Edith Lemay et Sébastien Pelletier s’apprêtent à faire découvrir le monde à leurs quatre jeunes enfants de 9, 7, 4 et 2 ans. En juillet, ils partiront en voyage un an, animés par un puissant sentiment d’amour… et d’urgence. À la veille de la Journée internationale des maladies rares, on vous présente l’histoire de cette famille de Boucherville.

Mia était encore bébé quand ses parents ont remarqué quelque chose de particulier chez elle. Quand elle venait chercher du réconfort dans leur chambre, en pleine nuit, elle fonçait dans les murs, elle fonçait dans les meubles. Comme si elle ne voyait rien dans la noirceur.

C’était leur premier enfant ; Edith et Sébastien se sont dit que ça devait être normal. Puis, ils ont remarqué que Mia, à un âge où les bébés veulent toucher à tout, ignorait les objets qu’on lui tendait dans la pénombre. Comme si elle ne les voyait pas.

Quand Mia avait deux ans et demi, Edith l’a fait voir par un optométriste. Ce dernier a fait quelques tests et l’a envoyée en ophtalmologie à l’hôpital Sainte-Justine. Au terme d’autres tests, l’ophtalmologue a émis deux hypothèses.

La première, inconcevable pour Edith et Sébastien : la cécité nocturne de Mia pouvait être le premier symptôme de la rétinite pigmentaire, maladie génétique dégénérative de l’œil pour laquelle il n’existe aucun traitement (voir encadré). Auquel cas, possiblement à partir de l’adolescence, Mia perdrait graduellement sa vision périphérique jusqu’à la cécité complète, quelque part à l’âge adulte, habituellement dans la trentaine ou la quarantaine.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Mia

Mais peut-être Mia présentait-elle simplement une cécité nocturne ordinaire – une condition stable dans le temps. « Pour nous, c’était ça, se souvient Edith. Il n’y avait pas de raisons que ce soit autre chose. Il n’y en avait aucun non-voyant dans la famille. » Léo, le petit frère de Mia, ne semblait pas présenter de symptômes.

Mia a tout de même participé à un essai clinique pour obtenir son portrait génétique complet. Comme la rétinite pigmentaire peut être causée par une centaine de gènes différents, il fallait ratisser large. L’équipe de génétique à Sainte-Justine les tiendrait au courant.

Les années ont passé, et la famille Pelletier s’est agrandie en accueillant Colin, puis Laurent.

Colin, lui non plus, ne voyait pas les objets que sa mère lui tendait quand la lumière était fermée.

Les doutes confirmés

En mai 2018, près de trois ans après le dépistage génétique de Mia, Edith et Sébastien ont été conviés à une rencontre avec le généticien. C’est là qu’on leur a annoncé la nouvelle qu’ils craignaient tant recevoir : Mia souffrait bel et bien de rétinite pigmentaire.

Edith et Sébastien sont tous deux porteurs d’une mutation sur le même gène (PDE6B). Comme il s’agit d’une forme récessive (la mutation doit être présente sur les deux allèles du gène pour que la maladie se développe), Mia n’avait qu’une chance sur quatre de la développer.

D’autres symptômes de la maladie commençaient à apparaître chez elle, comme une sensibilité à la lumière forte (Mia redoutait les flashs de la caméra de La Presse) et une difficulté à s’adapter au changement d’éclairage.

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Prévalence de la rétinite pigmentaire dans la population

« Au début, tu ne veux pas y croire, confie Edith. Tu te dis qu’il doit y avoir une erreur, tu nies. Il y a de la colère, aussi. C’est comme une injustice. Pourquoi mes enfants ? »

« Le pire, enchaîne Sébastien, c’est qu’on se doutait qu’un, peut-être même deux autres enfants l’avaient. »

« Quand tu reçois un gros diagnostic comme ça, tu t’attends à être pris en charge, poursuit Edith, mais tout ce qu’on te dit, c’est : il n’y a pas de traitement. » Ils auraient un rendez-vous annuel avec l’ophtalmologue pour suivre la progression de la maladie.

Edith et Sébastien sont donc retournés chez eux le cœur gros et la tête remplie de questions, dont une centrale : devaient-ils l’annoncer à Mia, qui, à 7 ans, était en âge de comprendre ? Ou devaient-ils plutôt la laisser vivre son enfance dans l’insouciance ? 

