C'est aujourd'hui que ça se passe: le cannabis sera officiellement légalisé au pays. Pour les parents, bien des questions se posent, tant pratiques et juridiques que morales. Le tour du sujet en six temps.

FUMER DEVANT SES ENFANTS?

Si, comme parent, on se permet de boire un verre de vin devant nos enfants, est-ce qu'avec la légalisation, on devrait se permettre de fumer un petit joint pareillement? Il n'y a malheureusement pas ici de réponse simple. «Ni oui ni non, ça dépend», avance prudemment Didier Jutras-Aswad, chercheur au CHUM et professeur agrégé en psychiatrie et addictologie. «Il n'y a pas de réponse simple», renchérit son collègue Richard Bélanger, médecin de l'adolescence au CHU de Québec, expert en usage de cannabis chez les jeunes.

Pour Didier Jutras-Aswad, ce sont davantage les «principes» derrière notre question qui sont ici importants. Quatre principes, plus précisément: «Il faut que le parent soit informé sur le cannabis, qu'il ait fait une réflexion sur sa consommation, qu'il soit capable d'en parler et qu'il soit conséquent.» En un mot: avant de songer à fumer devant son enfant, pensez-y et, surtout, parlez-en. «La pire des choses, c'est que ce soit tabou, qu'on ne parle pas, mais qu'on agisse.»

«Il n'y a pas une seule recette, je ne peux pas dire: non, jamais.»

Une chose est sûre, par contre: «Les jeunes ont des comportements influencés par leurs amis, oui. Mais aussi par leurs parents», dit-il. Même si on a tendance à l'oublier. Dans l'Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire de 2010-2011, les répondants ont confirmé que leurs parents étaient les personnes qui avaient le plus d'influence sur leur vie et sur leurs décisions. «Alors si un parent a un comportement qui tend à banaliser la consommation du cannabis, ça peut avoir un effet sur le jeune. Mais est-ce que consommation équivaut à banalisation? Pas nécessairement», nuance encore Didier Jutras-Aswad. Encore une fois, tout est ici question de contexte, de pourquoi, de comment, et surtout de communication. «Si le parent fume à n'importe quel moment, n'importe comment, n'importe où, ça peut laisser croire que c'est banal, avance-t-il. Mais si c'est fait dans certains contextes, qu'il y a eu discussion, qu'on a expliqué qu'il y avait des âges où il y avait plus de risques, d'autres moins, je pense que c'est complètement différent.»

Mieux vaut s'abstenir

Cela dit, mieux vaut rester «très prudent». Car quoi qu'il arrive, votre consommation peut envoyer un message, et pas nécessairement celui que vous voulez. «Dans le doute, mieux vaut s'abstenir», suggère le psychiatre.

Richard Bélanger est encore plus catégorique. Au-delà des considérations de «normalisation» ou de «modélisation», l'expert en usage de cannabis avance deux autres arguments: la question de la sécurité et des capacités parentales (d'autant plus pertinente quand on sait que le cannabis est aujourd'hui la substance la plus utilisée avant de conduire, devant l'alcool, chez les jeunes, souligne le pédiatre), ainsi que les risques associés à la fumée secondaire. Depuis cinq ans, les études démontrent en effet qu'on trouve des traces de THC dans les urines et le sang des enfants hospitalisés avec une bronchiolite. «Pas chez tous les enfants, mais cela veut dire que si on trouve du THC, c'est que ces enfants ont été exposés», dit-il.

Et même s'il n'y a eu que très peu d'études à ce jour sur la consommation de cannabis, conclut-il, les recherches sur la consommation des parents, en matière d'alcool et de tabac, sont sans équivoque: «La consommation des parents est associée à une consommation des enfants.» En un mot: «Si le parent veut réduire au maximum les possibilités que son jeune consomme, la littérature nous dit qu'il devrait faire attention à ce qu'il consomme devant lui.»

PARTAGER UN JOINT?

Tout comme on donne à l'occasion un verre de vin à nos enfants, une fois le cannabis légalisé, est-ce qu'on pourrait penser partager un joint avec eux?

D'un côté, «la loi est très claire», répond le chercheur Didier Jutras-Aswad. En effet, la nouvelle Loi sur le cannabis interdit à quiconque de «vendre ou fournir du cannabis à une personne de moins de 18 ans». Cette loi crée deux nouvelles infractions criminelles, assorties de peines pouvant aller jusqu'à 14 ans de prison.

