Dans le quotidien déjà haut en couleur des enfants qui vivent avec un trouble déficitaire de l'attention, il arrive qu'une autre particularité s'invite: le haut potentiel, ou la douance. «Une double chance ou une double peine?», interroge le pédopsychiatre Olivier Revol. Tout dépend du soutien.

En classe, ils s'ennuient. Et parce qu'ils ont du mal à contrôler leurs émotions, ils dérangent, et parfois, ils échouent. Les enfants à la fois doués et atteints d'un TDAH ont un profil unique auquel s'intéressent de plus en plus de médecins et de spécialistes.

Cette situation est suffisamment fréquente pour que plus de 500 parents et spécialistes de l'apprentissage se déplacent à Montréal pour en savoir plus, à la mi-octobre. Le pédopsychiatre français Olivier Revol était de passage au Québec pour aborder le quotidien de ces jeunes «TDAHP», un terme de son cru qui contracte TDAH et haut potentiel.

Ces enfants hyper sensibles argumentent et, bien souvent, n'aiment pas trop l'école. «Comme spécialistes, on rate souvent le diagnostic, car le haut potentiel fait que le gamin, il s'en sort», explique d'entrée de jeu le spécialiste.

Au Québec, le dépistage du trouble de l'attention est «en avance sur la France», constate le Dr Revol, qui a fait une partie de ses études à Montréal. Les enfants y reçoivent souvent un diagnostic unique de TDAH, alors qu'en France, on ne s'intéressera qu'au potentiel intellectuel du jeune.

On estime que de 4 à 7 % des jeunes ont un trouble déficitaire de l'attention. Combien d'entre eux sont aussi à haut potentiel? «On ne le sait pas, affirme le Dr Revol. Il faudrait faire une enquête, et faire des tests de QI à tout le monde dans une école et ça, ça coûte cher.»

«Il y a plein de hauts potentiels qu'on ne connaît pas, mais on le voit: il y a plus de TDAH, et plus de dyslexiques aussi, chez les enfants à haut potentiel que dans la population en général.»

Difficile portrait

Pour les jeunes en difficulté qui présentent les deux caractéristiques, il est primordial de s'attarder au portrait complet pour leur venir en aide, insiste le Dr Revol. Par contre, le tableau n'est pas simple à dresser.

«Même un bon professionnel peut passer à côté en faisant bien ses devoirs», confirme Ariane Hébert, psychologue et auteure de livres sur le TDAH. Elle voit chaque année en moyenne quatre ou cinq cas d'enfants qui cumulent douance et trouble de l'attention. Prudente, elle explique que le TDAH peut tromper les spécialistes sur le potentiel intellectuel de ces jeunes.

Avant même de demander une évaluation, les parents des enfants «TDAHP» ont d'ailleurs souvent exploré plusieurs avenues. «Quand ils arrivent dans mon bureau, il y a déjà beaucoup d'hypothèses qui ont été émises, constate la psychologue. On s'est creusé les méninges longtemps, parce que c'est comme si on n'arrivait à les mettre dans aucune case, ces enfants-là. Ils ont des traits de l'un, des traits de l'autre, en classe ils sont en opposition, ils peuvent être paresseux... et ils n'ont pas nécessairement de bonnes notes non plus! Alors avant qu'on fasse le test d'intelligence, ce n'est pas évident.»

Le hasard a fait en sorte que l'an dernier, la psychologue a vu trois enfants présentant la douance et le TDAH en très peu de temps. «Ils étaient référés par des écoles qui les croyaient autistes Asperger.»

Une situation fréquente, soutient le Dr Revol. «Les parents sont perdus surtout parce qu'on les met sur de fausses routes. On a tendance à attribuer les comportements de l'enfant uniquement au TDAH, ou encore à une dépression, à un autisme Asperger, mais les parents sentent qu'on passe à côté d'un truc! Il faut les écouter.»

Vision optimiste

Le Dr Revol soulevait cette question à l'occasion de la première de ses conférences, en s'adressant aux parents: «Le TDAH et la douance, c'est une double peine ou une double chance?» Optimiste, le spécialiste croit que si le chemin des enfants TDAH ou doués est tortueux, celui des «TDAHP» peut au contraire être plus facile, si tout est mis en place pour les soutenir.

«Je suis optimiste parce qu'en 30 ans, j'ai vu que ces jeunes s'en sortent plutôt bien, dit-il. Par exemple, ils s'en sortent mieux que les enfants uniquement TDAH parce que l'intelligence les protège et leur donne les capacités pour comprendre ce dont ils ont besoin. Ils finissent par trouver leur place.»

Il ajoute que l'impulsivité qui accompagne souvent le TDAH permet à ces jeunes d'être plus audacieux que la plupart des enfants doués. «Le jeune "TDAHP" sera aussi plus humble, moins arrogant que la plupart des enfants à haut potentiel», expose-t-il.

Et pour tirer profit de toutes ces forces, ils doivent être soutenus, soulignent le Dr Revol et la psychologue Ariane Hébert. «Après la petite fierté de dire "mon enfant est intelligent", je vois une grosse boule d'anxiété chez les parents. Ils se disent "now what?", raconte la spécialiste. C'est une frustration intense pour moi parce que je n'ai pas de réponse. On a très peu de ressources adaptées pour ces élèves-là. Les parents sont pris avec le fardeau de faire accepter ça, et ce n'est pas pris avec le même sérieux que d'autres troubles.»

