Ils ont été confinés pendant deux mois. Et voilà qu’on s’apprête, tranquillement et selon les régions, à les déconfiner doucement. Mais qu’en pensent-ils, eux, les enfants ? Leur a-t-on seulement posé la question ? Des chercheurs ont voulu savoir. Résumé en cinq temps d’une enquête comme il s’en fait rarement. 

But de l’enquête

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Christine Gervais, professeure au département des sciences infirmières de l’Université du Québec en Outaouais

« On parle beaucoup du retour à l’école, on écoute parler les experts, mais on n’a pas du tout entendu la parole des enfants », déplore Christine Gervais, professeure au département des sciences infirmières de l’Université du Québec en Outaouais (UQO). C’est un peu cette réflexion, peu orthodoxe dans le milieu de la recherche, on s’entend (« c’est plutôt rare, les projets de recherche qui s’intéressent à la parole des enfants ! »), qui l’a poussée à se lancer dans une enquête brûlante d’actualité : Étude Réactions (Récits d’enfants et d’adolescents sur la COVID-19). Avec sa collègue Isabel Côté, professeure au département de travail social à l’UQO, et trois autres chercheuses en psychologie ou psychoéducation, elles espèrent joindre 100 enfants et adolescents de 7 à 17 ans, d’ici le retour en classe (prévu le 19 mai dans la métropole). Jusqu’à maintenant, elles en ont joint 30 de différentes régions du Québec pour sonder leurs expériences du confinement et, plus largement, les retombées de la pandémie sur les familles.

L’intérêt de les sonder

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Mali Corbeil-Gauvreau, 8 ans, confinée, n’a jamais fait autant de vélo. 

Pourquoi donc, vous demandez-vous ? Parce qu’on a beaucoup à apprendre à les écouter, avance la chercheuse, également membre du Centre d’études et de recherche en intervention familiale. En entendant leurs craintes et leurs appréhensions, peut-être serons-nous surtout mieux en mesure de les accompagner dans les semaines à venir. À preuve : déjà, des points très précis quant à leurs inquiétudes par rapport au retour en classe (ou non, selon les groupes d’âge), même des suggestions pour les rassurer, émergent de leur enquête. « Mais tant qu’on ne les interroge pas, eux vivent avec leurs inquiétudes. » Précisons qu’en tout, les enfants seront joints à trois reprises, et ce, dans trois contextes distincts : en confinement (pré-retour en classe), en juin (en mode déconfinement), puis en septembre, à la vraie de vraie rentrée scolaire (si tout se passe comme prévu, bien évidemment). À terme, la chercheuse compte produire des recommandations pour le système scolaire et les intervenants sociaux, en prévision d’une deuxième vague de COVID-19, ou encore d’une autre crise.

Premier constat : les plus jeunes ont compris les consignes

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Milan Gauvreau La Violette, 10 ans,
porte un chandail de circonstance… 

Sans surprise, les enfants ont « très bien intégré » les messages : ce qu’est le coronavirus, comment s’en protéger, plus personne n’ignore la consigne du lavage des mains ou des fameux deux mètres (ou six pieds pour les aînés). « C’est une bonne nouvelle », souligne la chercheuse, qui note au passage que les enfants se montrent aussi très heureux et « fiers » d’être ici enfin entendus (et de parler à un autre adulte que l’un de leurs propres parents !). « Ils ont beaucoup de choses à dire ! », se félicite-t-elle. Elle constate que le confinement est aussi vécu différemment entre frères et sœurs, certains s’occupant mieux seuls que d’autres, selon les âges, les genres ou les personnalités. Les plus jeunes signalent en outre une foule de « découvertes » en confinement, en matière de cuisine, de sport, de musique et… de temps d’écran.

Déception et solitude chez les adolescents

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Alice Brébart, 12 ans, profite de tout ce temps libre pour s’entraîner au hockey. 

Du côté des plus vieux, confinement rime surtout avec solitude. Une solitude bien sentie, qui s’accompagne d’une réflexion étonnamment profonde. « On imagine souvent les ados comme accrochés aux réseaux sociaux et nombrilistes, c’est souvent comme ça qu’on les dépeint, mais ici, ce n’est pas du tout comme ça qu’ils nous ont parlé », poursuit la chercheuse. Ce qu’elle a entendu ? Des réflexions du genre « j’ai appris à être plus juste », « je me sens plus conscient des autres ». Bref, « les ados semblent avoir une vision plus large de ce qui se passe, constate-t-elle. Ils sont capables de relier le confinement à l’effet environnemental, après deux mois, ils ont ce recul. Je ne m’attendais pas à ça. » Sans parler de leur impression, assez généralisée merci, d’avoir été oubliés. L’annulation du retour en classe pour les jeunes du secondaire est d’ailleurs perçue comme un désaveu : « on n’est pas considérés », « personne ne s’intéresse à nous », « personne ne se préoccupe de ce qui va arriver avec moi », disent et redisent les adolescents, note Christine Gervais.

Idées inspirantes

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Lou Geiser, 8 ans, ne s’ennuie pas trop de l’école. 

Mais encore ? Interrogés quant à savoir comment ils envisagent le déconfinement, les jeunes sondés ne semblent pas manquer de créativité. Quelques exemples, suggérés en vrac par les enfants : retour progressif en classe (en commençant par les maternelles, « parce qu’ils comprennent moins bien les consignes »), « balises » en matière de temps d’écran sur les réseaux sociaux pour les adolescents (« exposés à des images de confinement paradisiaque, on trouve notre vie un peu poche »), point de presse pour les enfants (« pour s’adresser directement aux jeunes »), droit au choix d’un seul et unique ami (pour rendre le confinement « beaucoup plus facile »), etc. « C’est fascinant de voir leur créativité, signale la chercheuse. Pour eux, se raconter semble vraiment leur faire du bien. Et ce sont eux, les experts de leur situation… »

Vous avez des enfants de 7 à 17 ans qui aimeraient participer ? L’Étude Réactions (Récits d’enfants et d’adolescents sur la COVID-19) est toujours en cours. Écrivez à reactions@uqo.ca.