Paul St-Pierre Plamondon, le nouveau chef du Parti québécois, porte deux noms de famille, ce qui l’associe à la jeunesse. Ce n’est que depuis 1981 que les parents québécois peuvent officiellement transmettre tous les deux leur nom à leur enfant, grâce à la refonte du Code civil. Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, né en 1987, ainsi que les députés Méganne Perry Mélançon et Gabriel Nadeau-Dubois, nés en 1990, en sont l’illustration.

Surprise : Paul St-Pierre Plamondon, surnommé PSPP, est né en 1977. « St-Pierre est le nom de sa mère, Plamondon celui de son père, a d’abord expliqué Lucas Medernach, responsable des communications et des relations de presse du Parti québécois. C’est le nom qui est sur son baptistaire. »

À 43 ans, comment PSPP peut-il porter deux noms ? « Théoriquement, c’était non possible avant la réforme de 1980 [entrée en vigueur en 1981], indique MAlain Roy, professeur en droit de la famille à l’Université de Montréal. Mais comme c’était le clergé qui gérait l’état civil, il y a peut-être quelqu’un qui dormait au gaz. »

Autre possibilité : « Pendant quelques années suivant la réforme du Code civil, les parents d’un enfant mineur ont bénéficié d’une procédure simplifiée pour changer le nom de l’enfant né avant cette réforme, dit Françoise-Romaine Ouellette, professeure honoraire au Centre Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS). Je l’ai utilisée moi-même pour changer le nom de mes filles, nées en 1979. »

Une coutume, pas une loi

Interrogé par La Presse, Paul St-Pierre Plamondon a appelé sa mère pour éclaircir ce mystère (!). « Dans mon baptistaire, mon nom complet c’est Paul Émile Henri truc-machin, il y a plein de noms, il y a St-Pierre, il y a Plamondon, raconte l’avocat. Mais mon nom officiel à l’époque, c’était Paul Plamondon. Pour ma mère, qu’il y ait juste le nom du père et pas celui de la mère, c’était insultant et injuste. » Mme St-Pierre a donc profité de la procédure offerte aux parents pour ajouter officiellement son nom à celui de ses trois enfants, en 1982.

Paul St-Pierre Plamondon ne le savait pas ? « Non, admet-il en riant. J’avais 5 ans. Je n’avais jamais eu cette discussion avec ma mère, je ne savais pas qu’elle avait posé un geste concret. C’était un enjeu de société, à l’époque, la reconnaissance de l’égalité de la mère et du père dans la famille. Ce l’est moins aujourd’hui. »

Vérification faite, jusqu’en 1981, la coutume voulait effectivement qu’on donne aux enfants d’un couple marié le nom du père, mais ce n’était pas régi par la loi. Dans le cas des enfants nés hors mariage, le nom du père était donné s’il était connu ; sinon c’était celui de la mère.

Il y avait des exceptions. « Déjà dans les années 1970, bien des gens ne se ralliaient plus aux valeurs et coutumes, rappelle François-Romaine Ouellette. Il est tout à fait possible que des parents aient obtenu que leur enfant puisse porter leurs deux noms, même s’ils étaient mariés. »

PHOTO JOSÉE LECOMPTE, FOURNIE PAR FRANÇOISE-ROMAINE OUELLETTE

« Avant 1981, il n’était pas spécifiquement interdit de donner un double nom de famille », précise Françoise-Romaine Ouellette, professeure honoraire au Centre Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS).

Sommet en 1992

En 1980, 2 % des bébés ont reçu un nom double, selon l’Institut de la statistique du Québec (ISQ). Ce taux a grimpé à 15 % en 1986, puis à 22 % en 1992, avant de redescendre à 15 % en 2000 et à 10 % en 2010.

« La population québécoise a aussi évolué », observe Laurence Charton, aussi professeure à l’INRS. En 2010, 17 % des bébés nés au Québec avaient deux parents nés à l’étranger, contre 8 % 20 ans plus tôt. « Les parents immigrants conservent probablement davantage la coutume d’attribuer seulement le nom du père à l’enfant », souligne-t-elle.

Ce n’est pas toujours le cas : dans les pays hispanophones, les deux noms de famille (du père, puis de la mère) sont généralement donnés aux enfants. C’est pourquoi l’ex-joueuse de tennis Arantxa Sánchez Vicario porte deux noms. Quant au joueur de tennis Rafael Nadal, son nom officiel est Rafael Nadal Parera. Traditionnellement, seul le patronyme est transmis à la génération suivante, mais l’Espagne permet désormais de perpétuer le matronyme.