À ce sujet, le Dr Revlo constate toutefois une ouverture grandissante, au Québec. «On en parle encore très peu, mais je sens que l'intérêt est là. Et il va se passer des choses à l'américaine, c'est-à-dire que des études sérieuses vont faire en sorte qu'il y aura plus de ressources. Oui, je suis optimiste!»

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Pour en savoir plus sur le haut potentiel: http://www.hautpotentielquebec.org

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Entre 4 et 7 % des jeunes Québécois ont un trouble déficitaire de l'attention. Or, il n'y a pas de statistiques concernant ceux qui ont aussi un haut potentiel, ce qui complique le travail des spécialistes, selon le Dr Olivier Revol.

Arthur, 9 ans, surdoué...  et différent

Arthur a fait ses premiers calculs mathématiques complexes avant l'âge de 3 ans. À peine un an plus tard, il concevait des mécanismes en Lego, engrenages et contrepoids inclus. «Il était différent des autres», résume sa mère, Roxanne Masse.

Les parents d'Arthur allaient découvrir jusqu'à quel point cette différence était marquée quelques années plus tard, lors de l'arrivée à l'école primaire. «Ç'a été le bordel total. Il dérangeait, il ne suivait pas du tout ce que l'enseignante disait, il n'avait aucun ami parce qu'il essayait d'attirer l'attention de la mauvaise façon, il pleurait beaucoup, faisait des crises d'angoisse... il a fait comme une dépression», raconte la mère de trois enfants.

L'enseignante prévient alors les parents que ça ne va pas avec leur fils aîné, et qu'il est toujours seul à la récréation.

«C'était comme un couteau dans le coeur», se souvient Roxanne Masse, maman d'Arthur.

Pour l'aider, les parents consultent alors une psychologue, qui souligne immédiatement l'intelligence remarquable du garçon.

La directrice de l'école dirige alors la famille vers un centre où Arthur peut passer des tests plus approfondis. Le verdict tombe au début de la deuxième année du garçon: il est effectivement surdoué, ou à haut potentiel, mais un diagnostic s'ajoute. Arthur a aussi un trouble déficitaire de l'attention, avec impulsivité.

En clair, il écoute peu en classe, mais il est épargné par sa grande intelligence. À la suggestion des spécialistes, Arthur passe directement en troisième année. Stimulé, il semble plus heureux, ou du moins, il accepte d'aller à l'école sans rechigner. «C'est une année qui a quand même bien été, comme sous le radar», souligne Roxanne.

Courte accalmie

Cette accalmie a duré un an à peine. Frustré par la révision des notions de l'année précédente, Arthur recommence vite à s'ennuyer... et à déranger. Le garçon de 9 ans renoue avec certains comportements qui l'ont mis au ban de la classe en première année. La combinaison du trouble de l'attention et de la douance transforme le garçon en pilote de Formule 1, mais sans freins.

Parce qu'il manque de contrôle, il s'exprime sans attendre sur des sujets... qui ne passionnent pas ses camarades autant que lui. «Son enseignante parle et ça lui fait penser à quelque chose. Il ne peut pas attendre et il parle beaucoup, beaucoup! Il explique tout en détail et il entre dans la bulle des gens. C'est dérangeant et il n'a pas d'amis», explique sa mère.

Une solitude qui pèse lourd. «Pourquoi ma soeur est invitée à plein de fêtes d'amis et pas moi?», se questionne-t-il.

Inquiets, ses parents se sont donc tournés de nouveau cet automne vers une aide psychologique. Or, Roxanne s'interroge sur la place de ces jeunes «TDAHP» à l'école. «Il ne faut pas que lui faire sauter une année! Est-ce qu'on pourrait lui faire faire des projets ou quelque chose comme ça?»

«Je cherche des écoles spécialisées pour cet enfant-là, mais c'est tellement frustrant: il n'y a rien!»

La mère de famille sent aussi qu'elle doit convaincre les enseignants du potentiel réel de son fils. «Ce sont des enfants qui n'ont parfois même pas de bonnes notes à l'école. Quand l'examen est trop facile pour Arthur, il fait peu attention et il le fait tout croche. Si ça ne lui tente pas, il peut avoir 40%. Souvent, quand je demande que les apprentissages soient accélérés, la réponse, c'est comme: "Il n'a même pas de bonnes notes, ton gars." Je suis juste une mère qui veut juste trop chouchouter son enfant.»

Arthur présentera toutefois prochainement ses forces et ses défis aux élèves de sa classe. L'objectif: exposer sa réalité pour amener les autres enfants à comprendre pourquoi il a parfois des comportements inadéquats. Vulgariser pour mieux désamorcer une situation très difficile, espère Roxanne. «On espère que ça va l'aider, qu'ils vont un peu plus l'accepter.»

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Surdoué et atteint d'un trouble déficitaire de l'attention, le jeune Arthur, 9 ans, a beaucoup de difficultés à tisser des liens sociaux avec ses camarades de classe, selon sa mère Roxanne Masse.