«Je ne pense pas que ce soit une bonne chose à faire, contrevenir à la loi», insiste-t-il.

D'un autre côté, «il n'y a pas de réponse toute faite», ajoute le pédiatre et expert en usage de cannabis chez les jeunes Richard Bélanger. Mais il y a un message qu'on peut tenter, à notre manière, de véhiculer, avance-t-il.

«Ce n'est pas une substance banale, la consommation peut avoir des risques pour la santé, mais cela ne veut pas dire que toutes les consommations sont problématiques», ajoute Richard Bélanger, médecin de l'adolescence au CHU de Québec.

Il reste que si vous, comme parent, vous voulez limiter au maximum les impacts sur la santé de votre jeune, mieux vaut ne pas lui en donner: «Il a moins de chances de consommer s'il a moins d'accessibilité», souligne-t-il.

«C'est un pensez-y-bien, insiste-t-il. Donner du cannabis à un enfant, ce n'est pas quelque chose que je suggérerais.»

Photo La Presse

QUELS SONT LES RISQUES?

Psychose, schizophrénie, dépression... Les drames liés au cannabis défraient la chronique à la veille de la légalisation. Quels risques courent réellement nos adolescents s'ils en consomment?

«Avec la consommation de cannabis, il n'y a pas de risque zéro», soutient d'emblée Jean-François G. Morin, étudiant au doctorat en psychologie et coauteur d'une étude sur les effets à long terme du cannabis chez les adolescents. Cette enquête, dont les conclusions ont retenu l'attention de l'American Journal of Psychiatry, a fait grand bruit la semaine dernière.

Les chercheurs du centre hospitalier universitaire Sainte-Justine et de l'Université de Montréal ont suivi 3826 adolescents canadiens pendant quatre ans. Ils se sont penchés sur l'évolution de leurs habiletés cognitives et ils ont mis en lumière les changements à la suite de la consommation de cannabis. «Ce qu'on a remarqué, c'est qu'il y a des atteintes neurocognitives dans le très court terme chez les adolescents qui consomment du cannabis, résume Jean-François G. Morin. Dans la période qui suit leur consommation de cannabis, on voit qu'il y a une réduction dans les habiletés comme la mémoire, la mémoire de travail - qui nous permet de manipuler une information dans notre tête - et aussi sur le plan de la capacité à réprimer certains comportements qui ne sont pas pertinents, comme regarder à l'extérieur pendant un cours.»

Une consommation occasionnelle pourrait-elle avoir des impacts à long terme sur le cerveau de nos jeunes? «Oui, tranche le chercheur. Ce qu'on observe, c'est que sur une longue période, un an après le début de la consommation, peu importent les variations dans la consommation du jeune dans cette année-là, on va quand même observer un effet délétère.»

Des effets toutefois proportionnels à la fréquence de la consommation, précise M. Morin.

«Les grands consommateurs vont avoir des effets plus visibles et les petits consommateurs risquent d'avoir de petits déclins», indique François G. Morin, coauteur d'une étude sur les effets à long terme du cannabis chez les adolescents.

N'est-ce pas préoccupant? «On ne veut pas être dogmatiques non plus, ajoute le chercheur. Il y a plein de comportements qui peuvent nuire au développement cognitif de nos enfants, comme le manque d'activité physique. Je ne voudrais vraiment pas que les parents qui lisent cet article soient découragés si leur enfant consomme un petit peu de cannabis et qu'ils se sentent fautifs. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'on veut réduire l'utilisation le plus possible, et, oui, dans un monde idéal, si l'on veut protéger le développement cognitif de nos ados, le mieux serait d'éliminer la consommation.»

Certaines études démontrent aussi que, chez certains consommateurs, le cannabis peut également entraîner des symptômes de dépression, d'anxiété et provoquer une baisse de la motivation.

Et la schizophrénie?

Les risques de troubles psychotiques liés à la consommation de cannabis préoccupent beaucoup de parents. Qu'en est-il, exactement? «Il y a eu beaucoup d'études qui ont démontré que chez ceux qui consomment du cannabis, particulièrement s'ils en consomment fréquemment, il y a en effet une multiplication du risque de développer une maladie psychotique comme la schizophrénie», explique Didier Jutras-Aswad, professeur en psychiatrie à l'Université de Montréal.

