Dans le climat économique actuel, il devient indécent d'acheter un sac à main coûtant des milliers de dollars. La maniaque du shopping à tout prix (fashionista) doit se refaire une image.

Prenons le cas du sac en cuir verni à garnitures dorées de la designer Anya Hindmarch, vendu 1235$.

Mary Hall, directrice du marketing de IBM, a compris le signal. Elle a acheté chez Target un sac en polychlorure de vinyle du même designer, tout aussi éblouissant, pour 49,99$.

«Grâce à la crise financière, je me corrige», dit-elle.

Bienvenue au chic récessionniste et à sa personnification: la recessionista, qui assortit son style au budget. Pas étonnant que certains jugent la nouvelle garde-robe de Sarah Palin (75 000$ chez Neiman Marcus et 50 000$ chez Saks) de mauvais goût.

Mme Hall a connu le terme par les journaux et les sites web comme Jezebel.com. Elle a même créé un blogue pour partager ses choix chic et bon marché: therecessionista.blogspot.com

Le phénomène vient en partie des efforts des publicitaires de la mode et la beauté, qui veulent transformer le ralentissement économique en tendance de consommation. Par exemple, Bourjois, une société française de cosmétiques à prix modéré, a envoyé récemment aux journalistes un courriel présentant ses rimmels et brillants à lèvres les moins coûteux comme la «Collection Recessionista», antidote à la morosité. La semaine dernière, un courriel du Salon Eliut Riviera de Manhattan proposait la «Recessionista Beauty», des rabais sur la taille des cheveux et des sourcils.

Ce nouveau mot «atténue une tendance défavorable à l'industrie des produits de consommation, la redirige et transmet un message trompeur aux consommateurs», a écrit Heather Viggiani dans le blogue de la firme de relations publiques où elle travaille (www.piercemattiepublicrelations.com).

Mme Viggiani y a décrit aussi la tendance au chic récessionniste du commerce au détail: «Plusieurs marques au rabais profitent de la récession pour positionner leurs produits comme étant non seulement les plus sensés, mais aussi les plus prestigieux.»

Grant Barrett, terminologue spécialisé dans les néologismes, estime que le mot «recessionista» vise à justifier les Américains d'acheter encore plus. «Il offre aux consommateurs une justification pour leur comportement dépensier.» Sur son site web (DoubleTongued.org), M. Barrett qualifie la recessionista d'accroche publicitaire en progression. Au cours d'une récente entrevue téléphonique, il a ajouté: «Comme ils dépensent moins ou obtiennent plus, ils jugent correct de consommer. C'est un message très intéressé.»

Le chic récessionniste n'est qu'une variante d'expressions utilisées depuis longtemps par les publicitaires de la mode: chic hippie, chic des années 70, chic tribal, chic militaire, chic web, écochic, etc.

En février, le titre Recession Chic coiffait un article de Lisa Armstrong, chroniqueuse de mode au Times de Londres, qui notait le retour des tailleurs chez les femmes d'affaires. En avril, le même titre a paru dans le magazine Time, au-dessus d'un article de Kate Betts sur les nouvelles collections: «Avec l'automne, la mode suit la spirale descendante des investissements et les designers adoptent une palette sombre et des coupes austères.»

Pour que le chic récessionniste devienne une tendance, il lui faudra toutefois vaincre l'image d'extravagance associée à l'achat de vêtements dans des conditions économiques incertaines.

Style.com, le site web du magazine Vogue, juge dépassé le style dépensier mis en valeur dans Sex and the City. À sa place, il propose un nouveau modèle: une héroïne courageuse capable de trouver des griffes même lorsqu'elle risque de perdre sa maison.

Derek Blasberg y a écrit cet été: «Si la fashionista est enfermée avec ses vêtements dans un coffre-fort, sa jeune soeur - la recessionista - trouve des vêtements griffés au rabais dans les centres commerciaux. Vous la verrez chez Target, Uniqlo, Payless ou Kohl's, qui ont récemment conclu des ententes avec des designers. La recessionista ne laisse pas des détails comme la chute boursière ou la hausse des prix du pétrole menacer sa garde-robe.»

L'appellation peut paraître nouvelle, mais la volonté de vendre en période de récession ne l'est pas.

Un catalogue Sears de 1930, au début de la Grande Dépression, proposait des «manteaux dans le nouvel esprit d'économies» à un prix variant entre 9,25$ et 25$. Des expressions comme «soyez économe et avisée» ou «recherchez le chic économique» faisaient la promotion de robes à 4,98$ ou 8,98$.

Au lendemain du krach boursier de 1987, les designers ont commencé à offrir des collections secondaires moins coûteuses. En 1989, par exemple, Donna Karan a créé DKNY.

Photo: Bloomberg

Le mot «recessionista» plonge certes ses racines dans les problèmes économiques. Selon les terminologues, les financiers l'ont d'abord utilisé pour désigner une personne qui prévoit une récession ou qui croit qu'une récession serait bénéfique pour l'économie.

Cependant, au cours des six derniers mois, des publicitaires, des détaillants et même quelques consommateurs ont donné une nouvelle vie à ce mot qui rime avec fashionista.

«Ce sont des paronymes, souligne Paul McFedries, propriétaire d'un dictionnaire en ligne d'accroches auquel le nouveau mot s'est ajouté en juillet dernier. Il peut paraître insouciant de créer un néologisme à partir de la récession pour désigner un mode de consommation, mais les gens l'utilisent parce qu'il est amusant.»

Mme Hall affirme que ses amis aiment tellement le mot qu'ils l'ont surnommée recessionista. «Il est plus facile de renoncer à un achat parce qu'on est recessionista que parce qu'on n'en a pas les moyens, avoue-t-elle. La terminaison du mot a quelque chose de bling, il me semble.»

Le mot rappelle un autre néologisme de la crise du crédit: «staycation» - un euphémisme désignant des vacances à la maison. En comparaison, des expressions à connotation négative - comme «chic frugal», «vêtements antirécession» ou «régime d'achats» - n'ont pas la faveur du public ou du monde de la mode.

M. McFedries estime que le mot est plus positif que «simplicité volontaire» ou «consommation compulsive».

Selon lui, «les publicitaires cherchent des expressions qui font paraître les choses moins graves qu'elles ne le sont. Il faut être positif pour convaincre les gens d'acheter des produits non essentiels quand ils n'en ont pas envie.»

La recessionista risque toutefois de n'être pas la dernière trouvaille pour promouvoir les rabais des designers.

Si l'économie se détériore, attendez-vous à la depressionista.