(Shanghai) Manger avec prestance, se tenir droit ou savoir s’exprimer lors d’un dîner en ville : à Shanghai, de jeunes enfants issus de l’élite fortunée apprennent auprès d’un professeur français les « bonnes manières » pour briller en société.

Au dernier étage d’un hôtel cinq étoiles de la métropole de 24 millions d’habitants, Danielle Liu, 10 ans, tente de marcher avec un livre placé en équilibre précaire sur sa tête… le long d’une ligne rouge tracée au sol.

But de l’exercice, selon sa maman qui l’observe : faire en sorte que sa fille améliore sa posture et devienne une vraie « petite femme » capable de se démarquer au sein de la communauté ultraconcurrentielle des riches Chinois.

Danielle fait partie d’un groupe de huit enfants, garçons et filles, dont les parents ont décidé de sacrifier un samedi pour suivre cette formation, réputée au sein de la haute société de Shanghai.

Les garçons sont au comble de l’élégance, avec costumes, nœuds papillon et chaussures noires bien cirées. Les filles arborent des robes impeccables et des sourires angéliques.

« Tu as un problème de stabilité », déclare Guillaume de Bernadac, 31 ans, le fondateur français de l’école, à l’adresse d’un élève qui tente péniblement de marcher avec un livre sur sa tête.

« Parfaite »

PHOTO HECTOR RETAMAL, AFP

Les bambins, âgés de 7 à 11 ans, ont l’air d’apprécier l’épreuve. Ils sont cependant bien plus réticents à se plier à l’exercice suivant : ne pas mettre leurs coudes sur la table lors du déjeuner.

Les bambins, âgés de 7 à 11 ans, ont l’air d’apprécier l’épreuve. Ils sont cependant bien plus réticents à se plier à l’exercice suivant : ne pas mettre leurs coudes sur la table lors du déjeuner.

« Ça me fait peur », répète en boucle le petit Zachary alors qu’il avale sa soupe, en tentant comme ses camarades de garder coincé sous chaque aisselle un morceau de papier blanc.

L’opération a pour but de garantir que les coudes ne touchent pas la table. Mais le défi s’avère vite bien trop élevé pour les enfants… et le sol fini recouvert de feuilles A4.

Pour obliger les enfants à se tenir droits, on les équipe d’une sorte de correcteur de posture maison, fait de rubans rouges noués dans le dos. Ceux qui se relâchent sont gentiment repris par Guillaume de Bernadac ou son équipe, qui comprend notamment d’anciens mannequins présentés comme des experts de « l’étiquette ».

Cheng Liyan, la maman de Danielle, l’avoue : l’objectif est que sa fille soit « parfaite ». « J’espère qu’elle pourra s’épanouir sur tous les plans, afin d’être une vraie femme, à l’allure sportive, et douée pour les études », explique-t-elle dans un anglais quasi parfait.

Danielle suit déjà des cours particuliers de natation, de piano et de danse-la discipline qu’elle préfère.

Cinq cent vingt dollars les quatre heures

« Je lui demande toujours si ça lui plaît », précise aussitôt sa maman, qui est enseignante. Elle admet cependant qu’il y a « une féroce compétition » pour l’emploi et la reconnaissance sociale à Shanghai, ville la plus développée et la plus internationale de Chine.

Mme Cheng et les autres parents ont payé à Guillaume de Bernadac la somme de 2688 yuans (520 $) par enfant pour quatre heures de cours pratiques — l’équivalent d’une semaine d’un salaire moyen à Shanghai.

PHOTO HECTOR RETAMAL, AFP

Mme Cheng et les autres parents ont payé à Guillaume de Bernadac la somme de 2688 yuans (520 $) par enfant pour quatre heures de cours pratiques — l’équivalent d’une semaine d’un salaire moyen à Shanghai.

Sur fond de musique classique, les enfants apprennent à interagir avec autrui, saluer les gens, soigner leur maintien, ou à choisir les bons sujets de conversation lors d’un dîner.

Guillaume de Bernadac est arrivé pour la première fois en Chine pour ses études. Il affirme que la demande a explosé depuis qu’il a créé en 2014 son Académie De Bernadac et dit avoir été contacté par la municipalité de Shanghai, désireuse de créer des cours similaires pour les écoles de la ville, afin qu’il l’aide à concevoir des programmes pédagogiques.

Son Académie propose également des formations pour les adultes ou les entreprises.

« Pas convenable »

Mais M. De Bernadac tient à le souligner : le but n’est pas uniquement d’inculquer des manières « occidentales » aux enfants. « Notre idée, c’est de donner les clés pour s’adapter, pour ceux qui vont à l’étranger, ou se retrouvent en Chine dans un environnement international, où ils sont amenés à côtoyer des cultures différentes », explique-t-il.

Ce Français à la cravate et au sourire impeccables n’a aucune formation dans le domaine, mais affirme que son arrière-grand-père donnait des cours particuliers du même genre à la noblesse du Maroc colonial dans les années 1920-1930.

Celui qui allait devenir le futur roi Hassan II du Maroc aurait ainsi suivi ces formations où il était enseigné « comment être poli et bien se comporter », selon Guillaume de Bernadac.

En Chine, « les élites sont désireuses de faire des efforts, des pas en avant vers la communauté internationale », estime-t-il.

Mme Cheng, élégamment assise à côté de sa fille Danielle après la leçon, ne trouve pas du tout prématuré d’inculquer à sa fille ces bonnes manières.

« Les enfants doivent rester des enfants, certes. Mais ils doivent aussi avoir un minimum de discipline », déclare-t-elle.

« En public par exemple, ce n’est pas possible qu’ils hurlent ou qu’ils crient. Ce ne serait pas convenable. »