Netflix.

> Consultez le site de Worn Stories (en anglais)