Emblème du luxe issu de la bourgeoisie new-yorkaise, la maison Tiffany&Co. célèbre ses 175 ans dans le strass et le jazz, en s'associant à la production de l'adaptation de Gatsby le magnifique par le cinéaste Baz Luhrmann. Visite exclusive dans le royaume de la célèbre petite boîte bleue.

Un jeudi grisâtre du mois de mars, la rue Sherbrooke Ouest coule son quotidien tranquille. À la boutique Tiffany&Co., luxueusement logée dans l'immeuble du Ritz, quelques jeunes femmes asiatiques s'extasient devant les présentoirs et deux ou trois couples contemplent des alliances étincelantes. La célèbre couleur bleu turquoise domine cet écrin de sophistication, presque anachronique dans un monde de mode rapide, de vedettes instantanées et de contrefaçon.

«Tiffany ne retient que 0,2% des diamants sur le marché», indique Jean-Christophe Requero, directeur général de Tiffany&Co. Montréal. Ce jour-là, il a dévoilé aux médias la nouvelle collection signée Paloma Picasso ainsi que la collection Ziegfeld, inspirée des années folles telles que dépeintes par F. Scott Fitzgerald dans Gatsby le magnifique.

L'esprit de Tiffany est bien vivant, dans ce quadrilatère montréalais. À quelques pas du Ritz, entre les murs de la salle Bourgie du Musée des beaux-arts (MBAM), résident des vitraux créés par le fils du fondateur de Tiffany&Co. Quand il en a pris la direction, au début du XXe siècle, Louis Comfort Tiffany a apporté à l'entreprise familiale une dimension artistique et artisanale.

«Ce sont les lampes et pièces de verre qui ont fait la renommée de Tiffany en Amérique du Nord», avance la gemmologue Florence Bertrand, spécialiste des bijoux anciens, qui souligne que dans le domaine de la joaillerie, l'univers de la petite boîte bleue est désormais passé dans le mainstream. «De nos jours, le Tiffany «commercial» n'est plus inabordable. À la revente, ça ne vaut pas plus que la valeur marchande.»

De Marie-Antoinette à Anne Hathaway

Pour Nathalie Bondil, directrice du MBAM (qui a consacré une exposition aux pièces de verre de Tiffany en 2011), le succès de Tiffany&Co. est emblématique du règne des tycoons, dans les États-Unis du XIXe siècle. «Le père Tiffany a monté son entreprise de bijouterie et d'orfèvrerie en faisant de très bonnes affaires à la chute du Second Empire, en France, sur toutes sortes de pierres ayant appartenu à l'aristocratie.»

Un célèbre collier ayant appartenu à Marie-Antoinette, selon la légende, était du butin rapporté à la boutique new-yorkaise. Plus d'un siècle plus tard, l'union entre Tiffany et les célèbres coquettes perdure.

Jane Fonda, Sophia Loren, Liza Minelli, Brooke Shields, Sarah Jessica Parker ont toutes été photographiées avec de précieuses pierres signées Tiffany&Co. Dernière en date: Anne Hathaway qui, à la dernière cérémonie des Oscars en février 2013, est apparue sur le tapis rouge avec au cou un collier de diamants 54 carats.

Mais une telle association entre célébrité et pièce de collection contribue-t-elle à mousser les enchères?

Le bijou prêté est une pièce d'exception, qui n'est pas destinée à la vente, explique Florence Bertrand, qui dit que l'histoire d'un soir entre Anne Hathaway et le collier «Lucida Star» a surtout été un coup publicitaire pour la maison Tiffany&Co. «Anne Hathaway est peut-être une mignonne actrice, mais le fait qu'elle porte ce collier n'est qu'une publicité gratuite qui rappelle aux gens l'existence de Tiffany. Pour que le collier passe à l'histoire, il faudrait qu'elle l'achète», souligne Florence Bertrand, qui dit que les bijoux qui deviennent mythiques, aux yeux des habitués de Sotheby's, Christie's et compagnie, sont ceux chargés d'une légende.

«Comme le gros diamant offert par Richard Burton à Elizabeth Taylor, qu'il a repris et lui a offert de nouveau, lors de leur seconde union.»

Planète Tiffany

Dans son ouvrage Tiffany Style, 170 Years of Design, l'ex-directeur du design de Tiffany&Co. raconte que les 1000$ qui ont servi à la fondation de l'entreprise en 1837 ont fructifié à 2,4 millions en 1868. Au tournant du XXe siècle, l'entreprise employait 1000 employés et détenait des succursales à New York, Londres et Paris.

Dans les années 20, Tiffany a été le fournisseur officiel des fêtards de la scène jazz, qui s'y approvisionnaient en bijoux, montres et autres essentiels de l'époque. En 1939, Tiffany a acquis son bâtiment de la 5e Avenue pour une somme estimée à 10 millions.

Avec Breakfast at Tiffany's, la marque «a trouvé sa place dans l'imaginaire collectif du monde entier», écrit John Loring. Plus tard, Paloma Picasso, Elsa Peretti et Frank Gehry sont entrés dans la légende en créant des bijoux pour la maison.

Selon Florence Bertrand, Tiffany se démarque de nos jours pour la qualité de ses solitaires et bagues de fiançailles. Mais les grandes fortunes se faisant plus rares, le domaine de la haute joaillerie, avec ses pièces réalisées sur commande pour plusieurs millions, n'est plus l'apanage de Tiffany&Co. À l'autre extrême, les lieux de magasinage de masse ont pris une importante part du marché.

«Ce n'est pas tout le monde qui peut magasiner chez Tiffany», souligne Pierre Leblanc, consultant pour la firme Canadian Diamonds. Il nous apprend d'ailleurs que le plus grand vendeur de la planète est nul autre que... Walmart. «On y vend des carats en quantité presque industrielle.» Il évalue qu'en 2015, les Chinois pourraient être les plus importants acheteurs de diamants de la planète.

S'il vivait de nos jours, Gatsby le magnifique serait probablement chinois. Preuve que le monde a connu maintes révolutions, depuis que Charles Lewis Tiffany est rentré chez lui avec les précieux joyaux de la Couronne de France.