(Madrid) « Ce qu’on veut, c’est voir un petit garçon avec un porte-bébé dans un catalogue » de Noël. En Espagne, pays pionnier en matière de féminisme, industrie du jouet et gouvernement se mobilisent pour tenter d’en finir avec les stéréotypes de genre dès le plus jeune âge.

Depuis dix ans, la marque Toy Planet, implantée à Paterna près de Valence, promeut la publicité unisexe.

En feuilletant son catalogue, on tombe sur une petite fille, pistolet à la main et revêtue d’un gilet pare-balles de la police d’élite. Quelques pages plus loin, une autre tape dans un sac de boxe, tandis qu’un petit garçon se tient derrière une poussette.

« Les jouets ont une fonction importante dans la formation des adultes » et « nous voulons qu’à l’avenir, un garçon puisse être sage-femme et une fille mécanicienne », explique Ignacio Gaspar, son directeur.

Cette entreprise a décidé il y a dix ans d’« inverser la situation » en montrant « des garçons avec des poupées et des filles avec des caisses à outils », après avoir écouté ses clients dénonçant sur les réseaux sociaux une communication « vieillotte ».

Elle a toutefois dû faire face à des critiques très violentes du genre « “vous allez faire des garçons des tapettes et des petites filles des garçons manqués” », raconte Ignacio Gaspar.

Stop au bleu/rose

Pionnière dans la lutte contre les violences de genre, l’Espagne compte un mouvement féministe très puissant, dont se réclame le gouvernement de gauche de Pedro Sanchez.

Son ministre de la Consommation, Alberto Garzon, a signé avec l’industrie du jouet un code de bonnes pratiques, entré en vigueur le 1er décembre, dans le but d’« encourager l’égalité des genres dans les publicités de jouets ».

Les publicités dans les médias, à la télévision ou sur les réseaux sociaux ne devront donc plus indiquer explicitement qu’un jouet est destiné à un genre plutôt qu’à un autre, assigner le rose aux filles et le bleu aux garçons ou reproduire « les rôles de genre ».

Ce code, signé avec l’Association espagnole des fabricants de jouets (AEFJ), qui regroupe 90 % des producteurs en Espagne, a nécessité une année de travail, précise le directeur général de la Consommation et du Jeu du ministère, Rafael Escudero.

Sa portée reste toutefois limitée puisqu’il ne concerne pas les emballages et ne s’appliquera pas à la publicité dans les rues, ni aux catalogues des magasins de jouets, relativise-t-il, en reconnaissant que d’éventuelles entorses de la part des entreprises n’entraîneront pas de sanctions mais un « risque réputationnel ».

Les grandes marques internationales ne sont par ailleurs pas concernées, ce qui limite aussi la portée de ces règles.

« Ce n’est évidemment pas suffisant, mais c’est nécessaire pour avancer » face aux « stéréotypes machistes et sexistes qui existent dans tous les secteurs de la société », insiste Rafael Escudero.

Sur l’avenue madrilène de Gran Via, où les passants font leurs courses de Noël, Julio Cesar Araujo, grand-père de 62 ans, tient, lui, toujours aux différences de genre. « Les filles auront des poupées » à Noël, dit-il, avant de nuancer immédiatement. « Mais bon, si une fille veut jouer avec une petite voiture, on lui achètera une petite voiture. »

« Devoir pédagogique »

Propriétaire avec son mari de la boutique madrilène Kamchatka, vendant des jouets « éducatifs, non sexistes, écologiques et anti-belliqueux », Nathalie Rodriguez, 48 ans, s’évertue à démonter les stéréotypes.

« Je crois au devoir pédagogique de la personne qui vend » les jouets, explique la commerçante, habitée par son militantisme.

« Le jouet en soi n’implique pas » de sexisme, « c’est le regard de l’adulte qui est derrière (l’enfant), qui le fabrique, qui le vend ou le commercialise qui peut l’impliquer », analyse-t-elle. « Ce qu’on veut, c’est voir un petit garçon avec un porte-bébé dans un catalogue. »

Avec humour, elle propose des alternatives aux clients : « Quand un grand-père te dit qu’il ne veut pas de la cuisine, car le cadeau est pour un garçon, je réponds que cela n’a pas de sens dans un pays qui compte autant de chefs reconnus. »

Certains parents, comme Tania San José, professeure de 41 ans à Pampelune, jugent qu’il était temps que le gouvernement impose des règles même si ça arrive « tard ». « Malheureusement il y a encore des jouets de garçons et des jouets de filles, mais notre génération (de parents) essaye de faire en sorte que ce ne soit plus le cas », dit-elle.

Preuve que les esprits ont déjà évolué, Angela Muñoz, 47 ans, est presque décontenancée par les questions sur le sujet et assure « pouvoir très bien acheter une poupée pour (son) fils », car « les enfants doivent pouvoir utiliser n’importe quel jouet ».