Poitrines fermes, peau lisse, silhouettes sveltes… Les images de femmes au physique parfait ne manquent pas sur Instagram. Pendant ce temps, des mots-clics qui prônent l’acceptation de soi se répandent sur les réseaux sociaux. De #SideProfileSelfie à #normalizeacne, ces initiatives contribuent à démonter les canons de beauté. Décryptage en six mots-clics.

#sideprofileselfie

Pied de nez aux canons de beauté

Radhika Sanghani est une écrivaine accomplie qui respire la confiance en elle. Mais la Londonienne a longtemps détesté son nez aquilin, au point d’y penser chaque fois qu’elle était photographiée. Bombardée d’images de femmes au nez fin et aux traits délicats, elle décide en 2018 de publier un égoportrait accompagné du mot-clic #SideProfileSelfie.

« J’ai choisi ce nom car c’est vraiment un détail que seuls les gens avec un gros nez comprennent. J’avais l’habitude de ne jamais être de profil sur une photo pour ne pas qu’on remarque la forme de mon nez », explique-t-elle à La Presse avec une pointe d’humour.

Elle encourage les femmes à photographier leur nez de côté dans toute leur imposante splendeur avec un selfie. Le principe est simple, mais l’enjeu l’est moins.

Qu’il soit long, crochu ou bossu, le nez peut devenir un complexe et susciter bien des moqueries. « Je trouvais qu’il n’y avait aucune femme avec un gros nez dans l’espace public et je voulais prouver que ça pouvait être beau, sexy et féminin. Ce n’est pas ingrat. Je voulais célébrer les femmes avec des gros nez », explique Radhika Sanghani.

En tant que scénariste, journaliste et auteure, elle aurait pu utiliser sa plume pour se faire entendre. Mais créer un « hashtag » et le propager sur Instagram lui permet de rejoindre plus d’hommes et de femmes qui partagent la même insécurité. Avec un mot-clic qui rassemble, on se sent moins seule.

« Je voulais vraiment qu’on puisse collecter des photos de gens avec des types de nez différents, qu’on ne retrouve pas dans les films ou les revues. »

> Consultez le compte Instagram de Radhika Sanghani

> Consultez les images du mot-clic #sideprofileselfie

#skinpositivity #normalizeacne

L’acné sans filtre

PHOTO TIRÉE DU COMPTE @ISOFIAGRAHN

Sofia Grahn

Avec ses 91 000 abonnés Instagram et ses publications qui cumulent entre 8000 et 12 000 mentions « J’aime », Sofia Grahn attire les regards. Pourtant, elle admet dans ses stories qu’il a été difficile pour elle de vivre avec son épiderme boutonneux, particulièrement à l’ère des filtres Instagram qui donnent un teint radieux et une peau anormalement lisse.

Depuis son entrée dans le monde des skinfluencer, des centaines de comptes qui se consacrent à la normalisation de l’acné cystique – forme sévère – et des cicatrices laissées sur la peau sont apparus. On ne parle pas ici d’une petite poussée hormonale.

La Suédoise – figure proéminente du mouvement – explique qu’on peut être belle en exposant sa peau texturée, crevassée et colorée par l’acné. Elle le prouve avec des photos à couper le souffle, accompagnées des mots-clics #skinpositivity et #normalizeacne.

Ces personnes qui valorisent un « défaut » pour en faire un atout contribuent à améliorer l’estime de soi des ados, très présents sur les réseaux sociaux.

Si tu vois à travers un compte Instagram une femme qui assume son acné, tu vois que ça ne la détruit pas et qu’elle peut être belle, attirante et intéressante, tu vas te dire que ce n’est pas si grave.

Nellie Brière, chroniqueuse et stratège en communication numérique

« Les gens qui ont grandi dans les années 1980 ou 1990 n’ont pas eu ça. Ça permet de s’émanciper d’un genre de dictature qui provient d’une industrie de la mode et cosmétique », dit-elle.

> Consultez le compte Instagram de Sofia Grahn

> Consultez les photos du mot-clic #skinpositivity

> Consultez les photos du mot-clic #normalizeacne

#supersizethelook

Deux poids, deux mesures

Lancée par la blogueuse et entrepreneure Katie Sturino, #SupersizeTheLook encourage les femmes qui ne correspondent pas aux standards de beauté à reproduire des looks de célébrités. Car on peut tout porter, peu importe sa taille.

