«En 30 ans, j'ai dû perdre 1000 livres», dit Francine Girardet, une quinquagénaire qui a passé sa vie à se battre contre son corps.

À son premier régime, elle avait 14 ans. Elle a perdu une dizaine de livres. En a regagné 25. Et ainsi de suite. Au fil des ans, elle a «fait» Atkins et Weight Watchers, consulté des diététistes, adopté Montignac. Chaque fois, elle finissait par reprendre tout le poids perdu. Et plus.Elle n'est pas la seule. «Moins de 5% des personnes qui suivent un régime traditionnel maintiennent leur perte de poids au-delà de trois ans», dit Marielle Ledoux, professeure au département de nutrition à l'Université de Montréal.

Qu'ils limitent les hydrates de carbone oules lipides, qu'ils obligent à compter les calories ou les rations, les régimes provoquent deux effets pervers. L'un est psychologique: immanquablement, on a une envie folle de ce dont on s'est privé.

L'autre est physiologique. L'organisme interprète les privations comme des signaux d'alerte: attention, famine. Le métabolisme ralentit pour se préparer à la disette. Forcément, dès que l'on reprend un régime normal, on grossit.

Pourtant, la plupart des gens qui cherchent à maigrir se lancent encore, armés d'une nouvelle calculette, dans cette guerre perdue d'avance. Parfois avec l'encouragement d'un médecin, ou même d'un diététiste.

Sentiment d'échec, déprime et compulsions alimentaires poussaient Francine Girardet sans cesse vers de nouveaux sommets pondéraux. Puis de nouveaux régimes.

Quand elle s'est retrouvée chez Équilibre, un organisme québécois qui prône une approche sans régimes aux problèmes de surpoids, Francine Girardet venait de perdre 26 livres grâce à Montignac. Mais elle sentait qu'elle était sur le point de lâcher prise.

«J'ai d'abord pris une bonne dose de réalité», dit cette femme qui a aligné des poupées gigognes sur son téléviseur pour se rappeler qu'elle ne sera jamais la plus petite, mais pas la plus grosse non plus. Que son poids naturel la place quelque part entre ces deux extrémités.

Puis, Francine Girardet a entrepris de décortiquer ses signaux de faim et de satiété, et d'identifier les fringales qui camouflent d'autres besoins que celui demanger.

À la condition de respecter ces signaux, elle avait le droit à tout. Desserts. Chips. Chocolat. Au début, cette liberté lui a donné le vertige.

«Le plus difficile a été d'apprendre à faire une pause pour me demander de quoi j'avais réellement le goût», dit-elle.

Aujourd'hui, elle prend six petits repas par jour. Elle a retrouvé son énergie, fait baisser sa tension, réglé ses problèmes digestifs. Et maintenu le poids qu'elle avait atteint après son épisode Montignac. «Garder mon poids pendant plus de deux ans, ça ne m'était jamais arrivé de ma vie», dit-elle fièrement.

Chacun cherche son poids

Dès ses toutes premières expériences professionnelles, la nutritionniste québécoise Lyne Mongeau avait été confrontée à des groupes de femmes qui souhaitaient maigrir.

«Rapidement, j'ai compris que j'avançais avec des skis sur une patinoire. Que je n'avais pas le bon équipement pour répondre à leurs besoins», raconte-t-elle.

Avec une collègue, Mme Mongeau décide donc de mettre au point son propre équipement. Résultat: le groupe Équilibre qui prône une méthode de contrôle de poids appelée «Choisir de maigrir?»

Le point d'interrogation est important. «Aujourd'hui, les gens croient qu'il faut être très mince pour être en santé, c'est l'effet pervers des campagnes contre l'obésité», dénonce Diane Côté, présidente d'Équilibre.

«La santé se décline en plusieurs formes», insiste Lyne Mongeau. Et chacun d'entre nous a une forme qui est, véritablement, la sienne. Àmoins de dérèglement métabolique majeur, nos signaux de faim et de satiété nous aident à maintenir naturellement le poids qui nous est propre.

