Sept enfants d'une même famille sont morts dans l'incendie de leur maison à Halifax en février dernier. Nombreux sont les jeunes qui ont entendu parler de cette tragédie. Cela n'arrive pas qu'ailleurs: plus de 400 enfants de 14 ans et moins sont morts au Québec en 2017. Même si la plupart étaient des bébés, les écoliers n'ont pas de garantie anti-feu, anti-maladie ou anti-accident de la route. Malheureusement...

Dans une classe de 4e année du primaire, une fillette est morte subitement après s'être plainte de maux de tête, tandis qu'un garçon luttait contre un inquiétant cancer. Geneviève Piché avait enseigné à ces élèves - et à leurs camarades ébranlés. Aussi auteure, elle a tiré de cette éprouvante expérience un roman jeunesse, Vingt-cinq moins un, publié chez Québec Amérique.

Vous connaissiez bien ces élèves?

Oui. Ces deux enfants étaient en 4e année; je leur avais enseigné en 2e année. L'année où c'est arrivé, je n'étais pas à l'école - j'enseigne deux années sur trois, j'écris ensuite. Je suis quand même allée y faire un petit coucou et on m'a dit: «Geneviève, assis-toi, on a une mauvaise nouvelle.» On m'a annoncé que Thomas, à qui j'avais enseigné en 2e année, avait une tumeur de grade 4. Ça m'a scié les jambes, vraiment.

Puis, le téléphone a sonné au mois de novembre. On m'a dit: «Geneviève, un élève est décédé.» Tout de suite, j'ai pensé: «Non, pas Thomas!» On m'a annoncé le décès d'une autre élève, que j'ai appelée Émeline dans mon roman. Depuis, ces événements m'habitaient. Je me suis dit que j'allais écrire là-dessus.

Comment les enfants réagissent-ils après la perte d'un ami?

J'ai interrogé l'enseignante de la classe pour savoir comment les enfants avaient vécu cela, même s'il y a de la fiction dans le roman. Elle m'a dit que très rapidement, les enfants passent à autre chose. Ce sont des moments précis - comme le pupitre vide sortant de la classe - qui viennent soulever toute la charge émotive.

Je me suis imaginé différents types d'enfants et je me suis fiée à ma propre sensibilité pour voir comment moi, comme enfant, j'aurais réagi. Mon personnage d'Émeline est une enfant pleine de vie, qui a aussi souvent des conflits. Je me suis demandé, comme son décès a été tellement subit, comment un enfant qui a vécu un conflit avec elle va vivre après sa mort, avec la culpabilité?

Votre roman s'adresse aux lecteurs de 9 ans et plus. C'est important de parler de la mort aux enfants?

Oui, parce que quand ça arrive, on est complètement démunis. Dans le livre, même après qu'on a expliqué la permanence de la mort, un petit bonhomme dit: «Est-ce qu'Émeline va être là demain?» C'est parfois la première fois que les enfants sont en contact avec quelque chose d'irrémédiable.

Est-ce plus dur à accepter pour les adultes, le deuil d'un enfant?

Je pense que oui. On sait tout ce qu'on perd. Ce que j'ai trouvé le plus difficile à écrire, ce sont les lettres que l'enseignante écrit à la petite [dans le roman, l'enseignante s'adresse à Émeline après sa mort dans un cahier mauve qu'elles s'échangeaient], parce que c'est vraiment moi qui les écrivais à cette enfant-là.

Ce qui est particulier, c'est que j'ai terminé l'écriture de ce roman en accompagnant ma mère en fin de vie. Ça a teinté ma réécriture. Le départ, l'absence définitive, je le vivais réellement.

On ne peut quantifier la souffrance causée par la mort, qu'il s'agisse d'un enfant ou d'un adulte. C'est la façon de vivre le deuil, de réagir à l'absence définitive qui est différente. L'enfant vit le moment présent. Quand la cloche de la récréation sonne, l'enfant va jouer. Il rit, il s'amuse. Il se tourne naturellement vers la vie.

Pourquoi avez-vous voulu écrire ce roman?