En 2015, la New-Yorkaise crée spontanément le « hashtag » #SupersizeTheLook. « J’ai réalisé que mes abonnées aimaient les habits des célébrités, mais pensaient que ce type de vêtements n’était pas pour elles. » La blogueuse commence alors à juxtaposer ses tenues de stars favorites avec sa version. « Moi-même, ça m’a forcée à essayer des vêtements et des couleurs que j’évitais inconsciemment. »

Elle reproduit alors fidèlement les ensembles colorés de Kate Middleton, Kendall Jenner et Zoe Kravitz, icônes de la mode dotées de silhouettes fines.

  • Katie Sturino a reproduit ce look de Kate Middleton.

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE @KATIESTURINO

    Katie Sturino a reproduit ce look de Kate Middleton.

  • Elle s’inspire ici du style de Gabrielle Union.

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE @KATIESTURINO

    Elle s’inspire ici du style de Gabrielle Union.

  • Tout en jaune comme Zoë Kravitz

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE @KATIESTURINO

    Tout en jaune comme Zoë Kravitz

  • Inspirée du look de Tan France

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE @KATIESTURINO

    Inspirée du look de Tan France

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Même si les médias mettent de l’avant de plus en plus de diversité corporelle, les silhouettes qui n’entrent pas dans la norme demeurent les mal-aimées de l’industrie de la mode, souligne Katie Sturino à La Presse. « On constate encore que les tailles plus sont représentées sous certaines formes seulement. On conseille encore subtilement de porter du noir, car ça amincit, ou d’éviter les jupes très courtes. Ça peut être dans notre subconscient de ne pas opter pour certains looks. »

Le « hashtag » a contribué à rassembler des gens autour de l’enjeu. « C’est un peu comme un brand, mais les gens peuvent se l’approprier. J’étais très surprise de la popularité, les stars dont je calque les looks ont commencé à commenter et à partager sur leur propre plateforme ! »

Il n’est pas question ici de montrer du doigt les femmes minces ou de jouer dans la comparaison malsaine, soutient l’influenceuse.

D’ailleurs, Instagram ne génère pas d’idéaux de beauté irréalistes, nuance Nellie Brière. La plateforme est un miroir de notre société, et les algorithmes sont façonnés au gré des tendances préexistantes au cinéma, à la télévision ou dans l’industrie de la mode. « La couverture retouchée d’un magazine, ce n’est pas bien différent d’un filtre sur Instagram, souligne-t-elle. On aime certains standards esthétiques et on les renforce avec notre engagement. Mais les mots-clics nous permettent d’avoir un certain contrôle sur ce qu’on voit, car on peut s’y abonner. »

> Consultez le site web de Katie Sturino

> Consultez le compte Instagram de Katie Sturino

#SaggyBoobsMatter #SaggyBoobs

Les idéaux tombent

#SaggyBoobsMatter gravite autour du fait que… la gravité existe. Le slogan est un malicieux rappel à ceux qui n’avaient pas reçu le mémo : tous les seins ne flottent pas dans les airs comme le laissent croire les images de poitrines fermes. Avec des égoportraits de décolletés plus réalistes, on renverse la tendance.

On doit ce mot-clic, apparu en 2017, à la Britannique Chidera Eggerue. L’auteure souhaite ainsi dénoncer le diktat selon lequel les femmes à la poitrine plus lourde doivent porter un soutien-gorge.

L’Américaine Tanerélle Stephens, mannequin et musicienne indépendante, est devenue malgré elle une figure du mouvement. La chanteuse a reçu des commentaires narquois l’année dernière après la publication d’une photo où les internautes jugeaient ses seins « trop affaissés ».

La jeune femme a récemment fait la couverture du magazine Playboy, en insistant pour qu’on ne retouche pas sa poitrine. « Il y a un an, j’ai fait le tour des réseaux sociaux, car on se moquait de moi parce que mes seins pendaient. […] Aujourd’hui, je suis fière d’annoncer que ce sont ces seins qui sont sur la couverture du magazine PLAYBOY », a-t-elle écrit au début du mois sur son compte Instagram.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE @TANARELLE

L’Américaine Tanerélle Stephens, mannequin et musicienne indépendante

Le mot-clic fait partie de la culture d’Instagram et crée des communautés qui se mobilisent, explique Nellie Brière. « Si des gens y adhèrent, évidemment. Il faut qu’il y ait un marché pour se l’approprier. Avec un “hashtag” accrocheur, les usagers peuvent renverser des tendances avec des images qui auraient peu de chances de se retrouver dans une structure traditionnelle plus élitiste comme un magazine de mode, pour finalement qu’elles s’y retrouvent. »

Avec ces initiatives, on donne l’occasion aux gens de sortir des paramètres imposés par les médias populaires, où la surexposition aux standards esthétiques demeure un enjeu, pense Nellie Brière.

> Consultez le compte Instagram de Tanerélle Stephens