David * est assis au café où l’on s’est donné rendez-vous pour discuter de sa récente intervention chirurgicale. Un texto retentit : « Je suis arrivé. J’ai un manteau noir, un capuchon également noir et… une barbe ! »

Cet attribut, le quinquagénaire a rêvé toute sa vie de le mentionner. Et depuis avril dernier, il le peut. Ces derniers mois, son visage s’est transformé et est maintenant recouvert d’une pilosité naturelle, attribuable aux 1608 greffons transplantés de sa tête à sa mâchoire.

Je me sens vraiment fier de ma barbe. Ça remonte mon estime de moi. Ça peut paraître anodin, mais quand on te retire un complexe que tu traînes depuis des années, ça t’enlève tout un poids. J’ai réellement un sentiment de fierté.

David*

Son complexe pour sa barbe clairsemée le hantait depuis aussi longtemps qu’il se souvienne. Élevé à la campagne par un père barbu et entouré de cousins l’étant tout autant, il attendait impatiemment que pousse sur son visage ce symbole suprême, à ses yeux, de masculinité et de maturité.

« Mais ma barbe n’est jamais apparue », raconte l’homme, qui souhaitait porter la barbe par intérêt personnel davantage que par conformité. Il a longtemps redouté l’arrivée de la « mode de la barbe », qui s’est finalement implantée il y a quelques années.

« J’étais assis dans un café à Toronto, quelque part en 2014, et là, deux gars sont rentrés, un après l’autre, avec une belle grosse barbe urbaine et bien taillée. C’est là que j’ai compris que c’était rendu à la mode, et je savais que ça allait exacerber mon complexe », avoue-t-il.

Cinq ans plus tard, l’employé de la Clinique de greffe de cheveux Bédard a appris qu’à même son lieu de travail, des hommes inhibés comme lui passaient sous un microscopique bistouri pour remédier à la situation.

« C’est encore surréaliste. Ce n’est pas comme si j’avais songé à cette chirurgie durant des années. Je ne savais pas que ça existait, et quand je l’ai su, un mois plus tard, je faisais faire ma greffe », explique David, complètement ravi du résultat six mois plus tard.

Intervention encore marginale

« On a plus de demandes qu’on en avait avant, mais ça demeure rare. Par année, on doit faire cinq cas de barbe maximum, comparativement à 250 pour les [greffes de] cheveux », témoigne le Dr Michel Chagnon, de la Clinique de greffe de cheveux Bédard.

Les chirurgiens esthétiques à effectuer de telles interventions au Québec se comptent sur les doigts d’une main. L’un des confrères du Dr Chagnon, le Dr Yves Hébert, de la clinique Médecine Esthétique Dr Yves Hébert, observe le même ratio dans sa clientèle.

« Dernièrement, j’ai fait un homme dans la quarantaine qui, plus jeune, avait subi une épilation de toute la barbe par amour. Rendu à 40 ans, il voulait avoir l’air plus masculin, raconte le Dr Hébert. Mais je dirais que c’est l’exception. Souvent, les clients sont des jeunes qui ont des barbes trouées, pas définies, et qui veulent plus de densité. »

Les gens vont souvent nous consulter pour des zones où il y a des manquements [de pilosité]. Habituellement, c’est une clientèle un peu plus jeune que celle de la greffe de cheveux […] et, oui, la demande a augmenté avec la mode de porter la barbe.

Dr Michel Chagnon, Clinique de greffe de cheveux Bédard

L’intervention n’est toutefois pas qu’une question de style. Des gens ayant des traumatismes, comme des brûlures au visage, ou d’autres ayant souffert de trichotillomanie (un trouble caractérisé par l’arrachage compulsif des cheveux ou des poils) peuvent y avoir recours. Au même titre, il est possible de regarnir les sourcils et la moustache.

« La technique est la même pour des cheveux ou de la barbe ou des sourcils. Il y a de petites particularités sur chaque zone. Par exemple, on doit s’assurer que le greffon pousse dans le même sens que les autres poils », explique le Dr Hébert, ajoutant que la faisabilité de l’intervention s’évalue au cas par cas.

PHOTO FOURNIE PAR MÉDECINE ESTHÉTIQUE DR YVES HÉBERT

Résultat tout juste après la chirurgie d’une greffe de barbe

Avertissement : ces photos sont publiées à titre indicatif afin de fournir de l’information sur la nature de l’intervention. Elles ne constituent aucunement une garantie de résultat. »

« Ça prend la même couleur, le même type de texture, pour que ce soit le plus uniforme possible. On va chercher les cheveux en haut de la nuque, qui sont plus épais et qui ressemblent le plus possible aux poils », précise-t-il.

Une confiance secrètement regagnée

Les médecins s’entendent pour dire que l’intervention fait de petits miracles sur l’estime de soi de leurs patients. N’empêche, au même titre que ceux qui subissent d’autres types d’interventions esthétiques, rares sont ceux qui en parlent ouvertement. Il a d’ailleurs été impossible de trouver un patient acceptant de se confier à visage découvert.

David, par exemple, se sent tricheur, honteux d’avoir eu recours à la chirurgie pour combler le manque de densité de sa barbe. Sa famille l’ignore, ses collègues aussi. Seul son barbier a été inévitablement mis dans la confidence.

« Je n’avais pas le choix de lui dire de faire attention au début, dit-il en caressant délicatement sa nouvelle pilosité faciale. Hier, je lui ai dit de me faire une belle job, que je rencontrais une journaliste et que ce n’était pas le temps de me faire une coche ! [rires] »

Sur son comptoir de salle de bains, il dit avoir exposé fièrement ses jolies bouteilles d’huile, de pommade et autres produits qu’il peut maintenant utiliser. S’il voue à sa nouvelle barbe un amour véritable, celui-ci reste secret. David ignore s’il avouera un jour à ses proches l’intervention qu’il a subie. Mais il est convaincu d’une chose : même si la mode passe, il continuera de porter fièrement sa barbe urbaine et bien taillée.

* Nom fictif