Très cher Bernard,

Je ne t’offrirai pas le plaisir d’avoir recours à ton surnom. D’ailleurs, je pense que d’un commun accord, les chroniqueurs et les journalistes devraient cesser de l’utiliser. Chaque fois que l’on fait ça, on brode l’étoffe du héros que tu souhaiterais être.

Avant de t’offrir mes vœux pour la nouvelle année, je voulais revenir sur la vidéo que tu as publiée il y a quelques jours et dans laquelle tu réagis au sketch qu’on a fait sur toi dans le Bye bye, celle où tu traites (deux fois plutôt qu’une) Patrick Huard de « tapette ».

J’ai d’abord trouvé étrange que tu qualifies Patrick Huard de « tapette », lui qui, à moins que mon gaydar soit détraqué, est hétéro. Et puis, j’ai compris que pour toi, traiter un gars de « tapette », peu importe son orientation sexuelle, c’est l’insulte suprême, celle qui réduit l’homme à un état de faiblesse extrême.

Quand j’ai entendu ça, je suis revenu 50 ans en arrière. Ben oui, mon cher Bernard, tu as la faculté de nous faire voyager dans le temps, de nous faire reculer. Une corde de plus à ton arc !

Je me suis revu sur le chemin de l’école en train de subir les insultes de certains de mes camarades de classe. Tout à coup, tu as symbolisé tous ces gars qui me criaient des noms, qui me traitaient de tapette, de moumoune ou de fifi selon leur inspiration du jour.

Ces gars-là avaient décidé de nommer avec méchanceté ce que j’étais alors que moi, du haut de mes 10 ans, je ne le savais même pas encore. Sais-tu à quoi ressemble cet état d’âme, mon Bernard ?

Sais-tu ce que ressentent ceux qui se font tabasser dans les cours d’école parce qu’ils ne sont pas comme la majorité ? Sais-tu ce qu’ils vivent intérieurement quand ils se retrouvent enfin seuls dans leur chambre, sur un banc de parc ou dans un centre commercial ?

As-tu pensé deux secondes à cela quand tu as dit ces énormités dans ton VUS confortable tout en opposant les « génies de l’île » à ceux qui, comme toi, prétendent défendre la veuve et l’orphelin ?

As-tu tenté d’imaginer qui sont ceux qui endurent ces insultes, qui les digèrent du mieux qu’ils peuvent ou qui les gardent au fond de leur ventre comme une boule pendant des années, sinon pour le restant de leurs jours ?

Cette boule peut réapparaître si vite... Si tu savais.

J’ai été chanceux, j’ai une bonne famille, la nature m’a donné une force de caractère, j’ai « fait mon chemin », comme disait mon père, et j’ai trouvé le bonheur dans plein de domaines. Mais ce n’est pas le cas pour tout le monde. Il y a ces gars qui vont refouler leur homosexualité toute leur vie en étant profondément malheureux.

Tiens, ça me rappelle la fois où, dans un bar gai (je devais avoir 23 ou 25 ans), je suis tombé sur un de mes harceleurs du primaire. Ben oui, toi chose ! J’aurais pu aller l’engueuler, l’insulter à mon tour, lui dire tout le mal qu’il m’avait fait ou lui flanquer mon B-52 au visage. Mais au lieu de ça, j’ai étrangement ressenti de la pitié pour lui...

Et puis, il y a ceux qui baissent les bras face aux attaques de tous ces terroristes de cours d’école. Pas plus tard que le 14 janvier, avaient lieu les funérailles de Lucas, un adolescent français de 13 ans qui s’est suicidé après avoir été victime d’homophobie dans son patelin situé dans les Vosges.

Je peux aussi te parler de Kloé Guillemette, une adolescente trans de 15 ans qui a été rouée de coups par un autre élève l’automne dernier dans une école d’Alma. Une trentaine de jeunes ont formé un attroupement et certains ont filmé la scène sans intervenir.

Je peux aussi rappeler à ta mémoire David Fortin, lui aussi d’Alma, qui a quitté le foyer familial en 2009, laissant derrière lui un grand mystère et des cœurs éclatés. Avant son départ, il vivait l’enfer à l’école.

Alors, quand j’entends un adulte comme toi affirmer qu’il est allé manifester à Québec pour le bien de « nos enfants » tout en proférant dans la foulée le mot « tapette », je me dis que tu dérapes solide, mon cher Bernard.

Tu es en train de banaliser un mot qu’on ne devrait plus entendre en 2023 au Québec. En le répétant, tu dis à tes émules que c’est encore l’arme qu’on doit prendre pour écraser un adversaire mâle.

Heureusement, d’autres que toi s’occupent de faire avancer les choses. Les campagnes de sensibilisation font leur œuvre. Les jeunes apprennent à respecter les « autres » et les « autres » ont davantage de soutien pour « faire leur chemin ».

Mais il y a un truc qui me décourage... Alors que le calvaire des jeunes prenait fin après la cloche de 16 h, aujourd’hui il se poursuit toute la soirée et tout le week-end sur les réseaux sociaux. Ces mêmes réseaux sociaux qui sont nourris à coups d’insultes et de hargne par des gens comme toi.

Tu vois comme toutte est dans toutte !

Je te souhaite une bonne année 2023, mon Bernard ! Mais si tu pouvais tourner ta langue une bonne centaine de fois avant de publier une vidéo, on en passerait une excellente nous aussi !