Scott Brison, ex-président du Conseil du Trésor, a eu recours à une mère porteuse californienne pour devenir père de jumelles, Claire et Rose, nées en 2014. Bien qu’il soit officiellement interdit au Canada de payer pour une « tierce reproductrice », cette pratique prend de l’ampleur. La sociologue Maria De Koninck souhaite que l’on réfléchisse aux enjeux soulevés par les mères porteuses.

« Je ne peux rester coite devant l’absence de débats fondés, le galvaudage de sentiments aussi nobles que l’altruisme, les efforts d’appropriation des femmes sous le couvert de progrès et enfin le peu de considération pour le bien-être des enfants », écrit-elle dans Maternité dérobée, publié aux éditions MultiMondes. La Presse l’a jointe à Québec.

Pourquoi avez-vous senti le besoin d’écrire un essai à ce sujet ?

Ce qui m’interpelle le plus, c’est la désinvolture avec laquelle on parle de mères porteuses. On en parle comme d’une solution, mais on n’a pas encore réfléchi à ce que c’est. C’est l’objectif de mon livre : contribuer à la réflexion sur ce que c’est, de faire appel à une femme pendant neuf mois pour porter un enfant qu’elle va céder à quelqu’un d’autre. Planifier qu’un enfant sera cédé. Peu importe la façon dont c’est fait : il y a des façons conviviales et d’autres qui sont essentiellement commerciales.

PHOTO FOURNIE PAR LES ÉDITIONS MULTIMONDES

Maria De Koninck, sociologue et professeure émérite au département de médecine sociale et préventive de la faculté de médecine de l’Université Laval, lors du lancement de Maternité dérobée, à Québec.

En vertu de la Loi sur la procréation assistée, le Canada interdit de payer une femme pour porter un enfant. Alors qu’il était député fédéral, Scott Brison a eu ouvertement recours à une mère porteuse américaine. Cela vous étonne ?

Cela montre comment le Canada est hypocrite. Quand on y pense deux secondes, Justin Trudeau s’est fait photographier avec Scott Brison, son conjoint et les deux petites filles, le sourire fendu jusqu’aux oreilles ! Mais, au Canada, ce n’est pas permis de procéder avec rémunération. Alors, ils sont allés faire ça aux États-Unis. Que le premier ministre s’affiche avec quelqu’un qui a fait un tel détournement de l’esprit de la loi canadienne, c’est plus qu’étonnant. Qu’est-ce que c’est, une loi, au Canada ?

Scott Brison a dit vouloir que ce soit commercialisé au Canada pour permettre à tous les couples d’avoir recours aux mères porteuses et pour que ça coûte moins cher. Il fait la promotion de cette pratique.

Les parents commanditaires font souvent appel à deux femmes : l’une pour donner un ovule, l’autre pour porter l’enfant. On divise la mère pour qu’elle soit moins forte, selon vous ?

Dans certains cas, ce que des couples disent, c’est que, comme ça, la femme qui porte ne s’attachera pas vraiment. Mais il semble que ça ne soit pas tout à fait comme ça. Dans bien des cas, la femme va quand même s’attacher. Ou encore, il y a des femmes qui ont témoigné qu’elles s’étaient assurées de ne pas s’attacher à l’enfant. Elles font un effort pour vivre la grossesse en se rappelant constamment que cet enfant-là n’est pas pour elles, qu’elles vont le donner.

Une femme qui porte un enfant est un être humain qui a une conscience, qui raisonne, qui pense. Elle sait ce qu’elle est en train de faire. Elle sait qu’elle va donner la vie à un enfant. Ce n’est pas la même chose qu’un animal. Quand on demande à une femme de porter un enfant pour le céder après, c’est ce que j’appelle une maternité dérobée. On en dérobe le sens.

Vous rappelez que, selon la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations unies, l’enfant a, « dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux ». Vous donnez l’exemple des enfants adoptés, nombreux à chercher à connaître leurs origines, même parmi ceux qui ont eu des parents adoptifs adéquats.

Oui. Dans le cas des enfants de mères porteuses, ils vont chercher à savoir pourquoi elles ont fait ça, en sachant qu’ils ne resteraient pas avec elles. Pourquoi mettre un enfant dans cette position-là, de façon planifiée ? Les parents commanditaires disent : « On va l’aimer et lui expliquer qu’on a tout fait pour l’avoir. » Oui, mais ça ne répond pas à la question de l’enfant.

Vous soulignez qu’on peut payer moins cher en utilisant une femme non blanche vivant dans un pays étranger pour porter un bébé blanc. C’était notamment le cas en Inde, jusqu’à ce que cette pratique soit interdite en décembre.

Oui, c’est documenté. Maintenant, les parents commanditaires se tournent vers d’autres pays. C’est le même principe que les multinationales qui se déplacent quand, dans un endroit, les travailleurs s’organisent un peu. Elles vont dans un autre pays. C’est exactement ce qui se passe avec les mères porteuses. C’est une industrie. Je ne suis pas la seule à le penser. Une fois qu’on franchit l’étape qui consiste à dire : « Oui, c’est acceptable, à certaines conditions », on a le pied dans l’engrenage pour qu’après il y ait commercialisation.

Conséquemment, vous privilégiez l’interdiction du recours aux mères porteuses à l’échelle internationale ?

Oui. Il y a des mouvements qui s’organisent. Je pense qu’on devrait invoquer, sur le plan du droit international, le jus cogens, soit les droits fondamentaux des enfants. Un enfant ne peut jamais être traité comme un produit d’échange. Et là, il y a un échange d’enfants. Réfléchir au recours aux mères porteuses nous amène à constater que c’est une pratique qui porte atteinte aux droits de l’enfant et à sa dignité en tant qu’être humain.

Les propos de Mme De Koninck ont été édités en raison de l’espace limité.