Fiston « rentre » au cégep à l’automne. Je mets des guillemets parce que sa rentrée risque d’être virtuelle ou hybride. Même si au rythme où vont les choses en général, et la vaccination en particulier, je peine à comprendre pourquoi il ne se retrouverait pas à temps plein sur les bancs d’école à la fin août.

Il y a pourtant des établissements d’enseignement supérieur qui ont déjà signifié à leurs étudiants que leur présence ne serait pas requise ni souhaitée à temps plein à la rentrée. Je me demande quel intérêt ils ont à déclarer ça maintenant, à trancher la question alors que leurs étudiants ou futurs étudiants commencent ou s’apprêtent à être vaccinés. N’est-ce pas contre-productif, et surtout, prématuré ?

Je lisais le dossier de ma collègue Josée Lapointe, qui a interviewé huit finissants du cégep ayant traversé tant bien que mal les 14 derniers mois. Certains ont passé plus de la moitié de leurs études collégiales à la maison. On leur avait promis qu’ils seraient en classe au moins une journée par semaine. Certains ont à peine mis les pieds au cégep depuis mars 2020. Cette étape de leur cheminement scolaire a été plus ou moins sacrifiée à la pandémie. Du moins dans sa forme habituelle et souhaitable.

Je lisais leurs témoignages et j’en avais les larmes aux yeux. Leur santé mentale et physique a été mise à l’épreuve. Certains ont vécu des épisodes d’anxiété ou de dépression, d’autres ont dû renoncer à un voyage de fins d’études qui avait motivé leur inscription à un programme particulier. Plusieurs ont dû fêter leurs 18 ans seuls, sans leurs amis. Contraints à espérer le jour où ils pourront faire une première sortie dans un bar.

C’est le début de leur âge adulte qui est resté en suspens. Un âge où les expériences collectives nous construisent tous.

C’est peut-être ce qui m’a le plus ému dans leurs constats : les imaginer dans leur chambre, fêtant leur majorité sur Zoom. Me remémorant mes propres années de cégep, à sortir dans des bars qui n’existent plus avec ma bande d’amis.

Ils ont peut-être la chance de ne pas savoir ce qu’ils ratent. Ce qui les fait poser un autre regard, forcément, sur cette expérience et sur cette période charnière de leur vie que celui nostalgique de leurs parents. Je les ai trouvés beaux, résilients, philosophes. Ils méritent toute notre admiration. Certainement pas de se faire dire par leurs aînés que ce qu’ils vivent n’est pas une épreuve digne de ce nom.

Je lisais donc le dossier de Josée, et je me disais que si les choses ne changent pas plus vite, une autre cohorte d’étudiants de cégep sera tout autant à plaindre que la précédente. La plupart de ceux qui terminent en ce moment leur première année de cégep à distance ne savent pas encore s’ils auront l’occasion d’y être à temps plein à l’automne.

Les étudiants ont pourtant besoin de savoir ce qui les attend au tournant. De se préparer psychologiquement à la suite des choses. De savoir s’ils doivent toujours se louer un appartement ou réserver leur place dans une résidence étudiante. Ils ont surtout besoin d’espoir. Leurs espoirs ont si souvent été déçus dans la dernière année. De l’espoir, il y en a plus ou moins, selon qui l’on se réfère…

« Le ministre Dubé a annoncé la semaine passée qu’une première dose serait administrée aux 12-17 ans avant la fin du mois de juin, ce qui touche nos étudiants collégiaux, m’a expliqué cette semaine une porte-parole de la ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann. Avec cette évolution très positive, nous sommes en discussions régulières avec la Santé publique pour que d’autres allègements puissent être annoncés rapidement, en fonction de la situation sanitaire, pour nos étudiants à propos de la rentrée d’automne 2021. »

En avril, la ministre de l’Enseignement supérieur a fait une première annonce, me rappelle sa porte-parole, lorsque la Santé publique a accepté que la distance minimale entre les étudiants passe de 1,5 mètre à un mètre sur les campus l’automne prochain. Le consensus scientifique s’étant fixé sur une transmission du coronavirus par aérosols, je me demande si cette distinction entre un mètre, un mètre et demi ou deux mètres est la plus pertinente. Ce qui aurait certainement des conséquences plus favorables au retour en classe des étudiants est une ventilation adéquate des salles de cours, ce que refuse obstinément de reconnaître le gouvernement Legault.

À la fin avril, la ministre McCann a aussi laissé entendre que le retour en classe serait envisageable lorsque « 75 % de la population [serait] vaccinée et 20 % doublement vaccinée avec les deux doses ».

La bonne nouvelle, c’est que ce seuil de vaccination est déjà à notre portée et devrait être atteint, à moins d’une catastrophe, à la rentrée des classes.

Il reste qu’il y a trois semaines, la ministre McCann ne prévoyait pas de « retour à la normale », c’est-à-dire une présence en classe à temps plein, avant l’an prochain. « Si vous me parlez des établissements en enseignement supérieur, je présume que ce ne sera pas avant 2022, quelque part en 2022, si évidemment la situation progresse positivement », a-t-elle déclaré. Je repense aux finissants du cégep interviewés par Josée, à ceux qui terminent leur première année au collégial, à Fiston qui termine son secondaire à mi-temps à la maison, et j’ai envie de dire qu’il ne sera pas trop tôt. Les commerces sont ouverts. Pourquoi pas les cégeps et les universités ?

Les jeunes ont largement fait leur part depuis mars 2020. S’ils sont vaccinés à la rentrée, que l’on fasse tout ce qui est possible pour qu’ils se retrouvent en classe dès le mois d’août. Quitte à ce qu’ils portent un masque en permanence et qu’on assure leur distanciation. Il en va de leur moral, de leur santé, de leur développement psychosocial. Et il en va de leur avenir. Et du nôtre.