Alors que l’été tire à sa fin, comment continuer à voir ses petits-enfants de façon sécuritaire ? Peut-on encore les garder ? Et toutes ces mesures de distanciation auront-elles un impact sur la relation affective avec ses petits-enfants ?

Maintenant que l’école a recommencé et que le temps froid est à nos portes, les grands-parents se posent bien des questions.

C’est le cas de Jacques Auger, un retraité du monde des communications. Au décès de sa femme, il y a deux ans, il a déménagé dans Villeray, à un coin de rue de sa fille, son gendre et son petit-fils Louis, 8 ans. Sa fille avait besoin de lui, il avait besoin d’eux.

Au plus fort du confinement, il les voyait uniquement au travers de la vitre ou sur le trottoir, à deux mètres de distance. « J’étais ici, dans mon appartement, à me bercer, à me ronger », résume-t-il. Cet été, même si Louis fréquentait un camp de jour, son grand-père l’a souvent vu, à l’intérieur comme à l’extérieur, en prenant des précautions – lavage de mains, une certaine distanciation.

« Là, on est un peu dans l’incertitude, dit l’homme de 69 ans à propos de la rentrée scolaire et de l’automne qui approche. Comment doit-on agir ? Parce que moi, je veux continuer de faire ma job de grand-père ! »

Danielle Dubois, grand-maman de quatre petits-enfants, se pose les mêmes questions. C’est elle qui a suggéré à La Presse de consacrer un article à ce sujet. « Je constate autour de moi que les pratiques sont tellement à géométrie variable, dit la consultante dans le domaine de la santé. Chez plusieurs, on observe un relâchement, alors que d’autres sont restés sur la ligne très, très dure… »

Un juste milieu

Entre ces deux extrêmes, comment se positionner ?

En trouvant un « juste milieu », répond d’emblée la Dre Caroline Quach, pédiatre et microbiologiste-infectiologue au CHU Sainte-Justine. « Il faut y réfléchir, dit-elle. Il n’y a pas de règles qui s’appliquent à toutes les situations. Mais une fois que l’on comprend comment ça marche, je pense qu’on est capable de faire avec. »

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La Dre Caroline Quach, pédiatre et microbiologiste-infectiologue au CHU Sainte-Justine

Première chose : le plus sécuritaire, c’est de se voir dehors. La Dre Quach cite l’exemple de sa mère de 80 ans et de sa nièce de 5 ans, qui fréquente la garderie. Elles s’installent toutes deux sur le balcon, à deux mètres de distance, et parlent « comme deux mémères ».

À moins d’être très proche l’un de l’autre (comme assis à la même table), le port du couvre-visage n’est pas nécessaire à l’extérieur. « Si on est en train de marcher, si on est à un mètre de distance à l’extérieur, il n’y a pas besoin de porter un masque, explique l’épidémiologiste Nimâ Machouf, chargée de cours à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. Même si on est affectés par le coronavirus [sans le savoir], on a des virus et on postillonne, ce serait tellement dilué dans l’air que ça ne représenterait pas un danger. »

Danielle Dubois a souvent vu ses petits-enfants à l’extérieur, cet été. « Mais rendus au mois de novembre, les pique-niques vont être moins populaires », dit-elle en riant.

Les grands-parents peuvent-ils voir leurs cocos à l’intérieur sans courir de risque démesuré ?

Oui, c’est possible, répondent les deux expertes. Le ministère de la Santé et des Services sociaux dit aussi faire confiance au « bon jugement de la population » en ce sens : « Une fréquentation familiale qui applique les mesures sanitaires de rassemblements intérieurs [10 personnes maximum, trois foyers maximum, deux mètres de distance] est tout à fait adéquate », nous écrit-on.

À l’intérieur, « si on est pour rester longtemps, ce serait probablement plus prudent de porter un masque », note la Dre Quach. Dès l’âge de 3 ans, les enfants sont capables de le porter sur de courtes périodes, quand ils se rapprochent de leurs grands-parents. Elle suggère aux grands-parents, surtout s’ils sont âgés ou ont des problèmes de santé (diabète, hypertension, obésité, etc.), de porter un masque de procédure, conçu selon des normes.

