Le plaisir d’être bronzé devient, pour certains, une obsession. Mais cette course au hâle n’est pas sans conséquences pour la santé.

« Pour moi, être à l’ombre, c’était perdre du temps », confie Annie Gloutney, 48 ans. Cette Montréalaise le reconnaît : elle a été accro au bronzage. Une addiction qui a un nom : la tanorexie.

Elle a commencé à lézarder au soleil quand elle avait 10 ans, prenant exemple sur ses proches. « Ma mère prenait beaucoup de soleil et allait au salon de bronzage, se souvient-elle. Ma tante était aussi très bronzée. Avec ses cheveux blonds, elle pouvait faire un peu star de cinéma. Le bronzage était valorisé, on se sentait belles, plus en santé. »

Dans sa course au hâle, Annie Gloutney, adolescente, passe des journées entières exposée au soleil, la peau enduite d’huile. « Personne dans mon entourage ne mettait d’écran solaire, et je n’avais jamais entendu parler des effets néfastes du soleil. » Autour de 15 ans, elle commence à fréquenter régulièrement des salons de bronzage, au printemps et à l’automne. Et ce, pendant près de 10 ans.

Et lorsqu’elle part en vacances, bronzer est une activité à part entière.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

Plus jeune, Annie Gloutney était accro au bronzage.

J’ai souvenir de vacances en Grèce ou dans les Caraïbes. Je ne me permettais pas de dormir longtemps, j’enfilais mon maillot pour aller sur la chaise longue. Je ne voulais pas manquer une seconde de soleil.

Annie Gloutney

Annie Gloutney parle d’un cercle vicieux : « Je n’étais jamais assez bronzée. »

Un sentiment que le Dr Robin Billick, chef du département de dermatologie à l’Hôpital général juif de Montréal, explique ainsi : « En bronzant, le corps libère des endorphines, plongeant la personne dans un état de relaxation et de bien-être, un peu comme avec une prise de morphine. Le bronzage est addictif. Les gens bronzés n’admettent pas les risques liés à l’exposition au soleil, qui sont pourtant bien établis. »

Diagnostic : cancer de la peau

Mais en 2008, alors qu’elle est âgée de 38 ans, Annie Gloutney remarque que l’un de ses grains de beauté grossit et devient plus foncé. Elle consulte. Le diagnostic tombe : elle est atteinte d’un mélanome (cancer de la peau le plus grave) au stade avancé. Elle tombe des nues. « J’ai le teint brun, les yeux bruns, les cheveux bruns. Pour moi, je n’avais aucune chance d’avoir un cancer, je pensais que cela ne touchait que les gens à la peau très pâle. Je me sentais protégée. J’étais inconsciente. »

« Dès lors que le soleil touche notre peau, nos cellules sont abîmées », explique le Dr Joël Claveau, dermatologue spécialisé dans le mélanome au CHU de Québec. 

Les effets nocifs arrivent 10-15 ans après. Il n’y a pas de bronzage sécuritaire.

Le Dr Joël Claveau, dermatologue au CHU de Québec

En 2010, le cancer d’Annie Gloutney récidive. Elle reçoit un lourd traitement par interféron. Nouvelle récidive en 2013. Pendant 10 ans, elle passe des scanners tous les six mois. Des années douloureuses, épuisantes, stressantes. Elle raconte avoir été rongée par « une espèce de sentiment de culpabilité », de ne pas s’être protégée, d’être allée au salon de bronzage, de ne pas avoir été suivie par un dermatologue. « Avec le recul, je pense que je voulais un teint hâlé à cause d’un manque de confiance en moi. »

Pression sociale

Alors, pour conscientiser les jeunes, Annie Gloutney a milité pour l’interdiction des salons de bronzage pour les mineurs. En 2012, le Québec est devenu la troisième province du Canada à légiférer pour interdire les salons de bronzage aux moins de 18 ans, après la Nouvelle-Écosse et la Colombie-Britannique. « La société devient de plus en plus consciente des risques liés au bronzage », observe le Dr Billick.

Annie Gloutney remarque le même phénomène, mais souligne qu’il existe toujours une pression sociale à bronzer. 

Pendant les vacances d’hiver au soleil, les gens reviennent moins bronzés qu’il y a 20 ans. Mais encore aujourd’hui, si on part une semaine au Mexique en janvier, il faut que ça paraisse en rentrant, il faut rentabiliser le voyage…

Annie Gloutney

Elle a pris l’habitude d’appliquer de l’écran solaire indice 50 à ses enfants, de leur mettre un chapeau, de les faire jouer à l’ombre, de leur faire porter un chandail à manches longues pour la piscine. Elle se souvient de son voyage en République dominicaine, il y a deux ans, avec ses filles. L’une d’elles, alors âgée de 9 ans, a naturellement le teint diaphane. Cette dernière revient de son séjour aussi blanche qu’elle est partie. « Au retour, les gens ont vu les photos de vacances. La première chose qu’ils lui ont fait remarquer était : “Oh, tu es blanche, tu ne bronzes pas du tout !” » Preuve qu’il y a encore du chemin à faire.

Une mode qui change

La vision du bronzage dépend des époques. « Avant les années 20, le bronzage était associé à la classe ouvrière, explique le Dr Robin Billick, chef du département de dermatologie à l’Hôpital général juif de Montréal. Ce n’est qu’après que Coco Chanel s’est mise à bronzer que le bronzage est devenu populaire. Et c’est cette popularité qui a entraîné une augmentation importante du nombre de cancers de la peau, de carcinomes épidermoïdes et de mélanomes, souvent fatals. »

7200

On estime que 7200 Canadiens ont été diagnostiqués avec un mélanome en 2017 et que 1250 en sont décédés, selon les données de l’Agence de santé publique du Canada.