PHOTO ANNE-CHRISTINE POUJOULAT, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le joueur de tennis espagnol Rafael Nadal s’appelle officiellement Rafael Nadal Parera.

Choisir deux noms seulement

Au Québec, un enfant peut porter un ou deux noms provenant de ceux de ses parents, « préférablement liés par un trait d’union » s’il y en a deux, précise le Directeur de l’état civil. Fait à noter, dans les trois quarts des noms composés, le nom de la mère est placé avant celui du père, selon une étude de Françoise-Romaine Ouellette parue en 2013.

Les frères et sœurs de ce bébé n’ont pas à porter le même nom. Si les parents ont des noms composés, un choix doit être fait dans le lot – peu importe lequel. « Certains pères au double nom transmettent leur double nom à leurs enfants », souligne Laurence Charton. C’est le cas du comédien Guillaume Lemay-Thivierge (une autre exception, puisqu’il est né en 1976), dont la fille aînée s’appelle Charlie Lemay-Thivierge.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Né en 1976, Guillaume Lemay-Thivierge est une exception avec son double nom. « Guillaume me dit que oui, c’est son nom officiel, son vrai nom, indique Annie-Claude St-Pierre, d’Atomas Productions, qui le représente. C’est simplement le choix de ses parents de lui transmettre tous les deux leur nom de famille. »

Nombreux traditionalistes

Trois groupes distincts de parents sont identifiés quand vient le temps de nommer les enfants, selon une étude cosignée par Laurence Charton, Denise Lemieux et François-Romaine Ouellette, parue dans Anthropologie et Sociétés en 2017. Majoritaire, le premier groupe transmet le patronyme, parce que c’est la norme dans son milieu ou en vertu de la tradition. En 2010, 85 % des bébés n’ont reçu que le nom de leur père (Cahiers québécois de démographie, 2015).

Le second groupe de parents revendique l’égalité homme-femme, qui se traduit par un nom double (pour 10 % des bébés en 2010) ou par un seul nom jumelé à un prénom associé à l’autre lignée. Le troisième groupe choisit le nom sans référence à la famille ou au couple, en fonction du sexe de l’enfant (lignées de femmes et d’hommes), en alternance, par tirage au sort, etc.

PHOTO PHIL BEENARD PHOTOGRAPHE, FOURNIE PAR LAURENCE CHARTON

« Les dernières données disponibles (2010) indiquent en effet une baisse de la transmission des doubles noms (2 % en 1980, 22 % en 1992, contre 10 % en 2010) », indique Laurence Charton, professeure au Centre Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS).

Et chez les parents gais ?

Chez les parents de même sexe, il n’y a pas d’unanimité non plus, d’après une étude de Laurence Charton et Denise Lemieux parue en 2020 dans la Revue canadienne de sociologie. Parmi 15 couples homosexuels ayant au moins un enfant de moins de 5 ans interrogés, huit ont transmis deux noms de famille et sept, un seul. Ceux qui ont donné un double nom veulent assurer l’égalité et la reconnaissance des deux parents, en plus d’unifier leur famille. Ceux qui n’en ont donné qu’un désirent reconnaître le parent qui n’a pas de lien biologique avec l’enfant ou faciliter l’intégration de ce dernier.

Nul ne sait comment se porte le double nom actuellement (les dernières statistiques datent de 2010). Le Directeur de l’état civil a dirigé La Presse vers l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), qui ne peut dire quand ces données seront mises à jour. L’ISQ a conseillé de joindre la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), qui n’a pas pu répondre. Dans ses fichiers, les noms doubles ne peuvent être séparés des noms comprenant un espace. Si bien que les Desrosiers-Diaz sont confondus avec les Al Khoury et les Di Vittorio…

Paul St-Pierre Plamondon et sa femme, Alexandra Tremblay, ont quant à eux deux jeunes enfants, Laurette et Maurice. Leur nom de famille ? « Plamondon, répond leur père. Autant je n’ai pas changé le mien pour ne pas déplaire à ma mère, parce que je respecte son choix, autant je ne trouve pas ça pratique, le nom St-Pierre Plamondon. C’est très long. On a opté pour la simplicité. Il n’y avait pas de débat sur les symboles, entre ma femme et moi. »

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE PAUL ST-PIERRE PLAMONDON

Paul St-Pierre Plamondon avec sa femme, Alexandra Tremblay, et leurs enfants Laurette et Maurice Plamondon, en été 2020.

Lisez l’étude publiée en 2017