Et si on décide de se voir à l’intérieur, il est plus prudent de se voir chez les grands-parents, indique Nimâ Machouf. Si un enfant est affecté sans le savoir, la concentration de virus en aérosol sera nécessairement plus élevée à l’endroit où il vit, souligne-t-elle.

Et les câlins ?

Aux yeux de la Dre Quach, il y a moyen de se donner des câlins de façon « relativement sécuritaire ». Elle cite encore l’exemple de sa mère de 80 ans (par ailleurs en bonne santé) et de sa nièce. Quand la petite a envie de donner un câlin, elle serre grand-maman au niveau de la taille, évitant de rapprocher son visage du sien. Et quand la grand-maman veut la prendre sur ses genoux, toutes deux enfilent un masque.

« Tout ça, c’est faisable en maintenant une hygiène des mains et en s’assurant évidemment que, si les enfants ou parents ont été en contact avec un cas de COVID ou ont des symptômes, peu importe lesquels, ils ne se voient pas », précise la Dre Quach.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Nimâ Machouf, épidémiologiste, chargée de cours à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

Et les bisous ? Si l’épidémiologiste Nimâ Machouf ne les conseille pas, estimant que le jeu n’en vaut pas la chandelle, la Dre Quach indique que, si les grands-parents ont de la difficulté à freiner leurs ardeurs, ils peuvent viser la nuque ou le bedon, par exemple, question de limiter les risques.

« Plein de choses peuvent être faites, assure la pédiatre. Ce qu’on ne veut pas, c’est que les enfants reviennent de la garderie et passent tout leur temps avec les grands-parents, collés. Que ce soit eux qui leur font faire leurs devoirs, qui les changent, etc. » Si grands-parents et petits-enfants vivent dans une région où il n’y a aucun cas de COVID-19, ils peuvent se permettre une plus grande latitude, dit-elle.

Le grand-père de Louis, Jacques Auger, aime se sentir utile auprès de sa fille et de son gendre : « Quand les parents ont besoin de faire garder leurs enfants, qui appellent-ils, habituellement ? Les grands-parents. » Est-ce encore possible de garder si les enfants fréquentent la garderie ou l’école ?

« Ça, c’est plus compliqué, convient la Dre Caroline Quach. Tant qu’il n’y a pas d’éclosions dans l’école des enfants, à la limite, je pense qu’ils peuvent faire quelques heures en maintenant une distance. Mais à partir du moment où il y a de la transmission dans l’école… ça devient compliqué. »

Les grands-parents ont peut-être un sentiment de rejet, souligne Nimâ Machouf, mais on doit garder en tête que tout cela est temporaire. On trouvera un jour un médicament qui, pour le moins, éliminera les décès, dit-elle. « On est dans une période spéciale, qu’on doit traverser ensemble », dit-elle.

Accueillir un nouveau-né

Danielle Dubois sera grand-mère pour la cinquième fois le mois prochain. Comment voir cette nouvelle petite-fille de façon sécuritaire ? La Dre Caroline Quach, pédiatre et microbiologiste-infectiologue au CHU Sainte-Justine, conseille à tout le monde de se confiner durant les deux semaines précédant la naissance du bébé, ce qui rendra le risque de transmission nul. Les grands-parents pourront donc cajoler le bébé sans crainte. Si le poupon a de la fratrie à la garderie ou à l’école, « c’est plus compliqué », convient la Dre Quach. Danielle Dubois se questionne : ces très jeunes enfants seront-ils marqués par la relation distanciée avec leurs grands-parents ? « Il y a plein d’autres situations dans la vie où on ne pourrait pas se voir tout le temps collés », rappelle la pédiatre, qui pense à une hospitalisation ou à un long voyage. « Et la relation, elle est là quand même. »