Élizabeth Pelchat a tout fait pour trouver une place en service de garde subventionné pour son fils William. Tout ce qu’elle a trouvé, c’est une garderie à 57 $ par jour.

À quelques mois de son retour au travail, découragée par La Place 0-5, le guichet unique d’accès aux services de garde, elle a décidé d’employer les grands moyens pour attirer l’attention d’une éducatrice et la convaincre de prendre son fils : elle a fait son curriculum vitæ.

IMAGE FOURNIE PAR ÉLIZABETH PELCHAT

Le curriculum vitæ du petit William

« Jeudi dernier, après avoir visité la garderie à 60 $ la journée, on a conclu que ça n’avait pas de bon sens. C’était handicapant pour notre budget, raconte Élizabeth Pelchat. On a donc décidé de continuer les recherches et j’ai eu l’idée du CV. Je trouvais ça original. »

« Bébé à la recherche d’une éducatrice », s’intitule le document qu’elle a publié sur une page Facebook de la région de Québec destinée aux parents à la recherche d’une place en milieu familial.

La page regorge de cas comme celui d’Élizabeth. Plusieurs mères écrivent des messages paniqués : « de retour au travail dans un mois, toujours pas de place pour ma puce », peut-on lire par exemple. Les parents publient des photos de leur enfant, dans le but de capter l’attention des éducatrices.

Le gouvernement Legault a annoncé la semaine dernière le retour au tarif unique pour les places subventionnées. Avant, la contribution pouvait atteindre jusqu’à 21,45 $ par jour par enfant pour les familles mieux nanties. Maintenant, les familles qui ont accès à une place subventionnée paieront 8,25 $ par jour, peu importent leurs revenus.

Cette annonce a creusé un peu plus le fossé entre les parents assez chanceux pour avoir une place subventionnée et ceux qui n’y arrivent pas, comme Élizabeth.

Les parents qui envoient leur enfant dans un service de garde non subventionné continuent de payer parfois deux ou trois fois la somme de 8,25 $. « La garderie à 57 $, on a fait le calcul et ça nous revenait à 29 $ de la journée après les remboursements fiscaux, précise Élizabeth. C’est handicapant. »

Geneviève Bélisle, directrice de l’Association québécoise des CPE, se dit bien consciente de ce problème.

Il y a une loterie des CPE. Les parents nous disent : “J’ai eu la chance d’avoir un CPE, ou je n’ai pas eu la chance”, se désole Mme Bélisle. C’est comme une loterie. Youpi, mon enfant a été pigé, cadeau du ciel…

Geneviève Bélisle

La Place 0-5 a officiellement une liste d’attente de 42 000 enfants. Mais le chiffre date de décembre 2018. Le ministère de la Famille se dit incapable de fournir des données plus récentes.

Élizabeth, qui habite le secteur Beauport de Québec, s’est inscrite à la liste d’attente dès qu’elle a appris qu’elle était enceinte. Quinze mois plus tard, toujours rien.

« Je n’ai jamais eu de retour d’appel de La Place 0-5. Je ne m’y attends pas non plus, parce que parmi tous les gens de mon entourage inscrits à La Place 0-5, aucun n’a reçu d’appel », dit-elle.

Le far-west

Cette situation fait en sorte que les parents tentent souvent de contourner La Place 0-5. Ils appellent et écrivent aux directeurs de CPE, ou ils se présentent directement à la porte et offrent de siéger au conseil d’administration.

« Oui, on entend que les parents appellent, essayent de trouver une stratégie… Mais La Place 0-5 est là pour assurer une équité. Nous, ce qu’on rappelle à nos membres, c’est de passer par la liste 0-5 et d’inviter les parents à passer par là. C’est comme ça que ça fonctionne », assure Mme Bélisle.

Marilou Bédard est propriétaire d’une garderie en milieu familial subventionnée à Val-Bélair. Elle est aussi l’une des administratrices de la page Facebook où Élizabeth Pelchat a publié le CV de son fils.

Sur le terrain, elle constate que la situation se détériore. « Quand j’ai ouvert ma garderie il y a cinq ans, il y avait trop de garderies. Les parents avaient le choix. Là, depuis qu’ils ont resserré les règles dans les milieux familiaux privés, on ne peut plus combler les besoins des parents. En deux ans et demi, ça a changé du tout au tout. »

Elle vient d’annoncer sur Facebook une place à 8,25 $ pour décembre. Elle a reçu 15 messages de parents intéressés.

« Moi, j’ai eu des gens qui sont venus cogner à ma porte, directement chez moi. Ils sont découragés, raconte Marilou Bédard. Les parents paniquent, ils ne savent plus quoi faire. »

Le ministre « a pensé » aux parents lésés

Le ministre de la Famille s’est dit conscient, mercredi, des inégalités qui subsistent dans le réseau après l’annonce du tarif unique pour les places subventionnées.

Beaucoup de parents dont les enfants fréquentent des garderies non subventionnées se demandent ce qu’on va faire pour eux. On a pensé à eux.

Mathieu Lacombe, ministre de la Famille

Le ministre a annoncé la mise en place d’un projet pilote pour permettre la conversion de places non subventionnées en places subventionnées. Mais l’élu n’était pas en mesure de préciser un échéancier ni de dire combien des 70 000 places non subventionnées passeraient à 8,25 $.

Une manière très simple de combler les inégalités entre parents aurait été de bonifier les crédits d’impôt pour frais de garde. Mais le ministre a écarté cette option.

« L’idéal vers lequel il faut tendre, c’est d’arriver un jour au Québec dans un système entièrement subventionné, dans lequel les CPE vont côtoyer des garderies subventionnées », a expliqué le ministre.

Mais en attendant ce jour, à revenus égaux, certains parents continueront de payer le double ou le triple pour des services de garde.

— Avec Tommy Chouinard, La Presse

Le réseau en chiffres (nombre de places)
CPE : 95 815
Garderies privées subventionnées : 47 129
Garderies en milieu familial : 91 604
TOTAL (des places subventionnées) : 234 548
Garderies privées non subventionnées : 68 793
Source : ministère de la Famille, en date du 30 septembre 2018