Fin février, le CHU Sainte-Justine a fait un appel à témoignages sur ses réseaux sociaux. L’objet de la recherche ? Des adolescents qui profitent de la pandémie pour se dépasser, s’accomplir, se valoriser. Des jeunes qui vont bien, quoi !

Sainte-Justine a reçu de nombreuses réponses, dont celle de Julie Lacroix, mère de Charles, 13 ans, qui présente un profil de douance et de TDAH. « Le primaire a été difficile et la pandémie a presque été une bénédiction pour lui. Il a pu avancer à son rythme dans ses travaux et faire ses propres projets », a écrit Julie Lacroix. Il y a aussi eu la réponse d’Élisabeth Bisaillon, élève de première année au cégep qui souffre de douleurs chroniques. « Je me suis toujours fait un point d’honneur d’aider mes camarades qui en avaient besoin », a écrit Élisabeth.

La Presse a réuni Julie, Charles et Élisabeth autour d’une table ronde (virtuelle) avec la Dre Lila Amirali, médecin psychiatre et chef du département de psychiatrie au CHU Sainte-Justine. Le but : donner une voix aux jeunes qui s’en tirent bien, y compris ceux qui ont a priori des défis, et comprendre pourquoi ils vont bien.

On entend beaucoup parler de la détresse ressentie par nombres d’adolescents en cette ère pandémique. À raison : cette détresse est bien réelle, nous dit d’emblée la Dre Amirali.

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La Dre Lila Amirali, médecin psychiatre et chef du département de psychiatrie au CHU Sainte-Justine

À nos urgences, on a eu une diminution pour les personnes qui arrivent chez des maladies physiques, mais ça n’a pas diminué du tout pour la souffrance psychosociale.

La Dre Lila Amirali, médecin psychiatre et chef du département de psychiatrie au CHU Sainte-Justine

Elle donne l’exemple des symptômes d’anxiété et de dépression, des troubles alimentaires et de la dysrégulation de l’humeur affective. Les jeunes ne sont pas tous égaux devant la pandémie, rappelle la Dre Amirali, qui pense à ceux qui vivent dans un milieu difficile, qui n’ont pas d’espace pour s’isoler, qui n’ont pas accès au WiFi ou à un ordinateur…

Mais la Dre Amirali voit aussi des jeunes qui s’en tirent bien, et qui semblent même bénéficier d’une flexibilité qu’ils n’avaient pas avant. « Ça ne remplace pas la souffrance de la majorité, mais pour ces jeunes qui répondent mieux à cette flexibilité, on a quand même quelques résultats qui sont les silver linings [côtés positifs], note Lila Amirali. Une situation de crise est toujours une occasion d’apprendre, de surmonter nos difficultés et de prouver notre résilience. »

Transitions en douceur

Quand les écoles ont fermé, en mars, Charles Lacroix Lacoste, alors en 6e année dans une école alternative, n’était pas mécontent. Celui qui a un plan d’intervention à l’école (la gestion de l’ennui et l’organisation sont ses défis) a fait preuve d’une autonomie qui a agréablement surpris sa mère.

Ses parents avaient des appréhensions avec l’entrée au secondaire en contexte pandémique, mais tout s’est fait en douceur. Le cocon formé autour des élèves (qui ne se déplacent pas de classe en classe à cause de la pandémie) y est sans doute pour quelque chose, selon la mère de l’adolescent, Julie Lacroix.

Charles est d’accord. « Je pense que, avec la pandémie, c’était un peu plus facile de s’habituer qu’en temps normal, dit-il. Ça a aidé un peu mon organisation et à bien commencer. » Et le masque ? « Au début, je n’étais pas content, mais je fais avec. En plus, c’était un moyen d’occuper ma grand-mère parce que c’est elle qui faisait mes masques », lance Charles, sourire en coin. Pour dépenser son énergie, il fait quatre séances de karaté par semaine, dans son salon.

Élisabeth Bisaillon a vécu elle aussi une transition à distance, du secondaire au cégep. Son parcours est aussi atypique. Au début de l’adolescence, elle a reçu un diagnostic de douleur chronique, auquel s’ajoutent une double scoliose et la maladie de Hashimoto, qui attaque la glande thyroïde. Élisabeth est suivie au CHU Sainte-Justine.

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Élisabeth Bisaillon, 17 ans, s’implique et se donne à l’école malgré ses douleurs chroniques.

C’est clair que ce n’est pas toujours facile : je n’ai vu ma meilleure amie qu’une fois en un an. Mais j’essaie de trouver des points positifs. Et ce qu’il y a de bon dans la pandémie, c’est que, quand je suis à l’hôpital, je suis capable de suivre mes cours.

Élisabeth, selon qui il faudrait continuer de proposer l’enseignement à distance après la pandémie

À l’école, Élisabeth maintient un standard d’excellence. Elle s’implique dans l’association étudiante comme déléguée à la pédagogie et fait du bénévolat à son église de quartier. « Ça me permet d’avoir un but le matin et de me faire une carapace par rapport à la douleur chronique », dit l’adolescente, qui garde contact avec ses amies grâce aux réseaux sociaux.

La Dre Lila Amirali sourit en écoutant Charles et Élisabeth parler de leur vécu. « Dans ce que vous dites, il y a des leçons universelles », dit-elle. L’altruisme dont fait preuve Élisabeth est porteur de sens et aide à surmonter ses propres difficultés, croit la Dre Amirali. Le soutien de la mère de Charles, qui a su anticiper les difficultés, est aussi un facteur important, dit-elle.

Parmi ses patients, pour différentes raisons, certains ont été soulagés de voir moins de gens et de devoir faire l’école à distance, à temps plein ou à temps partiel : des adolescents intimidés à l’école, de jeunes autistes qui ont de la difficulté avec les interactions sociales, des patients qui souffrent de psychose… Aujourd’hui, rappelle la médecin psychiatre, tout est accessible en ligne.

« L’interaction et les relations sociales sont une grande partie de notre humanité », précise la Dre Amirali, selon qui l’isolement n’est évidemment pas la solution. « Sauf qu’il faut quand même protéger ceux qui sont plus vulnérables et les exposer au meilleur milieu. Et j’espère que cette flexibilité-là va rester. »