Après près d’un an de confinement, la question se pose : comment vont les parents ? Leurs enfants ? Beaucoup moins bien pour les premiers, mais pas si mal pour les seconds, constate une chercheuse qui suit 150 familles depuis le début de la pandémie. Un verdict mitigé qui soulève plusieurs inquiétudes quant à l’avenir. Explications en trois temps.

Détérioration du moral chez les parents

« Les parents protègent leurs enfants de manière impressionnante. Ils font une super job, mais par contre, leur santé mentale se détériore : 66 % ont des symptômes d’anxiété significatifs », résume d’emblée Christine Gervais, professeure au département des sciences infirmières de l’Université du Québec en Outaouais, qui mène, avec deux collègues, une enquête inusitée depuis le début de la pandémie. Baptisée Réactions — Récits d’enfants et d’adolescents sur la COVID19, l’étude porte sur 150 jeunes (de 7 à 17 ans) et autant de parents (de 28 à 69 ans) des quatre coins du Québec, interrogés tout au long de la dernière année (en avril, en juillet, puis en novembre), question d’évaluer leur moral et leur fonctionnement familial et social.

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Christine Gervais, professeure au département des sciences infirmières de l’Université du Québec en Outaouais

Précision : les familles, de manière générale, sont ici plus favorisées que la moyenne : 85 % des parents sont en couple (mariés ou conjoints de fait) et ils sont aussi nombreux (85 %) à détenir un diplôme universitaire. N’empêche : leur moral n’est pas au beau fixe. « Les parents sont revenus aux niveaux d’anxiété, de stress et de dépression du premier confinement », constate la chercheuse. Pire : « si, pendant la première vague, les parents arrivaient à voir certains effets positifs de la pandémie […], maintenant, l’expérience est plutôt négative ». Les mesures restrictives annoncées l’automne dernier (avec le semi-reconfinement) ont effectivement pesé lourd sur le moral et la santé mentale des troupes.

Des enfants qui s’adaptent

La chercheuse distingue ici les plus vieux enfants (au secondaire) des plus jeunes. On le sait, les jeunes de troisième, de quatrième et de cinquième secondaire vont à l’école un jour sur deux seulement, en zone rouge, depuis plusieurs mois maintenant. Et de toute évidence, ça aussi, ça pèse. « Ils ont beaucoup plus de difficultés que les plus jeunes, cela joue sur leur motivation, leur stress », constate Christine Gervais, qui entend beaucoup d’adolescents s’inquiéter pour l’avenir. « Est-ce que cela va me fermer les portes dans mon choix de carrière, au cégep ? » La chercheuse n’en revient d’ailleurs pas que la question d’un éventuel retour à temps plein n’ait pas du tout été évoquée, jusqu’à tout récemment. « Quel message est-ce qu’on envoie aux jeunes en n’abordant même pas la question ? s’interroge-t-elle. Que l’école, ce n’est pas si important ? »

Cela dit, enchaîne la chercheuse, de manière générale, « ils s’adaptent ». Quand on les invite à dresser un bilan de la pandémie, elle constate que les plus jeunes, notamment, arrivent à trouver un « sens » à tout ce qui a bouleversé leur vie depuis bientôt un an maintenant. Un exemple ? « Avec son masque, je comprends moins bien mon prof », expriment plusieurs enfants, en ajoutant du même coup : « Mais c’est correct, je comprends. » « Les jeunes semblent vraiment s’adapter à la situation », résume-t-elle. Ce qui n’est pas forcément une bonne nouvelle.

Inquiétudes pour l’avenir

« Les jeunes vont plutôt bien, tellement que c’est préoccupant de ne pas voir plus de résistance… », laisse-t-elle finalement tomber. En effet, à les entendre ainsi s’accommoder de leur nouvelle réalité, elle se demande s’ils ne taisent pas des inquiétudes plus profondes. « C’est inquiétant, je pense, qu’ils ne se permettent pas d’exprimer ce qu’ils vivent […], qu’ils ne se donnent pas le droit de voir ce qu’ils ont perdu. » Pourquoi donc ? La chercheuse avance ici deux hypothèses : d’une part, peut-être que, sentant leurs parents mal aller, ils ne veulent pas en rajouter. D’autre part, peut-être est-ce leur moyen à eux de composer avec la situation ? « En restreignant leurs émotions négatives, ça leur permet de continuer à faire face à la situation. »

C’est d’autant plus inquiétant que les jeunes ne voient pas vraiment de fin à cette pandémie. « La moitié pensent que ça ne finira pas, et chez les plus jeunes, on a énormément de difficultés à se rappeler ce qu’était la vie avant la pandémie. » Comme si le confinement, la distanciation physique, les rendez-vous virtuels et le port du masque avaient été trop bien intégrés — d’où l’inquiétude. « Par rapport à ce qu’on veut comme société, ce qu’on souhaite pour la suite, cela soulève des questions : comment vont-ils entrer en contact les uns avec les autres ? Est-ce qu’ils vont être capables d’entrer en contact en personne ou est-ce que tout va rester virtuel ? » À suivre : la chercheuse entend aussi poursuivre son étude jusqu’en septembre prochain.