Le jugement envers les mères ne date pas d’hier. Mais, avec le porte-voix que sont les réseaux sociaux, les critiques peuvent avoir une grande résonance. Un nouveau-né mal installé dans un porte-bébé ? Des garçons aux cheveux longs ? Une femme qui retourne au travail peu de temps après son accouchement ? Attention, jugement.

Le 20 mai dernier, l’humoriste américaine Amy Schumer a publié sur Instagram une photo témoignant de son retour sur scène, deux semaines après qu’elle eut accouché de son premier enfant. Si plusieurs internautes ont salué son courage, d’autres lui ont reproché de retourner au travail si peu de temps après la naissance de son bébé. « Je peux encore sentir l’odeur de ton placenta. Prends une pause », a écrit une internaute. « Jésus, Amy. Laisse les points de suture se dissoudre d’abord », a dit une autre.

« J’ai toujours voulu être “mom shamée” ! ! ! ! », a répliqué Amy Schumer avec humour. Le lendemain, elle publiait une photo d’elle avec son tire-lait en déclarant : « J’envoie de l’amour à toutes les mères qui m’ont jugée pour avoir fait un stand-up hier soir. »

Amy Schumer n’est que la plus récente célébrité à être victime de « mom shaming », le terme couramment utilisé par les anglophones pour désigner le fait de culpabiliser et de dénigrer une mère pour les choix qu’elle fait. La chanteuse P!nk s’est fait reprocher de cuisiner avec un porte-bébé, de laisser sa fille grimper sur le comptoir et, plus récemment, d’avoir fait circoncire son fils. Lasse de ce genre de commentaires, elle a annoncé fin avril qu’elle ne partagerait plus de photos de ses enfants.

Il y a aussi l’actrice Hillary Duff à qui on a reproché d’avoir embrassé son fils sur la bouche, Beyoncé, de boire de l’alcool peu après son accouchement (allaite-t-elle ? se sont demandé les internautes), et Megan Fox, de laisser ses fils porter les cheveux longs. Une critique qui n’est pas sans rappeler les commentaires qu’a reçus Céline Dion pendant des années au sujet de la chevelure de ses fils.

La blogueuse et humoriste Bianca Longpré, alias Mère ordinaire, est régulièrement la cible de critiques. Certes, son style d’humour est clivant et ne plaît pas à tous. Mais bon nombre de commentaires qu’elle reçoit, sur les réseaux sociaux, en privé et même en personne, ont trait à son rôle de mère. 

Depuis le début de sa première tournée de spectacles, beaucoup lui reprochent de délaisser ses enfants. 

« Il y a deux ans, mon chum [l’humoriste François Massicotte] travaillait sans arrêt et il n’y a jamais personne qui n’a rien dit », dénonce-t-elle, tout en se disant consciente qu’en dévoilant sa vie de famille, elle s’expose à des critiques. 

Puis, depuis que le couple a annoncé son désir d’avoir un quatrième enfant (par insémination artificielle), les critiques fusent de plus belle. Encore plus quand elle ajoute qu’elle ne compte pas arrêter plus qu’une semaine, puisque son conjoint sera disponible pour prendre soin de l’enfant.

Elle précise que ces critiques ne proviennent pas, la plupart du temps, de sa communauté, et beaucoup des hommes. « Au contraire, j’ai beaucoup de commentaires de filles qui me disent que j’ai du guts de faire ça », remarque-t-elle.

Pour éloigner les remarques irrespectueuses, Bianca Longpré a noté plusieurs mots-clés qui permettent de filtrer automatiquement les commentaires qui les contiennent. Parmi eux, « mauvaise mère », « fif » et « tapette ». Parce qu’on lui reproche aussi régulièrement de laisser son plus jeune fils se maquiller et se vêtir d’une robe. Pourquoi alors persister à partager ces photos ? « Parce que je crois vraiment que ça permet d’ouvrir les mentalités, répond-elle. Je l’ai écrit, au début, que mon chum trouvait ça difficile que mon gars s’habille comme ça. Les filles s’en servent auprès de leur chum pour dire : c’est pas grave si junior s’habille en fille. Les mères mettent des commentaires et des photos de leurs enfants et disent : moi aussi. Ça dédramatise. »

Les mères plus critiquées

On parle de « mom shaming » parce que, bien souvent, ce sont les mères et non les pères qui font l’objet de reproches, remarque la sociologue Annie Cloutier, autrice de l’essai Aimer, materner, jubiler

« Même au Québec, où on pense que les pères doivent jouer un rôle important et qu’ils le font de plus en plus, c’est quand même les mères qui prennent presque l’entièreté du blâme pour ce qui ne va pas bien, encore aujourd’hui. »

Le blâme, les mères le portent depuis longtemps, ajoute la sociologue. « Des contraintes énormes ont toujours été mises sur les mères, ne serait-ce que le nombre d’enfants qu’elles ont, le choix d’en avoir ou pas. Il faut se méfier de dire : c’est pire ou c’est moins pire qu’avant. Mais c’est certain qu’on a l’impression qu’en ce moment, c’est très, très fort. Un élément qui peut s’ajouter à ça, c’est notre tolérance zéro au risque. Il y a une perte de repères communs. […] On essaie de se rattraper avec des façons de se comporter communes qui font qu’on est au moins tous d’accord là-dessus. Mais ce n’est jamais vrai. Il y en a qui veulent allaiter, d’autres qui ne veulent pas et ça, ça vient chercher les gens. »

Elle craint que de faire porter le fardeau de la honte aux mères les confine au silence ou les amène à ne présenter qu’une image parfaite de la maternité. Ainsi, quelle mère osera dire qu’elle a crié après ses enfants hier ? « Il y a le risque que ce soit repris et multiplié sur les réseaux sociaux, rappelle Annie Cloutier. C’est un risque qui est virtuel pour la plupart des gens. Si une femme qui n’est pas connue crie après son enfant, les gens n’en ont rien à foutre, mais le risque est là et on l’a vu se produire devant nous tellement de fois qu’on ne prendra pas un risque sur un million. »

Même si elles ne sont pas des personnalités connues, les mères ne sont pas à l’abri du jugement sur les forums en ligne et les groupes Facebook liés à la parentalité. Mais, la plupart de ces groupes mettent de l’avant le respect et le non-jugement dans les règles qui les régissent. Lorsqu’un membre s’en écarte, il se fait souvent vite rappeler à l’ordre par les autres.

Chez Maman pour la vie, une plateforme qui héberge l’un des forums sur la maternité les plus importants au Québec, on indique que le « mom shaming » n’a pas été observé sur la plateforme récemment. « Sur les réseaux sociaux, nous devons intervenir quelques fois lorsque nous publions des sujets délicats comme l’allaitement, la vaccination, l’éducation », précise Michèle Laplante, chargée du contenu. Trois sujets qui, sur n’importe quelle plateforme, ont un taux d’inflammabilité élevé.