Essayez pour voir: demandez à une nouvelle mère comment s'est passé son accouchement. Elle va vous répondre que cela a duré 36 heures, qu'à neuf centimètres, on a crevé ses eaux, que le bébé mesurait 51 centimètres, et pesait trois kilos. C'est ça, un accouchement? Vraiment?

«Ce n'est pas DU TOUT ça un accouchement!» dénonce l'orthopédagogue France Paradis, qui présente demain une conférence sur la question de la perte du savoir intuitif parental, dans le cadre du Salon maternité, paternité, enfants, Place Bonaventure.

 

Un accouchement, c'est des émotions, des craintes, des douleurs. Quelque chose de très intime, qui ne se résume pas, ou si mal, en critères normatifs. «Or nos repères sont devenus normatifs», dénonce la conférencière, également auteure, animatrice, et mère de trois enfants.

D'après elle, les scientifiques, médecins, pédagogues, psychiatres et autres spécialistes de l'enfance ont, avec «la meilleure foi du monde», développé des connaissances, lesquelles se sont transformées non seulement en repères, mais aussi, surtout, en véritables normes.

Un exemple? Un enfant doit faire ses nuits entre 4 et 6 mois, manger de tout à 12 mois, avoir atteint le stade opératoire concret à 8 ans. «Même la courbe de poids du bébé est devenue normative! Franchement, ça intéresse qui? C'est grave à quel point? Or on est tous fixés là-dessus!»

Quand une enseignante de maternelle dit à un parent que son enfant risque d'avoir des troubles d'apprentissage parce qu'il n'est pas capable d'écrire son nom à Noël, le parent ne la contredit même plus, dénonce-t-elle. «Il ne se pose même plus la question: est-ce que par ailleurs mon enfant se porte bien, est-ce qu'on est vraiment si pressé, et le fils de ma belle-soeur, n'avait-il pas, lui aussi, eu des difficultés?»

Peu de parents vont chercher des conseils dans l'expérience réelle d'autres parents. «On ne valide pas la parole de l'autre parent, on valide celle de l'expert», déplore-t-elle. Parce que l'expert a fait de longues études, est au fait des dernières connaissances, alors que le parent, lui, il a quoi? «Ses nuits blanches et ses crises de larmes», tranche-t-elle avec une pointe d'ironie.

Conséquence? La seule compétence qu'il reste au parent, désormais incapable d'évaluer la santé ou les apprentissages de son propre enfant, c'est la compétence «d'acheter l'objet qu'il faut»: le bon siège-auto, la bonne poussette, le bon jouet pédagogique. «Et là, il va y avoir un expert pour vous dire que vous en avez fait un enfant roi, en lui achetant tout ce qu'il voulait. Il y a de quoi devenir fous...»

En effet. Solution? Car il y en a une, selon France Paradis: «Il faut recréer le lavoir.» Le lavoir? Au sens figuré, s'entend: un lieu où les mères de familles se retrouvaient toutes, partageaient leurs échecs et leurs victoires, et l'air de rien, nourrissaient leurs compétences respectives. «Internet ne sera jamais suffisant. À un moment donné, il faut être dans la vraie vie. Parce que la seule chose sur laquelle tu peux compter quand tu élèves des enfants, ce sont les humains autour de toi.» Et ça, les livres ne le disent pas.