Au-delà du choc causé par la maladie et la mort d'élèves auxquels je suis attachée, c'est mon désir de faire quelque chose, de réagir à l'impuissance que j'ai ressentie, qui m'a poussée à écrire là-dessus. Continuer de faire exister ma petite Émeline. Capter la lumière à travers l'épreuve de la maladie. Et aussi, questionner ma façon d'être vivante.

Les propos de Geneviève Piché ont été édités en raison d'un espace limité.

L'avis d'une psychologue 

Parler de mort et de deuil en littérature jeunesse est nécessaire, estime Deborah Ummel, psychologue et professeure adjointe au département de psychoéducation de l'Université de Sherbrooke. «Dans leur vie, les enfants sont, comme les adultes, confrontés à la mort, rappelle-t-elle. Le plus souvent, cela peut être un animal qui meurt [un poisson, un oiseau, un chat], mais cela peut aussi être un grand-parent.»

«Les enfants sont également confrontés aux morts qui sont décrites dans l'actualité, par exemple la tragédie des sept enfants décédés dans un incendie à Halifax, illustre Deborah Ummel, qui n'a pas lu Vingt-cinq moins un. Les enfants peuvent voir des images dans les journaux ou à la télévision, ils ne vivent pas déconnectés de notre monde. Face à cette réalité, des oeuvres abordant ces questions, si elles sont bien faites, peuvent constituer des outils utiles pour aborder ces questions essentielles avec les enfants. J'irais même jusqu'à dire que l'on devrait davantage aborder la mort et le deuil dans le cursus scolaire.» 

Les enfants se remettent-ils plus facilement d'un décès? Non, c'est leur réaction à la perte qui diffère, répond la psychologue. «Un adulte peut ressentir de la peine et pleurer pendant quatre heures, observe-t-elle. Un enfant, après un certain temps, va ressentir une autre émotion et se remettre à jouer, par exemple. On ne peut pas en déduire qu'il souffre moins, il souffre différemment. Ce qu'on constate dans la pratique, c'est que des pertes précoces, si elles n'ont pas été accompagnées adéquatement [par exemple en donnant des explications avec des termes adaptés à l'âge et au stade développemental de l'enfant], peuvent resurgir plus tard dans la vie, vers la quarantaine, alors que l'on commence à vivre d'autres pertes. Cela a le potentiel de compliquer le deuil d'autres pertes auxquelles on fait face, sans qu'on s'en doute au premier abord.»

PHOTO FOURNIE PAR DEBORAH UMMEL

«Les enfants ont une conception de la mort différente de celle des adultes, dit Deborah Ummel, psychologue. Avant l'âge d'environ 7 ans, c'est difficile pour un enfant de concevoir le caractère irréversible de la mort.»

Deux livres sur le deuil d'un enfant

Toutes les nuances de la vie

C'est la rentrée. Ève a 9 ans. Elle s'inquiète de ne pas retrouver Thomas en classe. Le garçon a une maladie au nom de Pokémon (un pinéaloblastome de grade 4). Un cancer. Comment faire face à la maladie, à la mort et aux regrets en 4e année? Ce roman, qui peut sembler précipité par moments, aborde ces sujets graves - et malheureusement réels - avec délicatesse. Humain et vrai.

Vingt-cinq moins un, de Geneviève Piché, collection Gulliver, éditions Québec Amérique. Dès 9 ans.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Vingt-cinq moins un, de Geneviève Piché

Briser le tabou

Simon aime se reposer au pied d'un grand chêne avec Annabelle, née le même mois et la même année que lui. Un jour, à l'école, sa chaise reste vide. Simon, si costaud pour défendre Annabelle dans la cour d'école, a la leucémie. Après sa mort, Annabelle lui écrit des mots doux qu'elle enterre au pied du chêne de Simon. Le frère aîné de son ami lui dit qu'elle pensera un jour à lui avec de la mélancolie. «La mélancolie, c'est comme la tristesse, mais avec de la douceur dessus», explique-t-il. Cet album, aux riches peintures à l'acrylique, fait comprendre aux enfants qu'ils ont le droit d'exprimer leurs émotions face à la mort. C'est important.

Le cimetière des mots doux, texte d'Agnès Ledig, illustrations de Frédéric Pillot, éditions Albin Michel Jeunesse. Dès 5 ans.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Le cimetière des mots doux, texte d'Agnès Ledig, illustrations de Frédéric Pillot