C’est au service psychosocial de l’Institut Nazareth et Louis-Braille qu’ils ont enfin trouvé une réponse : il n’y avait pas de bonne réponse. Ça dépendait du tempérament de l’enfant.

Comme Mia est « très cartésienne » et que ses parents ne voulaient pas lui faire subir un choc à l’adolescence, une fois qu’elle aura des projets pleins la tête pour son avenir, la décision a été prise de lui annoncer. Ça s’est fait tout en douceur, un midi qu’Edith dînait avec sa grande.

« Je lui ai dit : “Tu le sais, hein, que tu vas probablement perdre la vue ?” Elle a répondu : “Ah, plate !” Ç’a été l’ampleur de sa réaction », raconte Edith, attendrie.

Pour l’instant, Edith n’a senti aucune peur ou appréhension chez sa fille, qui est plutôt « en mode solution ». « Pas longtemps après qu’on lui a dit, elle m’a dit : “Tu sais, maman, il va falloir que je tienne ma chambre en ordre. Comme ça, quand je ne verrai plus, je vais pouvoir savoir où sont mes choses.” » Edith regarde Sébastien : « Elle ne l’a jamais appliqué par contre », précise-t-elle en riant.

En décembre 2018, Edith et Sébastien ont reçu la confirmation que Colin et Laurent, les deux plus jeunes, étaient aussi atteints. « Pour Colin, c’était pas mal une évidence, mais pour Laurent, on avait un mince espoir, relate Sébastien. Être rendus à trois sur quatre, ça a fessé un peu… »

Léo, 7 ans, est le seul qui n’a pas été testé ; il ne présente pas de symptômes.

Un voyage plein d’images

Edith voulait que Mia apprenne le braille à l’école, mais la spécialiste à la commission scolaire lui a dit que, pour l’instant, ce ne serait pas utile. Que la meilleure chose à faire, c’était de bâtir leur mémoire visuelle, de leur montrer des livres. De leur remplir la tête d’images et de souvenirs pour qu’ils s’y raccrochent quand la lumière se fermera.

L’idée de faire un long voyage avec leurs enfants, Edith et Sébastien la caressaient même avant de devenir parents. Elle prenait désormais tout son sens. « C’est sûr qu’avec le diagnostic des enfants, ça a mis plus une urgence sur ce projet-là », dit Sébastien. 

Leur plan : prendre le train transsibérien entre Saint-Pétersbourg et la Mongolie, puis descendre en Chine (si le COVID-19 le permet), découvrir l’Asie du Sud-Est, le Sri Lanka, puis peut-être la Tanzanie, la Turquie et le Maroc.

Ils veulent imprimer dans la tête et le cœur de leurs enfants des paysages à couper le souffle, des montagnes majestueuses, des couchers de soleil grandioses. Les émouvoir en leur montrant les innombrables variations de la lumière. Leur montrer de vrais éléphants, de vrais lions, et tous ces animaux sauvages qui peuplent leurs livres d’enfants.

Ils souhaitent surtout prendre leur temps, leur faire vivre des expériences, connaître d’autres cultures. Et leur montrer que les gens peuvent être heureux même si leurs conditions de vie ne sont pas idéales.

« Je ne veux surtout par leur transmettre que c’est grave, que ça va les limiter, insiste Edith à propos de la maladie de ses enfants. Je veux que ça fasse partie de qui ils sont, que ce soit normal, qu’ils sachent qu’ils vont faire leur chemin. C’est leur chemin. Ils vont réussir. »

De l’espoir

S’il n’existe pas de traitement contre la rétinite pigmentaire, des avancées en matière de thérapie génique laissent entrevoir de l’espoir. Une thérapie (Luxturna, approuvée depuis deux ans aux États-Unis) permet d’améliorer la vision de personnes souffrant de rétinite pigmentaire due à une mutation du gène RPE65 (qui n’est malheureusement pas celui des enfants Pelletier). Luxturna, offert au coût de 425 000 $US par œil (!), utilise un virus pour remplacer le gène défectueux. Edith et Sébastien suivent ces avancées de près. « Ce serait fantastique que ça arrive un jour, mais on ne veut pas se faire d’illusions non plus », dit Sébastien.

Vous êtes atteint de rétinite pigmentaire ou vous êtes proche d’une personne atteinte? Rétina Québec est un organisme sans but lucratif qui souhaite regrouper les Québecois touchés par la maladie et qui veulent s’impliquer sur une base volontaire. www.retinaquebec.org