Je regardais Tout le monde en parle il y a quelques semaines quand madame Jennie Carignan, grande patronne de l’armée canadienne au Québec, est apparue sur mon écran.

Voix bien assise dans la poitrine, cheveux courts d’un blond éclatant et uniforme d’armée de pied en cap. Même si la députée Catherine Dorion était aussi de l’émission à la suite de son horriblement fâchant épisode du coton ouaté qui a fait dérailler tous les dossiers de l’Assemblée nationale (et à juste titre. Un coton ouaté ? Appelez la police), j’avais l’impression qu’à Mme Carignan, on n’allait pas parler de son linge. J’aurais semi osé, disons.

Je la regardais en me disant que je devrais me promener dans la maison en linge d’armée. Peut-être que mes enfants m’écouteraient plus. Déjà que j’ai le ton d’un général. « Je lève ma main ! Dans 5 secondes, vous êtes habillés ! 5, 4, 3… 3 et demi… » Ça marche jamais. C’est le bordel. C’est pour ça que lorsque madame la générale a énoncé cette phrase puissante en direction de l’animateur qui venait de lui demander comment elle conciliait être dans l’armée et avoir quatre enfants… mon souffle s’est coupé, et ça m’a fait l’effet d’une bombe : « Je pense pas qu’on arrive jamais à la conciliation. Y a jamais de recette parfaite. » 

Oh. Mon. Dieu. Est-ce que quelqu’un vient d’avouer à heure de grande écoute à la télévision nationale que concilier travail et famille est un mythe ? Que tout le monde s’arrange, mais que personne n’y arrive ?

Est-ce que quelqu’un vient enfin de nous débarrasser de ce concept boiteux ? Cette espèce d’idéal, un pays où personne ne vit, le chaudron d’or au bout de l’arc-en-ciel que personne n’a jamais vu, mais qu’on se sent tous comme de la marde de pas avoir ?

***

C’est quoi ça ? C’est la fiche d’huile. La fiche d’huile ? Oui, faut qu’on vende de l’huile d’olive pour financer les activités de l’école. Les activités parascolaires ? Non, les activités avec la classe. Pour les pédagos ? Non, on paye déjà pour les pédagos. L’huile, c’est pour les sorties avec la prof, pas l’éducatrice. Et le café ? Je le sais pas. Faut aussi qu’on vende du café, mais je suis plus sûre pourquoi. Et les boîtes de Kleenex ? C’est pour la classe des petits. On nous les a demandées ? Non, y ont pas le droit de nous demander des boîtes de Kleenex, le gouvernement veut plus. Le premier ministre veut pas que les profs nous demandent de Kleenex ? Non. Ben comment les petits se mouchent ? Dans leur manche. Ou les profs doivent en acheter, j’imagine, avec leur salaire gros comme celui de Don Cherry.

Mais quand je suis allée à la réunion parent-prof, j’ai dit : « Clignez deux fois des yeux si vous avez besoin de Kleenex », et elle l’a fait. Alors, je lui en apporte. Et les photos de classe ? Les photos, faut les commander. Les enfants sont beaux, mais les fonds sont laids. Ouin. On dirait toujours qu’ils sont dans le hall d’entrée en marbre d’un hôtel payé par la mafia, je sais pas pourquoi ils font ça. C’est pour quand ? Demain. Tu t’en occupes ? Moi, je fais le café et toi, tu fais l’huile. Ensuite, on apporte les boîtes de Kleenex et on va chercher le premier au judo, le deuxième au soccer et la troisième à la fête de son amie, tu pognes le souper, je vais à la deuxième rencontre parent-prof, tu signes les bulletins, je vais acheter les mitaines qu’ils ont perdues. Récupère les boîtes à lunch dans les casiers, je passe par les objets perdus, finis ton appel-conférence, la ligne orange est en panne mais si on est chanceux, y ont déneigé devant chez nous et cette semaine, y a peut-être pas de devoirs parce que c’est une semaine récompense. D’ailleurs, faut pas oublier la collation spéciale pour vendredi, ils font des cabanes dans la classe et ils ont le droit d’amener un livre.

Bonne nuit, mon amour. Toujours un plaisir de concilier travail et famille avec toi.