Ma sœur aura 40 ans à l’été, mais ses coups pendables pourraient être ceux commis par un enfant. Elle a déjà enduit mes poignées de voiture de beurre, remplacé les chandelles de ma mère par des saucisses à hot-dog (!) et souvent changé le fond d’écran de ses collègues pour de vieilles photos de Roch Voisine…

« Moins c’est méchant, mieux c’est », à son avis.

Disons qu’elle a cheminé ! Adolescente, Annie-Claude ne levait pas le nez sur les mauvais coups aux conséquences réelles. Parmi eux : la pose de sachets de ketchup pliés en deux sous le couvercle de certains sièges de toilette… Heureusement, au fil du temps, elle s’est développé une expertise en tours absurdes. Ses mises en scène font maintenant sa renommée tant au sein de notre famille qu’auprès de ses patientes.

C’est que ma grande sœur est auxiliaire de santé et services sociaux. Chaque jour, elle rend visite à des personnes qui ont besoin de soins. Et comme plusieurs de ses collègues, Annie-Claude s’investit. Elle ne se contente pas de soigner, elle accompagne, écoute et partage. Elle aime.

Certaines patientes raffolent de ses mauvais coups. Isolées à la maison, elles sont diverties par ces fenêtres comiques qui s’ouvrent soudainement sur d’autres vies.

Ma sœur a eu pas mal de succès en racontant un de ces tours pandémiques, par exemple…

Le 1er avril 2020, elle a réveillé son fils aux aurores, en panique. « L’épicerie a lancé un appel à la population ! Il leur faut absolument des employés, ce matin. On a donné ton nom. Vite, lève-toi, tu commences dans 15 minutes ! » Mon neveu, alors un ado de 13 ans qui n’avait jamais travaillé de sa sainte vie, a filé sous la douche et s’est habillé tout propre, prêt à honorer son devoir citoyen. (Il s’est juste recouché, finalement.)

À une époque où le quotidien était on ne peut plus morne, ce scénario avait su égayer les gens malades posés sur le chemin de ma sœur, travailleuse essentielle et mère créative.

L’an dernier, elle s’est plutôt cachée dans sa salle de bain, cellulaire en main, pour appeler sur la ligne fixe de sa propre maison. À répétition. Chaque fois que son chum répondait, elle raccrochait. Elle attendait qu’il s’éloigne dans une autre pièce, puis recommençait. Plus il sacrait, plus elle jubilait.

Selon Annie-Claude, un poisson d’avril réussi, « c’est un coup innocent qui crée une vraie surprise et qui t’habite toute la journée ! Il faut que tu y repenses en riant ».

Ce jour-là, elle y a repensé, en tout cas… Elle a même fièrement raconté la chose à une de ses patientes. Et l’anecdote s’est transformée en formation.

La femme d’une soixantaine d’années vit avec des troubles moteurs. Elle passe la journée à la maison, tandis que son mari travaille. Pendant ce temps, ma sœur vient lui offrir des soins et, dans toute sa tendresse, de l’attention. Elle racontait donc ses innocents méfaits à sa patiente quand cette dernière lui a fait une confidence étonnante : elle n’avait jamais joué de tour.

« Jamais ?

— Jamais ! »

Annie-Claude s’est emballée : « Il faut absolument jouer un tour à votre mari, d’abord ! »

La dame s’est aussitôt mise à ricaner, telle une jeune fille à la fois gênée et excitée par la transgression.

Après réflexion, elle a suggéré qu’on cache les sous-vêtements de son homme. C’est immanquable : la première chose qu’il fait en revenant du boulot, c’est enfiler son pyjama. Si ses culottes n’étaient pas au rendez-vous, il les chercherait, c’est certain !

C’était un bon départ, mais ma sœur trouvait que ça manquait un peu de mise en scène. Si ses caleçons n’étaient pas à leur place habituelle, il en prendrait simplement une autre paire, non ? Jouer des tours, ça s’apprend. La patiente avait du potentiel, il ne lui fallait qu’une guide pour parfaire son exécution…

Sous la supervision avisée de ma sœur, les sous-vêtements se sont retrouvés accrochés au lève-personne près du lit. En hauteur, comme un drapeau ! Évidemment, l’homme les a rapidement aperçus en revenant à la maison, mais l’innocence et l’effet de surprise y étaient. Coup réussi, donc.

Plus important encore, ce bref instant d’humanité avait rendu une patiente heureuse.

« Elle n’arrêtait pas de rire, se souvient ma sœur. Elle se demandait comment son mari allait réagir… J’étais juste contente qu’ils aient un moment de rigolade ensemble. Ce n’est pas toujours facile, ce qu’ils vivent. »

Je me rappelle ce 1er avril 2022. Ce soir-là, ma sœur m’a tout raconté – de sa cachette dans la salle de bain à la parcelle de lumière offerte dans une routine de soins nécessaires – et j’avais été émue par tant de pureté. Ses coups pendables étaient à la fois parfaitement banals et d’un réel intérêt. Je m’étais promis d’en faire une chronique.

Parce que voyez-vous, je crois que j’ai beaucoup à apprendre de mon aînée. Peut-être que vous aussi, d’ailleurs…

Pour moi, le 1er avril n’est pas particulièrement synonyme de fête. Je ne suis pas une joueuse de tours, mais quand j’écoute Annie-Claude parler de ses grands plans et que je la vois entraîner des personnes isolées dans sa belle folie, je me dis qu’on gagnerait peut-être tous à davantage entretenir l’innocence.

Est-ce que garder le jeu vivant ne peut pas nous aider à alléger le poids qui nous pèse sur les épaules ? Et si la bonne humeur passait, en partie, par des saucisses à hot-dog glissées dans des chandeliers ? (Non, je n’en reviendrai jamais.)

« Commence à jouer des tours dès demain matin, m’a récemment sommée ma sœur. Tu vas tellement rire ! »

J’estime que le conseil mérite d’être répandu.

D’autant plus qu’il ne nous reste qu’une semaine pour trouver le parfait scénario niaiseux…