Le dessin se passe de commentaires. L’enfant est assis à son pupitre devant son devoir de mathématiques. De la fumée sort de ses oreilles. Un gros nuage noir flotte au-dessus de sa tête.

Louise Lafortune, professeure émérite au département des sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Trois-Rivières, avait demandé à l’enfant de « dessiner les mathématiques ».

L’ironie, c’est que l’enseignante de mathématiques avait affirmé que l’enfant aimait les mathématiques parce qu’il faisait les exercices rapidement et plutôt correctement.

En entrevue, l’enfant avait plutôt expliqué qu’il voulait se soustraire à la pression des mathématiques le plus rapidement possible. « Ce n’est pas parce qu’on réussit qu’on ne vit pas de l’anxiété à l’égard des mathématiques », affirme Mme Lafortune.

La fameuse peur des mathématiques. Bien des adultes la ressentent encore. Ce qui peut poser des problèmes. « Tout le monde a besoin des mathématiques », lance Jean-Marie de Koninck, professeur émérite au département de mathématiques et de statistique de l’Université Laval.

« Ces adultes ne savent pas comment ça marche, un prêt. Ils ne sont pas en mesure de lire un graphique, explique le professeur. Ils ne savent pas ce que ça signifie, 30 % de chances qu’il pleuve demain. Ils ne peuvent pas faire un budget. Ils sont perdus dans les chiffres. »

Or, ce sont les adultes qui encadrent les enfants et qui véhiculent des mythes : les mathématiques, ce n’est pas intéressant, ça ne sert à rien. « Il y en a qui se vantent de ne pas être bons en mathématiques. C’est affolant ! Ils ne se rendent pas compte du pouvoir d’influence qu’ils ont sur les jeunes. »

Mme Lafortune regarde du côté de l’enseignement pour expliquer la mauvaise presse des mathématiques. « Pour beaucoup d’enseignants au primaire, ce n’est pas une matière préférée, indique-t-elle. Les enfants le voient bien. »

Philippe Richard, professeur au département de didactique à la faculté de l’éducation de l’Université de Montréal, tient à faire la différence entre les mathématiques comme science, comme domaine du savoir, et la « mathématique du citoyen », traditionnellement associée à l’arithmétique. C’est ce qu’on apprend à l’école primaire. « Ça ne représente pas l’ensemble des mathématiques, explique-t-il. C’est à peine un petit carreau dans une grande fenêtre. »

À l’école, chaque enfant a des préférences en fait de matières. Il est possible qu’il aime moins les mathématiques, ou la géographie, ou l’histoire.

« Mais une fois adultes, ils peuvent s’intéresser davantage à l’histoire, ils peuvent se documenter, observe M. Richard. Par contre, en mathématiques, si on n’a pas eu le déclic en partant, c’est difficile d’y revenir. Il faudrait peut-être que les gens se donnent des occasions de refaire des mathématiques et de ne pas en avoir honte. Ça prendrait des cours de mise à niveau pour les adultes. »

La bosse des maths

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Quelques mythes ont la vie dure lorsque vient le temps de parler des mathématiques. La bosse des maths, par exemple. « Ce n’est pas vrai que les maths, c’est pour les bollés, lance Jean-Marie de Koninck. C’est pour tout le monde. »

Il faut toutefois les apprivoiser. M. de Koninck insiste sur l’importance d’un bon prof passionné. Dans son cas, c’est sœur Bonaventure, des sœurs de la Charité, qui lui a transmis la passion.

Louise Lafortune rejette également l’idée d’une bosse des maths. « L’influence sociale et les stéréotypes véhiculés ont beaucoup plus d’importance que ce qu’il pourrait y avoir sur le plan physique qui fasse en sorte que certains ont plus de facilité », affirme-t-elle. Cette dernière estime qu’un enfant qui réussit dans toutes ses matières, sauf les mathématiques, a en fait la capacité de réussir dans ce domaine d’études.

Un autre mythe récurrent, c’est au sujet des filles qui seraient moins bonnes en mathématiques que les garçons. Jean-Marie de Koninck rappelle qu’il y a eu nombre de grandes mathématiciennes dans l’histoire, à commencer par Sophie Germain, une mathématicienne et physicienne française née en 1776 qui a dû signer sous le nom d’Antoine Auguste Le Blanc pour être publiée.

La crainte des mathématiques peut avoir des conséquences importantes dans la vie des gens, souligne Mme Lafortune.

« La conséquence qui me fait le plus de peine, c’est qu’une personne ne choisisse pas la carrière qu’elle aurait voulue à cause de ses difficultés en mathématiques. »

Diminuer la peur

Mme Lafortune fait quelques suggestions aux parents et aux enseignants pour minimiser la crainte des mathématiques. « Il ne faut pas dire que c’est facile parce que ce n’est jamais facile, affirme-t-elle. Apprendre, c’est difficile, que ce soit apprendre à faire du ski ou apprendre à écrire sans faute. »

Elle recommande aussi de faire valoir les progrès du jeune, même s’il n’y a pas réussite, et suggère également de faire des liens entre les mathématiques et les activités favorites des jeunes.

Elle note qu’avec la réforme de l’éducation, les écoles font de plus en plus appel à ce genre d’exercices. La professeure recommande finalement de laisser les enfants faire les devoirs seuls, quitte à rapporter des travaux moins que parfaits à l’école. « Parfois, la pression vient beaucoup des parents. »

La différence québécoise

S’il y a un endroit où on ne devrait pas parler de crainte des mathématiques, c’est bien au Québec. « De façon générale, le Québec se distingue très avantageusement par rapport à un peu partout dans le monde », affirme Philippe Richard. Depuis deux décennies, le Québec se classe systématiquement dans les premiers rangs de l’enquête PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves en mathématiques). Cette enquête porte sur environ 80 pays. En 2015, la province s’est classée derrière Singapour et Hong Kong. Des évaluations pancanadiennes du Conseil des ministres de l’Éducation du Canada confirment également la dominance québécoise. Dans ces évaluations, on ventile ces résultats selon le sexe et la langue. « Ce qu’on trouve, c’est que la différence gars/fille n’est pas significative, indique M. Richard. En revanche, la langue l’est. Les francophones, partout au Canada, et pas seulement au Québec, sont meilleurs que leurs condisciples anglophones. » Pourquoi ? Une des hypothèses avancées serait liée à la formation des enseignants. Au primaire, ils sont essentiellement des généralistes alors qu’au secondaire, ils sont des spécialistes de la matière. Or, au Canada anglais, le primaire peut se poursuivre jusqu’à la 8e ou la 9e année.