Mais ce radar intérieur peut se dérégler, dit le médecin nutritionniste français Jean-Philippe Zermati, président du G.R.O.S. (Groupe de réflexion sur l'obésité et le surpoids). Et l'une des raisons qui lui font perdre le nord, ce sont justement les régimes en série.

L'une des caractéristiques des régimes traditionnels, c'est d'interpréter la faim comme une victoire, dit Lyne Mongeau. J'ai faim donc je maigris, pense-t-on. Or, c'est le contraire qui se produit. Plus on s'affame, plus on s'expose à tourner en rond. Et en rondeur...

Le grand régulateur

Comme le groupe Équilibre, G.R.O.S. prône le recours aux signaux de faim et de satiété comme principale méthode de contrôle de poids. «C'est une approche relativement nouvelle, qui découle de connaissances récentes sur la physiologie de la régulation», dit le Dr Zermati.

Cela fonctionne, en gros, comme ceci. Des récepteurs mesurent le niveau de différents nutriments dans l'organisme. Ces informations sont envoyées au cerveau et se traduisent en sensations. Si notre dépense énergétique dépasse le nombre de calories que nous avons ingérées, nous avons faim. Lorsque nous avons comblé nos besoins énergétiques, nous sommes rassasiés.

Ce «pondérostat» est ultra sensible. Si on ne lui donne pas ce qu'il réclame, il prépare le corps pour la pénurie appréhendée. Il stocke. Mais si on lui en donne trop, il stocke aussi.

Si on mange au-delà de la «commande», pendant un jour ou deux, le système de régulation fera baisser notre appétit, jusqu'à ce que l'on revienne à notre point d'équilibre.

Mais attention: si on persiste à défier nos signaux, l'excédent de nourriture sera expédié dans des cellules graisseuses qui augmenteront en taille. Puis en nombre. Le retour à notre poids de départ deviendra alors de plus en plus difficile.

Dure concurrence

Devant les échecs des régimes restrictifs, de plus en plus de nutritionnistes croient que l'écoute de nos signaux de faim et de satiété constitue le meilleur moyen de retrouver et maintenir notre poids. Mais cette méthode, qui exige un travail d'introspection laborieux, est encore peu pratiquée. Et elle se heurte à la concurrence féroce des régimes miraculeux.

«Je suis en compétition avec des régimes qui font maigrir en deux mois», déplore la diététiste Guylaine Guèvremont, qui s'inspire de la méthode de Lyne Mongeau dans sa pratique privée.

«J'ai commencé ma démarche en même temps qu'une amie qui s'est inscrite chez Weight Watchers, confie une de ses clientes, Karine Doucet. En moins d'un an, la copine a atteint la taille qu'elle recherchait. «Mais elle passe son temps à compter ses points. Moi, quand j'ai faim, je mange, et quand je n'ai plus faim, j'arrête», se console-t-elle.

La jeune femme de 27 ans, qui a dépassé le cap des 200 livres, en a perdu une vingtaine avec sa nouvelle approche. Elle se donne trois ans pour retrouver son «vrai» poids. Mais déjà, elle a plus de plaisir à manger qu'avant, déguste mieux ses aliments. Surtout, cette fois, elle sent que c'est pour de bon.

«Je ne sais pas comment expliquer ça, mais ces 23 livres, je sens que c'est de l'acquis», dit elle.Lessignaux de faim et de satiété, c'est comme le vélo. Une fois qu'on a compris, on ne peut plus oublier...

Un client de Guylaine Guèvremont, qui ne veut pas être identifié, a perdu 60 livres et n'en a pas repris une seule depuis trois ans. «Je mange de tout, du fromage triple crème, du chocolat. Je n'ai pas le sentiment d'avoir suivi un régime. J'ai plutôt réappris à manger», constate-t-il.