La salle était dénudée, froide et sombre. Du moins dans mon souvenir. Nos souvenirs en disent souvent davantage sur notre état d’esprit que sur l’état des faits. Je me suis retrouvé seul avec l’infirmière, quinquagénaire guillerette, avant l’arrivée du médecin. Elle m’a regardé en se pinçant les lèvres et en plissant des yeux. « Mais je vous reconnais, vous ! Vous faites l’émission de télé avec André Robitaille ! »

Je n’ai pas eu le loisir de lui demander si elle souhaitait que je lui fasse parvenir par la poste une photographie autographiée d’André. Elle enduisait déjà scrupuleusement mon scrotum d’un liquide orangé, du côté de mon testicule gauche. Ou était-ce le droit ? Ou les deux ? Je ne me rappelle plus.

Je ne crois pas m’être senti plus vulnérable que ce matin de septembre 2012, couché sur une civière, nu comme un ver sous une jaquette bleue, les jambes écartées et le rapport à l’air (ou « Allaire », si vous appréciez les calembours adéquistes). J’avais, je crois, une vague idée de ce que ressent une femme pendant un examen gynécologique.

Il suffirait de deux « minimes incisions » sous anesthésie locale, m’avait prévenu l’urologue, et le tour serait joué. Les canaux déférents seraient ligaturés. De l’importance de minimiser, en ces délicates circonstances…

Une semaine plus tard, j’avais toujours la bourse enflée d’un côté (le gauche ou le droit, je ne sais plus). « Ça élance », ai-je expliqué au médecin, sibyllin. J’avais passé un mauvais quart d’heure, debout le long de la ligne de touche, au match de soccer de Fiston pendant le week-end. Je n’étais plus à l’aise que couché, avec sac de petits pois congelés. Je carburais aux Advil. Le simple souvenir de ce désagrément me provoque une légère crispation psychosomatique au niveau du paquet.

J’ai fini par rater trois jours de travail et consulter mon urologue à son bureau, dix jours après l’intervention. « Je pense que j’ai surtout besoin d’être rassuré », lui ai-je expliqué par courriel. Il ne semblait pas très inquiet. Après être passé le voir, par magie, tout s’est rapidement résorbé. Fin de l’histoire. J’ai su, cinq mois plus tard, ce qu’était vraiment la douleur, après une cystoscopie et un épisode de coliques néphrétiques, qui n’avaient rien à voir avec ma vasectomie. Je vous épargne les détails.

Je n’avais pas 40 ans, mais après la naissance de mes deux fils, c’était à mon tour de faire ma part. La contraception ne devrait pas être une préoccupation féminine, rappellent les intervenants du reportage de ma collègue Léa Carrier. Parmi ceux-ci, il y a des femmes sur qui l’on a trop longtemps fait retomber, pour l’essentiel, la responsabilité de la contraception. Il se trouve aussi de plus en plus de jeunes hommes ayant décidé de prendre le taureau par les cojones en assumant leur part du contrat contraceptif. Ils participent à l’effort collectif, que ce soit en partageant la charge mentale ou en envisageant, pour plus tard, la stérilisation.

J’ai toujours estimé que la contraception était une charge à partager. Je me souviens de la première fois que j’ai dû acheter des condoms. C’était dans une pharmacie Jean Coutu du boulevard Pierrefonds. J’avais 16 ans. J’avais peut-être acheté des chips ou un magazine afin de noyer le poisson contraceptif dans une variété d’emplettes considérées moins suspectes pour mon âge. Et pour détourner le regard de la caissière de mes joues adolescentes rosies par la gêne. Au moins, je n’étais pas seul. Ma blonde de l’époque m’accompagnait.

Plusieurs hommes sont tombés des nues, ces dernières semaines, en étant mieux informés des possibles conséquences sur la santé des femmes de la contraception orale.

Les risques de thrombose liés au vaccin AstraZeneca (1 sur 100 000) ont mis en lumière les effets secondaires non négligeables de la pilule contraceptive (un risque de thrombose évalué à 90 sur 100 000, même si la gravité n’est pas la même que celle observée avec le vaccin).

C’est sans parler de tous les autres effets secondaires potentiels de la contraception orale ou du stérilet sur les maux de tête, les sautes d’humeur, l’acné, les douleurs abdominales ou la prise de poids. C’est aussi pour parer aux autres conséquences à long terme de ces méthodes de contraception que je me suis fait vasectomiser. À chacun ses compromis en matière de contraception.

Je n’ai pas plus de mérite que mon prochain. La ligature des canaux déférents reste une méthode de contraception populaire chez les hommes au mitan de la vie. Ça ne prend pas plus de couilles que ça. Si on m’avait plutôt proposé qu’apparaissent des émoticônes de comprimés rouges et jaunes sur mon téléphone cellulaire, comme un intervenant du reportage de Léa, je n’aurais sans doute pas hésité. Mais les émoticônes n’étaient pas en vogue à l’époque du Canal Famille… et le contraceptif oral masculin n’est toujours pas au point.

« Il faut être convaincu à 100 % », s’est assuré mon urologue avant de fixer le rendez-vous à l’hôpital. Je l’étais. Quelque 10 ans plus tard, je ne le regrette pas. Malgré les désagréments de ma petite mésaventure post-opératoire – ceux qui subissent la même intervention sont d’ordinaire de retour au travail dès le lendemain – et les inévitables railleries que suscitera cette chronique. Car oui, figurez-vous, un homme peut parler de sa vasectomie sans se sentir le moindrement émasculé.