Des milliers de livres se penchent sur la relation entre parents et enfants, de la conception à l’adolescence. Mais ensuite ? Ils se font rares, a constaté la psychothérapeute Sylvie Galland, ex-directrice du Centre psychothérapeutique de l’Hôpital de l’enfance de Lausanne, en Suisse. Mère de quatre grands enfants, elle publie La relation entre les adultes et leurs parents, aux Éditions de l’Homme. La Presse l’a jointe près de Lausanne.

« Éprouvez-vous parfois de l’ennui ou de l’agacement quand vous rendez visite à vos parents ? lit-on au dos de votre livre. C’est le signe qu’un changement devrait intervenir dans votre relation. » C’est vraiment ce que vous pensez ?

Oui, c’est ce que je pense, mais ce n’est qu’un exemple. L’idée de base, c’est que les relations en général sont faites pour évoluer et nous faire évoluer, sans stagnation. Or, il y a beaucoup de facteurs qui poussent la relation parent-enfant adulte à avoir de la difficulté à évoluer. Cette idée d’une relation figée est illustrée par les mots « ennui » ou « agacement », mais ce n’est pas l’essentiel.

Beaucoup de gens vous disent qu’ils doivent correspondre à quelque chose qui ne leur ressemble plus, dans leur famille d’origine ?

Oui. J’ai souvent entendu des adultes dire : « Il y a quelque chose qui ne bouge pas. Chaque fois, c’est la même chose. » Aussi, plusieurs parlent d’une communication qui n’est pas très authentique. On joue des rôles et on reste dans son rôle. C’est difficile d’aborder une communication plus personnelle, plus authentique, plus véridique d’une certaine façon, parce qu’il y a beaucoup de peurs : peur de blesser, peur du rejet, peur de toutes sortes de choses.

Qu’est-ce que vous conseillez ?

Bien sûr, je conseille surtout de travailler la communication. C’est ce qui nourrit les relations. Comment se fait-elle ? Pourquoi ? Comment ? Qu’est-ce qui l’empêche ? Qu’est-ce qui est difficile à dire ? Et qu’est-ce qui est difficile à entendre ? Comment peut-on avancer là-dedans ?

Vous suggérez de respecter les règles d’une bonne communication si on veut être entendu, en parlant de son propre ressenti, en ne faisant pas de généralisations, en énonçant ses besoins plutôt que d’accuser et en s’abstenant de porter des jugements.

Oui. J’ai écrit un petit résumé, qui est un rappel, mais ce n’est rien de nouveau. C’est ce que dit la communication non violente.

Vous recommandez d’éviter les confidences sur les déceptions conjugales, tant du côté des parents que de celui des enfants.

Oui, je pense que c’est un domaine qui demande énormément de prudence et de maturité. Je ne dis pas qu’il faut exclure toute confidence, ce n’est pas absolu. Mais c’est délicat. Admettons que vous êtes mariée. Est-ce que vous aimeriez que votre mari parle de sa relation avec vous à sa mère ? Ou à son père ?

Non, pas tellement… C’est le cas d’à peu près tout le monde, non ?

Mais c’est une tentation, bien sûr. Ça met mal à l’aise par rapport à l’autre, au tiers. Quand on le rencontre, on sait des choses qu’il ne sait pas qu’on sait. Ça crée une forme d’alliance entre le parent et son enfant.

S’il y a des cas extrêmes, si on voit une grave maltraitance, là, il appartient au parent de parler. De se positionner. Ensuite, s’il y a séparation, souffrance, les parents sont là pour entendre, pour accompagner. Pour apporter éventuellement du réconfort ou de l’aide.

IMAGE FOURNIE PAR LES ÉDITIONS DE L’HOMME

La relation entre les adultes et leurs parents, de Sylvie Galland

Je ne le dis pas de façon absolue, mais je dis : « Attention. » Il vaut mieux prendre le courage de parler à la personne intéressée ou alors, si on a besoin d’un regard tiers, mieux vaut parler à un ami ou une amie, ou éventuellement à un psy, que de parler à papa ou maman.

La relation entre parents et enfants doit évoluer d’une relation très proche, quand ceux-ci sont jeunes, vers quoi ?

La relation parent-enfant est surtout faite de deux choses. Il y a un aspect qu’on appelle le parent normatif, qui transmet des valeurs, des règles de vie, des limites, etc. Et l’aspect nourricier, qui est fait d’attention, de tendresse, de protection et de soins.

Je crois que ce qu’il faut lâcher en premier, c’est le parent normatif. On a transmis des valeurs pendant 20 ans, voilà, c’est fait ! En sortant du rôle de celui qui sait mieux que l’autre, on peut créer des relations d’adulte à adulte. Il y en a un qui a plus d’expérience que l’autre, bien sûr. Mais il faut passer d’une relation de soins à une relation d’échanges. C’est une des étapes de cette évolution.

Les enfants adultes doivent aussi poser un regard neuf sur leurs parents et ne pas préjuger de qui ils sont et de quoi ils ont besoin ?

Voilà. Tous les enfants se construisent ce qu’on appelle des images parentales, qui ne correspondent pas toujours au parent tel qu’il est. Pour rencontrer le parent réel, la personne réelle qui est derrière le rôle parental, il faut laisser tomber certaines images. Le père autoritaire, il n’est pas que ça. Il faut chercher quelle est la personne derrière cette image.

Notamment en posant des questions ? Vous mentionnez avoir entendu beaucoup de gens regretter, après la mort de leurs parents, de ne pas les avoir interrogés davantage.

Exactement. J’ai très souvent entendu ça. C’est pour cela que j’essaie d’encourager à créer un dialogue, avant qu’il ne soit trop tard.

Les propos de Sylvie Galland ont été édités en raison d’un espace limité.

La relation entre les adultes et leurs parents, Sylvie Galland, Éditions de l’Homme, 208 pages.