La schizophrénie est présente chez environ 1 % de la population. Chez les consommateurs de cannabis, la prévalence serait multipliée par trois. «C'est une question très complexe, précise toutefois le spécialiste. On doit tenir compte des facteurs de vulnérabilité comme la présence dans la famille d'une maladie psychotique. Il semble qu'il y ait un lien avec le début de la consommation à un jeune âge et la plus grande fréquence de consommation.»

Photo La Presse

MOINS RISQUÉ, LE POT LÉGAL?

Le cannabis légal, s'il a un taux de THC contrôlé, n'est-il pas moins dangereux? «Il y a effectivement des produits cannabinoïdes synthétiques qui sont parfois extrêmement puissants et qui se retrouvent sur le marché noir. On ne les retrouvera pas sur les rayons de la Société québécoise du cannabis. Le consommateur va en savoir plus sur ce qu'il consomme, mais, en même temps, la réalité, c'est qu'on n'a pas de très bonnes données sur le cannabis qui est offert sur le marché illicite actuellement», explique Didier Jutras-Aswad, professeur de psychiatrie à l'Université de Montréal.

Impossible, donc, de déterminer avec précision si, oui ou non, le cannabis vendu légalement comportera moins de risques pour le grand public, et chez les adolescents en particulier.

La Société québécoise du cannabis affichera le taux de THC que contiennent ses produits. Or, Didier Jutras-Aswad précise que les études sur le cannabis ne permettent pas de déterminer avec précision s'il existe un niveau de THC plus sécuritaire pour les utilisateurs.

«Les données ne sont pas encore assez précises pour que l'on dise aux gens, par exemple, qu'à partir de 15 %, le risque est vraiment plus élevé», explique Didier Jutras-Aswad, chercheur au CHUM et professeur agrégé en psychiatrie et addictologie.

Jean-François G. Morin, coauteur d'une récente étude sur les effets du cannabis sur la cognition des adolescents, abonde en ce sens. «Il y a des éléments dans la littérature scientifique qui indiquent que le THC serait un des coupables dans ce qui cause les dommages neurologiques dans la consommation de cannabis. Parce que les adolescents dans notre recherche ne pouvaient pas déterminer le taux de THC ni même le nombre de grammes qu'ils consommaient, nous n'avons pas pu tester cette dimension», souligne le chercheur, avant d'ajouter que «s'il faut choisir, si l'on peut réduire au maximum la concentration de THC, ce serait préférable».

Photo La Presse

FOURNIR UN PRODUIT «CONTRÔLÉ»?

Sachant que notre ado veut essayer, ne serait-ce qu'un joint, ne vaut-il pas mieux lui fournir un produit légal et par définition contrôlé?

Pour Didier Jutras-Aswad, professeur agrégé en psychiatrie et addictologie, la réponse est non. «Ce serait contrevenir à la loi, tranche-t-il. Je ne suis pas sûr que ce soit un bon message.»

Cela dit, «c'est une bonne question», convient le pédiatre Richard Bélanger. Et il n'y a pas de réponse simple ni universelle. Reste que selon lui, la curiosité de notre ado témoigne d'abord et avant tout d'un besoin de parler. De discuter. Bref, d'en savoir davantage sur le cannabis. Et c'est à nous, comme parent, de saisir cette perche.

À cet égard, il existe beaucoup de ressources sur l'internet pour permettre aux parents de bien s'informer, histoire d'appuyer ici leurs propos sur des faits. Et non des croyances. Et surtout des trucs pour favoriser la discussion (voir prochain onglet). Un conseil: «Gardez en tête que si vous êtes confrontant, il n'y aura plus de dialogue. Et vous ne serez pas plus avancé», glisse Didier Jutras-Aswad.

Ce qu'il faut dire, en gros: «Oui, la substance va être contrôlée par rapport à sa concentration, mais ça ne veut pas dire que c'est sécuritaire.»

«C'est un peu comme le tabac: ce n'est pas parce que c'est légal que nécessairement, ça veut dire que c'est sécuritaire», nuance Richard Bélanger, médecin de l'adolescence au CHU de Québec.

Au final, c'est au parent ici de faire un choix. Car c'est lui qui connaît le mieux son enfant. Avec toutes les nuances qui s'imposent, le médecin de l'adolescence lance cette ultime mise en garde: «C'est au parent à prendre la décision, en considérant que cette décision pourrait, particulièrement chez les jeunes à risque, avoir des conséquences qui pourraient devenir problématiques.»

