C’était mardi soir, peu avant minuit. J’étais accroupi sur le plancher de tuiles de mon sous-sol, le bras distendu, cherchant à tâtons sur le béton humide dessous, à travers une ouverture d’un pied carré, tout ce qui s’apparente par sa consistance à de la terre glaise. Je me suis dit que ce désagrément était une métaphore de l’année de m…. qu’on vient de connaître.

J’ai parlé cette semaine à des amis endeuillés récemment par la mort d’un proche. J’ai lu qu’un ami Facebook, qui vient d’être opéré au cerveau pour une tumeur, n’arrivait plus à écrire à la main le titre de son premier roman. J’ai écouté une classe d’étudiants à l’université me parler de leurs stratégies pour maintenir l’équilibre.

J’ai vu sur le trottoir, dans l’est de la ville, un homme et une femme dans la cinquantaine, le masque rabaissé au menton, le visage empourpré de colère, s’injurier dans un violent face-à-face. J’ai constaté plusieurs fois que le désespoir et le mal-être des gens se traduisaient par un flot d’immondices sur les réseaux sociaux.

Le monde ne tourne pas rond. Un an de pandémie et 10 000 morts plus tard, on ne s’en étonne pas. En comparaison, qu’est-ce qu’un refoulement d’égout, sinon le rappel qu’on a le privilège d’avoir un toit et même un sous-sol ? Cette semaine, mes mésaventures me sont apparues comme une goutte… d’eaux usées qui a fait déborder le vase de ma mauvaise humeur.

PHOTO GRAHAM HUGHES, LA PRESSE CANADIENNE

« Je vois au moins la lumière au bout du tunnel (de quatre pouces). C’est comme pour la dernière année. On va finir par en avoir terminé avec cette pandémie. Mais il faudra en tirer les leçons nécessaires », écrit notre chroniqueur.

Le prétexte au troisième volet de mes chroniques du sous-sol. Je récapitule. Pendant le temps des Fêtes, pour combler à la fois un désir d’autonomie de Fiston et un besoin d’espace de travail pour moi-même, nous avons aménagé la chambre de mon aîné, 17 ans, au sous-sol et je me suis aménagé un bureau à l’étage. Ce ne fut pas sans écueils. J’ai fracassé la monture de mes lunettes en déménageant son sommier dans sa nouvelle chambre. J’ai réussi de peine et de misère à déboucher la baignoire, dont on ne s’était pas servis depuis deux décennies, comme je l’ai écrit dans ma chronique du 6 décembre.

J’aurais dû me méfier. À la mi-janvier, j’écrivais à la blague que Fiston avait reçu les cadeaux les plus inoubliables de sa vie : un tapis de bain antidérapant (beige) et un porte-papier de toilette. Cette semaine, ma blague est revenue me hanter. C’était prémonitoire. Le tapis n’est plus beige et le papier de toilette a inondé le bain. Si ce n’était que ça…

Nous filions le parfait bonheur familial, dans la nouvelle configuration de la maison – Papa est en haut, Fiston est en bas –, lorsque le feng shui a viré au feng chie. Mauvais karma ! Le week-end dernier, le bain du sous-sol s’est rempli d’une eau opaque et terreuse. Lorsqu’il s’est vidé au compte-gouttes dans la nuit de vendredi, il a laissé des stries d’une matière que j’ai d’abord refusé d’identifier. Le déni et l’évitement étant des mécanismes de défense naturels.

Le lendemain, le bain s’est de nouveau rempli, notamment de l’eau de la laveuse et du lave-vaisselle (si ce n’était que ça…), et dimanche matin, il était tapissé d’un « shag » velouté d’une couleur que je ne nommerai pas – mais qui commence par « br » et se termine par « un ». Pas de doute, à la base, c’était du papier de toilette, symbole par excellence de la pandémie.

Un cauchemar de métaphore. Le lundi matin, un plombier est venu d’urgence à la maison, d’un âge vénérable de 111 ans (la maison, pas le plombier), sans pouvoir régler le problème. En après-midi, l’égoutier d’une entreprise dont la raison sociale semble être une réponse à l’expression « radio-poubelle » a pris le relais, sans plus de succès. Son découragement, quatre heures plus tard, a fini par déteindre sur moi.

Surtout que le lendemain matin, un nouveau plombier s’est présenté, l’air tout aussi dépité. Il a changé un bout de tuyauterie sans conviction, sachant en son for intérieur que c’était en pure perte. Il m’en avait coûté près de 2000 $ en main-d’œuvre et j’étais toujours au point de départ. Un bain bien plein et de l’argent directement dans le drain.

Heureusement, mardi après-midi, un égoutier d’expérience a repéré le regard d’égout principal de la maison (l’original, selon lui), caché sous le plancher de tuiles. Était-il vraiment trop bas pour tenter de récupérer une partie des eaux usées avec un seau, comme je l’ai suggéré, afin de limiter les dégâts ? Je ne le sais pas. Ce ne fut pas fait et la redoutable concoction s’est déversée sur mon plancher de béton, à l’abri de mon regard et hors de ma portée.

C’est ainsi que je me suis retrouvé mardi soir, puis de nouveau mercredi, à ramasser autant que possible cette « terre glaise » à main nue (j’en ai rempli deux sacs d’épicerie), obsédé par ce qui menaçait de sécher sous mon plancher. J’ai frotté, lavé, relavé avec des chiffons et une vadrouille. J’ai exploité tous les remèdes de grand-mère que j’ai pu trouver sur le web (vinaigre blanc, gros sel, sable) jusqu’à ce que plus personne dans la maisonnée ne puisse identifier cette odeur qui semble pourtant s’être imprégnée dans mes narines jusqu’à l’obsession, pour ne plus s’en dégager.

Il faudra, bien sûr, refaire les canalisations jusqu’à l’égout principal. Sinon, d’autres refoulements seront inévitables. Des racines se sont infiltrées dans les joints. Une vidéo a permis d’identifier la principale source du problème, qui se trouve dans la rue. Malgré tout, il semble que les travaux d’excavation et de remplacement des conduites se feront en grande partie à ma charge. J’en saurai davantage la semaine prochaine. Heureusement qu’on n’a pas voyagé cette année…

Je vois au moins la lumière au bout du tunnel (de quatre pouces). C’est comme pour la dernière année. On va finir par en avoir terminé avec cette pandémie. Mais il faudra en tirer les leçons nécessaires. S’attaquer à la racine du problème : changer nos habitudes, respecter les écosystèmes, freiner le consumérisme, stopper le capitalisme sauvage. On ne peut plus se contenter de poser des diachylons sur des plaies béantes. Sinon, c’est un tsunami de m…. qui nous guette. Et qui risque de nous exploser au visage.