Costumes de clowns interdits, déguisements à caractère violent à éviter, armes en tout genre prohibées, heures de collecte réglementées. Chaque année, les nouvelles du genre font la manchette. Pas de doute, l'Halloween est une fête  de plus en plus balisée, limite policée. Mais est-ce vraiment une si bonne idée? Le tour du sujet, et des règlements les plus insolites, en six temps.

La prison pour la collecte

Le saviez-vous? En Virginie, ne fait pas la collecte de bonbons qui veut. Certaines municipalités ont passé des lois qui balisent la tournée entre 18 h et 20 h pour les enfants de 12 ans et moins seulement. Attention, à Chesapeake, quiconque se fait pincer à cogner aux portes hors de ces heures est passible d'une amende pouvant aller jusqu'à 100 $, ou 30 jours d'emprisonnement. Vous vous déguisez passé 12 ans? La prison vous attend, la loi prévoyant jusqu'à six mois d'emprisonnement. Les villes de Portsmouth, Virginia Beach, Hampton, Newport News et Norfolk possèdent toutes leur lot de règlements du genre depuis des décennies déjà. L'objectif avoué des autorités est ici de limiter les dégâts de groupes d'adolescents délinquants. Au pays, la ville de Bathurst, au Nouveau-Brunswick, a fait beaucoup jaser dans les dernières années pour sa mise en place de règles similaires. Longtemps, l'âge limite a été de 14 ans, et un couvre-feu interdisait la collecte passé... 19 h. L'an dernier, on a assoupli un tantinet le règlement et osé un grain de folie: l'âge limite est passé à 16 ans et le couvre-feu... à 20 h.

Finis les déguisements effrayants

Il y a deux ans, certaines écoles partout en Amérique du Nord, y compris au Québec, ont commencé à interdire les déguisements de clowns. On se souvient qu'à l'époque, quelques «méchants clowns» avaient fait la manchette, s'amusant à effrayer et agresser des inconnus. Deux ans plus tard, cette interdiction est toujours de mise dans certains établissements. La plupart des écoles interdisent en outre les masques et les armes, bref, tout objet à caractère violent. En 2016, une blogueuse du site mom.me rapportait que l'école de son fils interdisait en prime... le maquillage! Son garçon, un fan de Star Wars, dépourvu de son masque et de son sabre laser, sans l'ombre d'un fard blanc sur le visage, avait fini par ressembler à un moine bénédictin, déplorait-elle. L'école, qui n'a pas été nommée mais qu'on devine drôlement festive, encourageait par ailleurs les élèves à se costumer, ça ne s'invente pas, en personnages de livres.

Place aux déguisements «positifs»

Ces règlements ne datent pas d'hier. En 2009 déjà, le New York Times rapportait que de plus en plus à travers les États-Unis, les écoles balisaient le choix des costumes, interdisant les déguisements jugés trop effrayants, au profit de costumes plus «positifs». Par exemple? En Illinois, rapportait le quotidien, des élèves devaient se déguiser en «personnages historiques» ou en «aliments délicieux» (idéalement des carottes ou des citrouilles). Out, vampires et autres zombies, place aux gentils animaux, aux légumes et aux fruits. «L'interprétation de ce qui est trop effrayant, déplorait le journaliste du Times, a mené à une abondance de mises en garde et d'interdictions.» C'est sans parler ici de toutes les consignes mettant en garde les enfants contre les risques d'appropriation culturelle aujourd'hui, mais c'est là un tout autre (quoique tout aussi épineux) sujet.

Peur de quoi?

«Déguisez-vous en crayons!», pouffe ici Lenore Skenazy, présidente de l'OBNL américaine Let Grow (cofondée par le psychologue de renom Peter Gray, auteur de Free to Learn), laquelle milite en faveur d'une plus grande autonomie des enfants (et qui dénonce, sur une base quasi quotidienne, les dérives de l'hyperparentalité aujourd'hui). Selon elle, les règles des municipalités entourant les heures et les âges autorisés contribuent à perpétuer cette (fausse) idée selon laquelle l'Halloween comporterait certains (gravissimes) dangers. «Comme si l'Halloween était une fête dangereuse, comme si nos enfants étaient si fragiles», déplore la militante en entrevue. Gare aux déguisements trop amples, les enfants pourraient trébucher, gare aux masques, leur vision pourrait être embrouillée, gare au maquillage, ils pourraient avoir une allergie, ironise-t-elle sans se faire prier. Selon elle, laisser entendre qu'un fantôme ou même un zombie (et que dire d'un clown?) pourrait être trop effrayant pour un enfant, «c'est une insulte à cette génération!»

De l'importance de confronter ses peurs

À ce sujet, si votre enfant a effectivement peur des montres et que vous craignez qu'il ne fasse des cauchemars pour le reste de ses jours en croisant un mort-vivant dans le quartier mercredi soir, la pire chose à faire est de l'isoler ou de le (sur)protéger, signale le psychologue et spécialiste des troubles anxieux Camillo Zacchia. «Face à tout ce qui est inconnu ou menaçant, il est normal d'avoir peur, explique le clinicien. Mais en général, si j'y fais face, je vais éventuellement apprendre qu'il n'y a pas de danger.» À l'inverse, si on fuit la peur en question, «on reste avec des mauvais souvenirs, et la peur peut augmenter avec le temps». Non, il n'y a pas de recette universelle, mais «personnellement, poursuit le vice-président de Phobies-Zéro, je ne penserais pas qu'on ait besoin de surprotéger les enfants. On a plutôt besoin de leur enseigner qu'il n'y a pas de danger». Les rassurer pour les aider à surmonter une peur, peut-être même l'apprivoiser, pour finalement en redemander? Faut-il le rappeler? «Oui, c'est ça, l'Halloween: avoir du fun avec ce qui n'est pas réel. Et je pense que les enfants comprennent ça très bien...»

La sécurité revisitée

«Avons-nous franchi une coche de plus dans la démesure du risque zéro?», s'interroge l'orthopédagogue et formatrice en intervention psychosociale France Paradis, dénonçant au passage à quel point nos enfants sont aujourd'hui «encadrés, dirigés, disciplinés». Selon elle, en voulant les protéger (de quoi, d'ailleurs ?), on fait pourtant fausse route. «Nos enfants sont de moins en moins libres et créatifs, capables de pensée critique, dénonce-t-elle. Parce que tout ça est lié: plus on me dicte quoi faire, moins je peux penser par moi-même.» En un mot: plus on réglemente, plus on obéit sans réfléchir et, au final, moins on réfléchit tout court. «Et on se trompe si on pense que c'est sécuritaire. Ce qui est sécuritaire, avance-t-elle, c'est apprendre aux enfants à penser par eux-mêmes.» Et il est aussi grand temps, conclut-elle, de remettre en question cet hyperencadrement ambiant. «Il faudrait avoir une conversation collective, lance-t-elle. Pas seulement sur l'Halloween, mais sur cet embrigadement des enfants sur le "suivre les consignes"».

Sur ce, bonne collecte, bonne surdose de sucre, et un seul conseil: assurez-vous que vos enfants soient bel et bien visibles pour leur tournée. Car s'il y a un réel danger à l'Halloween, sur lequel tous les observateurs s'entendent (à commencer par la police), c'est bien celui-ci: pas les monstres de la nuit, mais... les automobilistes.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE