(Québec) Même en confinement, les jeunes développent leur sexualité à la différence qu’ils ne peuvent plus compter sur de l’éducation sexuelle en classe.

La pandémie a forcé la fermeture des écoles et mis de côté l’éducation à la sexualité. L’Ordre des sexologues du Québec déplore aujourd’hui un « manque à gagner » chez les jeunes du primaire et du secondaire.

Sa présidente, Joanie Heppell, s’inquiète notamment pour les jeunes qui ont augmenté significativement leur temps d’écran et qui ne sont pas supervisés par leurs parents qui travaillent.

« On ne pense pas seulement à la porno, mais à tout type de média où l’on devrait avoir un regard critique en termes de stéréotypes de genres, d’objectification des corps », a-t-elle déclaré en entrevue.

« On était déjà en arrière [...] et là, en contexte de pandémie, non seulement on garde ce retard qu’on avait, mais le fossé se creuse, en plus d’ajouter l’accès à la technologie plus plus plus.

« Il va y avoir un trou cette année, a renchéri Mme Heppell. C’est une année tronquée. »

L’éducation à la sexualité n’est pas considérée comme une matière de base, et tarde même à se mettre en place dans les écoles du Québec, malgré le fait que les contenus soient obligatoires depuis 2018.

Les jeunes Québécois doivent recevoir cinq heures de cours d’éducation à la sexualité par année durant le primaire et 15 heures par année au niveau secondaire.

Au primaire, les thématiques tournent davantage autour de l’estime de soi, du respect et de l’empathie. Des sujets tels que le sexisme et l’homophobie y sont abordés.

Au secondaire, la notion de consentement devient plus centrale et les questions de relations amoureuses, des comportements, de la violence sexuelle, des maladies transmises sexuellement et des grossesses précoces figurent au cursus.

Le ministère de l’Éducation, qui normalement doit faire un bilan de l’éducation sexuelle, n’a pas répondu aux questions de La Presse canadienne.

Mais l’Ordre des sexologues insiste : ce n’est pas parce que les adolescents, par exemple, sont confinés et ne vivent pas de relations sexuelles à deux que leur vie sexuelle est inexistante.

« Le développement sexuel se fait en présence de quelqu’un ou non, souligne Mme Heppell. Ils peuvent communiquer avec leurs amis par le biais des réseaux sociaux [...] donc il y a des choses qui peuvent se faire malgré la distanciation physique.”

Voir la matière avec ses enfants...

D’ici la prochaine rentrée scolaire, pourquoi ne pas consulter avec ses enfants les contenus numériques conçus spécialement pour eux par des professionnels, suggère la sexologue Laurence Desjardins.

Elle mentionne en entrevue que l’organisme de bienfaisance On SEXplique ça a mis en ligne des capsules numériques. L’organisme Tel-Jeunes a aussi développé des outils en ligne.

« Le parent est le premier pédagogue dans la vie de l’enfant. Ce serait se déresponsabiliser de dire : “Mon enfant devrait juste apprendre à l’école” », a affirmé Mme Desjardins, en disant toutefois comprendre que des parents se sentent mal à l’aise ou submergés.

Pourtant, l’éducation à la sexualité risque de devenir encore plus importante en temps de pandémie, une situation anxiogène pour plusieurs jeunes, plaide-t-on.

Car l’éducation sexuelle est large et ne se limite pas aux parties du corps, insiste Mme Desjardins. D’après elle, il est beaucoup question de santé mentale, d’identité, de gestion des émotions et d’interactions respectueuses avec les autres.

La Fédération des comités de parents du Québec a décliné une demande d’entrevue à ce sujet. Sa porte-parole, Stéphanie Rochon, a affirmé dans un courriel que la fédération était déjà « bien occupée [...] avec d’autres dossiers ».

... en attendant les décisions du ministère

Selon Mme Heppell, le ministère doit rapidement se pencher sur « tout ce qui a été mis de côté et comment on va rattraper les choses ».

« Je suis 100 % optimiste que les enseignants vont vouloir reprendre ça ; ils voient la pertinence, ils voient comment ça peut avoir un impact positif sur les jeunes », a-t-elle déclaré.

La Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE) a affirmé, lundi, avoir toujours trouvé ce sujet important.

Or, « il a été décidé dans les circonstances de la pandémie qu’on se concentrait sur les cours du curriculum et ce n’en est malheureusement pas un », a déclaré la présidente de la FSE, Josée Scalabrini.

« Le ministère devra établir clairement pour l’an prochain si on enseigne les cours à l’horaire ou le programme de formation dans son ensemble. »

Le gouvernement Couillard avait annoncé fin 2017 qu’il ramenait le cours d’éducation sexuelle — aboli lors de la réforme de 2003 — et le rendait obligatoire dès l’automne 2018, dans la foulée du mouvement #moiaussi.

Des réticences exprimées par des parents et des enseignants ont ralenti l’implantation du cours, mais la nouvelle administration caquiste a persisté et tranché que le programme contenait des notions « primordiales pour nos jeunes ».