Photo La Presse

QUOI DIRE ET COMMENT?

Selon les experts consultés, deux choses sont ici importantes: quoi dire et, surtout, comment.

D'abord, on conseille aux parents de discuter de ce qu'est le cannabis («non, ça n'est pas une substance banale», illustre le chercheur Didier Jutras-Aswad). On précise au passage qu'il n'y a pas une majorité de jeunes qui consomment.

On peut aussi expliquer les effets sur la santé, «mais de façon nuancée, sans histoires de sorcières, conseille l'expert. Il ne faut pas banaliser, mais pas non plus diaboliser».

Surtout, enchaîne-t-il, il est important d'expliquer aux jeunes pourquoi Ottawa a décidé de légaliser le cannabis. «Ce n'est pas parce que c'est dénué d'effets sur la santé, dit-il, mais parce qu'on croit que c'est le meilleur moyen de protéger la santé.»

Enfin, ne nous leurrons pas: si l'on n'aborde pas cette question avec nos jeunes, ils trouveront ailleurs des réponses à leurs questions. «Les adolescents sont naturellement très curieux. Ils font leurs propres recherches sur l'internet et, parce que les réponses varient, ils sont parfois un peu perplexes», expose Chelsea De Moor, responsable de la diffusion d'information pour le Centre canadien sur les dépendances et l'usage de substances. Elle a récemment participé à l'élaboration d'un guide destiné aux parents qui souhaitent parler de cannabis à la maison.

Et les effets bénéfiques?

Éviter d'être alarmiste, d'accord, mais est-ce approprié de parler des côtés plus positifs de la consommation de cannabis? «Les jeunes nous l'ont dit haut et fort: ils déplorent que cette conversation soit à sens unique», rapporte Chelsea De Moor.

«La plupart des conversations qu'ils ont au sujet du cannabis avec les adultes tournent autour des risques, ajoute-t-elle. On doit absolument parler des risques, mais ils sont très au courant qu'il peut y avoir des bénéfices. Ils savent, par exemple, que le cannabis est parfois utilisé à des fins médicales.»

Elle soutient que d'aborder les bons côtés dans une conversation basée sur des faits n'aura pas pour effet d'encourager les adolescents à consommer. «Ils veulent entendre parler des deux côtés de la médaille, sans biais, pour ensuite prendre leurs propres décisions.»

Lancer la discussion

Quant à savoir comment on aborde le sujet, il n'y a pas de secret. «Il faut être soi-même prêt», résume Didier Jutras-Aswad. En un mot: bien s'informer, prendre conscience de notre consommation, choisir le moment opportun et trouver le ton («plus il y a d'émotion et de colère, moins il y a d'échange»). Assurez-vous de ne pas avoir l'air de faire un «sermon», mais visez au contraire la «discussion»: «cela veut dire aussi qu'on écoute, qu'on s'intéresse, qu'on pose des questions», toujours sous l'angle de la conversation.

«Il peut être difficile de savoir quand en parler, admet Chealsea De Moor. Il faut par contre se dire que ça n'a pas besoin d'être très formel. Ça peut être en faisant la vaisselle, en marchant... Ce que l'on souhaite, c'est garder le dialogue ouvert. On ouvre une porte et on montre à notre adolescent qu'on est là pour l'écouter et lui donner les informations dont il a besoin.»

L'idée, c'est de viser plusieurs petites conversations au fil du temps plutôt qu'une seule, plus chargée? «Oui! Pourquoi pas! De toute façon, vous ne serez probablement pas capable d'aborder tous les sujets en une seule discussion, souligne-t-elle. Et vos jeunes auront sûrement d'autres questions. Avec le temps, s'ils se sentent écoutés, ils seront plus à l'aise d'aborder ce sujet.» 

Quelques ressources

Intervenants dans les écoles secondaires

- Tel-Jeunes/Ligne parent: 1-800-361-5085

- Info-Social (811)

- Encadrement du cannabis au Québec

- Conseils aux parents d'adolescents

- Guide de communication sur le cannabis du Centre canadien sur les dépendances et l'usage de substances

- Guide pratique de l'Association québécoise des neuropsychologues

Photo La Presse